Une formatrice en soins de réanimation soupçonnée de faillite frauduleuse

Entre les mois de décembre 2021 et mars 2022, pas moins de 31 médecins et résidents en médecine de famille se sont inscrits à des formations SARP (soins avancés de réanimation pédiatrique, ou PALS en anglais) ou PRN (programme de réanimation néonatale, NRP en anglais) organisées par Hélène Quevillon, une infirmière spécialisée en réanimation qui forme des professionnels de la santé depuis le début des années 1980. Ces cliniciens lui ont versé de 862$ à 3225$ pour réserver ces formations, qui devaient se dérouler au printemps et à l’été 2022. Formations qui ont par la suite été annulées et dont les frais d’inscription - leur total dépasse les 50 000$ - n’ont, à ce jour, pas été remboursés aux intéressés. Les chances que certains revoient leur argent existent, mais elles sont minces. Hélène Quevillon a engagé une procédure de faillite personnelle le 5 janvier 2022 à laquelle la syndique chargée du dossier, Josée Pomerleau, compte s’opposer. Celle-ci a avisé les créanciers de Mme Quevillon en ce sens le 20 avril dernier en leur indiquant qu’il s’agit de la troisième faillite personnelle de la formatrice, les précédentes remontant à 1995 et 2014. «Ce sera au tribunal de décider, mais on va s’opposer à la libération de la faillite [de Mme Quevillon, NDLR]», confirme Mme Pomerleau en entrevue avec ProfessionSanté.ca. En attendant que la date d’audience soit fixée, la syndique ne veut pas détailler les faits, mais au-delà de la succession de faillites, elle convient qu’il s’agit d’un «dossier préoccupant». La libération de l’infirmière de 77 ans aurait pour conséquence d’effacer ses dettes. «Quand on s’y oppose, c’est qu’habituellement, on a de bonnes raisons de le faire», explique la syndique en mentionnant qu’elle a saisi le Bureau du surintendant des faillites afin qu’il s’assure que le système d’insolvabilité canadien n’a pas été utilisé à mauvais escient par Mme Quevillon. Une procédure lourde de sens. Un lourd passif Un premier bilan dressé par le syndic de faillite, en date du 25 août 2022, montre que le passif de la formatrice s'élevait à 193 804$. Parmi ses principaux créanciers figurent Revenu Québec (pour un montant de 52 000$), Revenu Canada (20 000$), MasterCard Canadian Tire (15 500$), ainsi que les 31 médecins et résidents qui ont payé pour les formations SARP ou PRN finalement annulées. À eux tous, leurs créances atteignent 57 339$. Dans un second bilan daté du 23 avril 2023, le passif de Mme Quevillon a été ramené à 56 472$, plusieurs des dettes qui lui étaient opposées le 25 août 2022 n’ayant pas été établies avec certitude, notamment parce que des créanciers n’ont pas complété leur dossier (comme Revenu Québec), ou car ils ne disposaient pas de preuves suffisantes (quittances de paiement des formations, par exemple). Ainsi, seuls six cliniciens sont inclus en fin de compte dans la liste des créanciers de la formatrice, pour un montant total de 7648$. Le plus troublant, selon la syndique Josée Pomerleau, «c’est l’absence d’actifs» d’Hélène Quevillon. Ceux-ci sont évalués à 39 053$, dont une Jeep Cherokee (modèle 2019) d’une valeur de 30 000$, un véhicule acheté à crédit et qui ne pourra pas être saisi puisqu’il devra être remis à l’organisme prêteur, Financement Auto TD. Le reste est constitué de meubles (6000$), d’effets personnels (1000$) et d’outils de travail (2000$), ces derniers étant par nature insaisissables. Autrement dit, les sommes encaissées au printemps 2022 par Mme Quevillon pour les formations qu’elle a ensuite annulées se sont volatilisées. Elles n’apparaissent nulle part dans le bilan final réalisé par le syndic de faillite. Relancée à plusieurs reprises par ProfessionSanté.ca afin qu’elle s’explique sur les soupçons de fraude qui pèsent sur elle, Hélène Quevillon a décliné nos demandes d’entrevue. Elle a également refusé de répondre par écrit à nos questions. La formatrice se contente d’indiquer par courriel que l’instructeur qui devait donner les formations SARP «s’est désisté» et que des injonctions qu’elle a déposées contre la Fondation Cœur + AVC «coûtent beaucoup d’argent pour se défendre». Elle joint à son courriel une série de documents qui relatent «(son) histoire avec la Fondation». Des démêlés avec Cœur + AVC En parcourant ces documents divers et variés, on apprend que Mme Quevillon se dit victime d’une cabale en raison d’un sérieux différend avec un médecin qui fut un de ses élèves il y a une dizaine d’années, et qui est par la suite devenu directeur des programmes de réanimation de la Fondation pour le Québec. On y découvre aussi que l’infirmière a été décertifiée en 2021 par Cœur + AVC de ses titres d’instructrice et de maître-instructrice en RCR-DEA (réanimation cardio-respiratoire–défibrilation externe automatique), ACLS (soins avancés en cardiologie), SARP et Premiers soins pour non respect des normes et standards de la Fondation. Décision qui lui aurait fait perdre de «200 000 à 250 000» dollars et aurait conduit à sa dernière faillite, prétend Mme Quevillon dans un courriel envoyé le 18 mai 2023 à la nouvelle présidente de la Fondation, Maggie Fox. L’infirmière a porté en justice l’affaire de sa décertification, qui est effective depuis le 10 mars 2021. Elle a déposé dans la foulée une injonction provisoire devant la Cour supérieure du Québec «dans le but de faire rétablir ses accréditations comme maître instructeur pour donner des cours de premiers soins et autres». Elle a été déboutée le 5 mai 2021, la Cour s’étant déclarée incompétente puisque «les modalités d’utilisation des outils et services de la Fondation», acceptées par Mme Quevillon, indiquent que «toute action en justice ou en équité découlant des présentes modalités ou se rapportant à votre utilisation de nos services sera déposée seulement devant un tribunal situé à Toronto, en Ontario». La décision de la Cour supérieure mentionne que «quoi qu’il en soit, en l’espèce la demanderesse n’exprime aucune intention de poursuivre la Fondation à Toronto». Lire aussi: De sérieux doutes sur la rigueur d’Hélène Quevillon et sa nouvelle certification Déchue de ses titres d’instructrice, Hélène Quevillon ne pouvait plus donner de formations RCR-DEA, ACLS et SARP aux professionnels de la santé, car elle n’aurait pas pu leur délivrer la carte authentifiant leurs compétences. Pour continuer ses activités, elle s’est donc tournée vers un instructeur dûment certifié par Cœur + AVC, Stéphane Delisle, pour organiser les sessions SARP qui devaient avoir lieu au printemps et à l’été 2022. «Comme elle n’était plus certifiée, j’ai accepté de l’aider, en tant qu’ami, pour la dépanner, en attendant qu’elle retrouve sa certification. Elle me disait qu’elle avait des troubles passagers avec la Fondation», explique l’instructeur en entrevue avec ProfessionSanté.ca. Début mars 2022, M. Delisle change d’avis. Il informe l’infirmière, qui était autrefois sa maître-instructrice chez Cœur + AVC, qu’il n’assurera pas les formations prévues en juin et août. «J’ai annulé, car je venais d’obtenir un emploi de directeur général dans un collège privé et parce que je voulais me dissocier de Mme Quevillon. Je voyais la qualité de ses prestations se dégrader. Elle ne fournissait pas aux élèves le matériel pédagogique à jour. Je craignais de perdre mes titres d’instructeur.» Coïncidence troublante L’infirmière multiplie malgré tout les relances auprès des médecins et résidents afin qu’ils payent au plus vite le second acompte pour les formations auxquelles ils s’étaient inscrits en toute hâte. Une des résidentes en médecine de famille concernée nous a transmis des courriels que lui a envoyés Mme Quevillon les 9 et 10 mars, puis les 2 et 11 avril. Cette dernière lui écrit entre autres: «Pour confirmer votre présence, vous devez procéder à votre paiement.» Ou encore: «Une autre personne est en attente pour la formation PALS donné (sic) par Dr Stéphane Delisle. Vous avez jusqu’à 20 heures ce soir. Merci de faire suite.» Plusieurs résidents de la Faculté de médecine de l’UL (FMED) inscrits aux formations SARP prévues en mai, juin et août 2022 nous ont communiqué le même type de messages insistants. Ceux inscrits pour la session programmée le 19 mai ont été prévenus par Mme Quevillon, toujours par courriel, qu’elle était «obligée d’annuler la formation PALS car Stéphane Delisle a un empêchement majeur». Elle ajoute: «J’ai essayé jusqu’à la dernière minute de le remplacer. Je vous reviendrai pour une autre date. Si vous désirez remboursement pas de problème.» Après avoir relancé l’infirmière à de nombreuses reprises pour obtenir des informations pratiques sur leur formation — relances restées sans réponses —, les résidents censés participer aux sessions SARP de juin et août ont découvert par leurs propres moyens qu’elles n’auraient pas lieu. Un résident en médecine de famille de l’Université Laval (UL), qui souhaite conserver son anonymat, indique avoir appelé l’hôtel où sa formation devait avoir lieu. «Ils m’ont dit que Quevillon avait annulé la réservation de la salle. J’ai essayé d’en savoir plus et de me faire rembourser. Elle ne m’a jamais répondu.» «Elle n’a plus retourné mes appels» Le silence soudain de la formatrice, qui auparavant répondait promptement aux appels et courriels des résidents, éveille leur méfiance. L’information circule rapidement dans les groupes What’sApp et Facebook. «On a réalisé qu’on n’était pas les seuls et qu’énormément d’étudiants ont été floués», témoigne anonymement l’une d’elles. «Plusieurs médecins ont également partagé leurs mauvaises expériences passées. Certains ont été remboursés longtemps après, d’autres non.» La Dre Camille St-Amant prend contact avec Stéphane Delisle. «Il m’a dit qu’Hélène Quevillon était vraisemblablement en faillite», rapporte la résidente. L’instructeur va alors tenter d’intercéder en faveur des étudiants. Il écrit à l’infirmière le 1er août. Elle lui répond aussitôt qu’elle est malade et qu’elle remboursera les médecins la semaine suivante. Ce qu’elle ne fera pas. «Ensuite, plus de son, plus d’image. Elle n’a plus retourné mes appels», signale M. Delisle. En parallèle, Camille St-Amant investigue et apprend que Mme Quevillon a bel et bien engagé une procédure de faillite. La syndique Josée Pomerleau lui envoie le 1er septembre 2022 un avis afin qu’elle se constitue créancière. Très vite, la Dre St-Amant soupçonne une fraude. «Quand ces formations dispendieuses sont effectuées dans le cadre de la résidence, elles sont remboursées par les établissements qui nous emploient. Les formations SARP sont assez populaires et donc très en demande. Les résidents se jettent dessus. C’est facile de profiter de leur intérêt à coup de virements Interac.» Encouragés par la Faculté de médecine de l’UL Comme les autres étudiants interviewés par ProfessionSanté.ca, la Dre St-Amant n’avait au départ pas suspecté qu’il pouvait y avoir anguille sous roche. «On n’a pas allumé, car Hélène Quevillon nous a été recommandée par le département de médecine familiale de l’UL», explique-t-elle. Une agente de gestion des études du département a en effet relayé à tous les résidents l’offre de formations SARP et PRN de Mme Quevillon dans un courriel daté du 22 février 2022. Celui-ci se termine ainsi: «Les places sont limitées, ne tardez pas!» Une fois informés de la faillite de l’infirmière, quelques résidents, dont la Dre St-Amant, ont alerté et sollicité le directeur du programme de résidence en médecine de famille de l’UL, Samuel Boudreault, pour savoir si l’Université pouvait les aider. «Nous nous sommes informés auprès du bureau du doyen. Malheureusement, rien n’est disponible à ce niveau à la faculté de médecine. On nous mentionne que dans les cas de faillite, c’est aux créanciers (dont vous) de faire valoir leur droit de créancier», leur répond par courriel le Dr Boudreault. «Pour ce qui est des remboursements, il s’agit de l’agent payeur (CISSS ou CIUSSS) qui s’occupe des remboursements et non l’université. Habituellement, on demande une confirmation que la formation fut réalisée. Vous pouvez tout de même leur en parler vu la situation inusitée dans laquelle vous vous trouvez. Même chose pour la FMRQ [Fédération des médecins résidents du Québec] qui ont potentiellement accès à un service d’avocat pour vous appuyer», ajoute-t-il dans son message envoyé le 15 septembre 2022 à tous les résidents créanciers de Mme Quevillon. L’UL se défend Contactée par ProfessionSanté.ca afin de savoir si le département de médecine familiale de l’UL s’était renseignée au sujet de Mme Quevillon avant de partager son offre de formations, la directrice adjointe des relations publiques de l’Université, Andrée-Anne Stewart, nous a répondu par courriel que «la FMED reçoit de nombreuses offres en vue de relayer des informations concernant des formations s’adressant à des membres de sa communauté», mais qu’elle «ne maintient pas de registre de formatrices et formateurs externes». Elle précise que les formations SARP et NRP ne sont pas obligatoires à l’UL, en soulignant qu’elles sont néanmoins recherchées par certains résidents, «il arrive donc qu’un relais d’information provenant de formatrices ou formateurs présentant les attestations appropriées puisse se faire après analyse par le programme concerné.» S’agissant de Mme Quevillon, Andrée-Anne Stewart indique que «l’expérience positive de cohortes antérieures de résidentes et résidents a incité la direction de programme à relayer avec confiance l’offre reçue». Elle conclut son courriel en indiquant qu’il «s’agit d’une situation rare et inusitée qui nous désole et nous nous assurerons qu’elle ne se reproduise plus. Les efforts ont depuis été déployés afin d’identifier et valider des offres de formations alternatives afin de répondre aux besoins des membres de notre communauté qui manifestent le désir d’avoir accès à ces formations». Cette réponse ne satisfait pas certains résidents. «C’est pas comme si j’avais trouvé cette formation sur une affiche. C’est l’UL qui m’a encouragé à m’inscrire, je leur ai fait confiance. Je peux comprendre qu’ils ne pouvaient pas savoir que Quevillon avait fait faillite, mais je pensais qu’ils avaient double checké l’info», déplore l’un d’entre eux. De son côté, la FMRQ a soutenu l’UL. «Dans toute cette histoire, il est difficile, voire impossible, d’accuser l’université d’avoir une responsabilité quelconque. En effet, elle ne pouvait pas se douter qu’une personne avec qui elle a fait affaire depuis plusieurs années était pour déclarer faillite. La situation aurait été différente si les résidents avaient été dans l’obligation de suivre le cours avec elle, mais, à (notre) connaissance, ce n’est pas le cas», écrit la Fédération dans un courriel adressé aux résidents floués qui l’avaient interpellée. La FMRQ leur indique aussi la marche à suivre dans le cadre d’une procédure de faillite. Elle leur précise également que les «grandes institutions» (banques, gouvernements, etc.) sont prioritaires et «qu’il arrive très souvent que les créanciers jugés moins importants par le syndic de faillite ne soient jamais remboursés». Bis repetita? Cette perspective, les résidents créanciers de Mme Quevillon l’envisagent indubitablement. «Je sais bien que je ne reverrai jamais mes 1725$», déclare l’une d’elles, désabusée, qui s’estime victime d’une «magouille». Son sentiment est renforcé par un courriel envoyé le 14 février 2023 par l’infirmière à des médecins, qui nous ont transmis son message. Elle s’y présente en tant qu’«instructeur en néonatalogie, AHLS» (soins avancés liés aux matières dangereuses, ou Advanced Hazmat Life Support en anglais) et comme «moniteur RCR-DEA de la Société de Sauvetage». Elle propose des formations NRP, ACLS et RCR-DEA qui auront lieu les semaines suivantes «à Laval ou dans vos cliniques à Montréal ou Laval». Pour la Dre St-Amant, c’est la goutte de trop. «Je ne peux pas croire qu’elle soit encore en activité. Il ne faudrait pas que d’autres se fassent avoir.»

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