Une étudiante en médecine s'enlève la vie, ses amis poursuivent son combat

Pour honorer sa mémoire, quatre amis et camarades de classe de Justine Renaud promettent de poursuivre l’important combat de cette étudiante de 4e année à la Faculté de médecine de l’Université McGill. «C’est ce qu’elle aurait voulu que l’on fasse. L’amélioration des conditions de stage lui tenait vraiment à cœur», souligne Geneviève Peel. «Nous lui avons fait la promesse de mener cette bataille le plus loin possible et nous allons le faire. Nous allons nous mobiliser pour faire des revendications», s’engage Élise Girouard-Chantal. En entrevue à ProfessionSanté.ca, les quatre étudiants n’ont pas voulu parler spécifiquement de la situation de leur amie qui a milité notamment pour la Fédération médicale étudiante du Québec (FMEQ) et pour les Médecins québécois pour le régime public. Ils ont toutefois tenu à lever le voile sur la lourde charge de travail durant leur externat, les longues heures de stage et la culture de performance malsaine qui mènent plusieurs étudiants à la détresse. À lire aussi: Suicide d’une étudiante en médecine: attention aux signaux de détresse Régulièrement, les étudiants en stage de l’Université McGill doivent travailler pendant 16 heures par jour et 72 heures par semaine, ce qui laisse peu de temps pour étudier en prévision des examens et surtout très peu de temps pour prendre soin d’eux-mêmes, expliquent-ils. «Après 10 ou 12 heures par jour, on ne retient plus rien puisque nous sommes brulés. Le nombre d’heures de travail élevé nous pousse inévitablement vers l’épuisement», souligne Madame Girouard-Chantal. «Nous devons aller à nos stages dans des conditions physiques ou mentales qui sont vraiment inacceptables. Je ne voudrais pas que ma mère soit à l’hôpital si un médecin dans mon état prend soin d’elle. C’est alarmant!», ajoute Madame Peel. En 2011, la FMEQ a demandé aux facultés de médecine d’imposer un nombre minimal d’heures de stage. Selon cette organisation, 10 heures par jour devraient être le maximum. Or, seules l’Université de Sherbrooke et l’Université Laval appliquent cette recommandation. Le nombre maximal est de 12 heures à l’Université de Montréal et de 16 heures à l’Université McGill. «Je n’ai pas beaucoup d’espoir que cela change, puisque les facultés ont comme culture que la médecine est un don de soi et que nous faisons partie des gens appelés à se sacrifier», affirme Samuel Montplaisir, un ami de Justine Renaud. À lire aussi: La pandémie met à rude épreuve la santé mentale des médecins, selon une étude Un problème systémique Selon Geneviève Peel, le problème est toutefois beaucoup plus profond que le nombre d’heures de travail. «C’est un problème systémique, structurel. Ce problème, il est dans le système d’éducation médicale et la culture de la performance», déplore-t-elle. Selon elle, les patrons de stage s’attendent à ce que les étudiants soient bons dès leur premier jour de stage. «Tu as peut-être un moment de grâce de 30 minutes, mais après il faut que tu sois bon comme si tu avais toujours fait ça». La pression est énorme sur les étudiants qui sont constamment évalués. «Il n’y a pas de marge de manœuvre pour faire des erreurs. Par exemple, si tu arrives une minute en retard à cause d'une panne dans le métro, il peut y avoir des notes dans notre dossier et cela peut nuire à notre entrée en résidence», explique l’étudiante. «C’est dichotomique puisque le milieu médical nous demande d’être très flexible et de nous adapter tout le temps, mais il n’y a aucune flexibilité par rapport aux étudiants», poursuit-elle. Même entre les étudiants, la fatigue et l’épuisement sont valorisés. Comme s’il fallait être fier de dormir moins et de travailler plus d’heures, dit-elle. «Nous revendiquons un changement profond dans la culture de performance qui est malsaine et que l’on a tous internalisée», affirme pour sa part Isabelle Joyal, une autre amie de Justine. Selon elle, plusieurs études révèlent une prévalence accrue de détresse et de suicide chez les étudiants en médecine. En revanche, des Facultés de médecine n’ont pas de services dédiés à la santé mentale de leurs étudiants, et ceux qui en offrent ne suffisent plus à la demande. «Le niveau d’endettement ne va pas permettre aux étudiants d’aller chercher des ressources alternatives au privé. De plus, de nombreuses ressources communautaires ont récemment fermé leurs portes», souligne Madame Joyal. Plusieurs étudiants en détresse se retrouvent donc démunis. Il y a le Programme d’aide aux médecins du Québec (PAMQ), mais la plupart des étudiants ne savent pas que ce programme s’adresse aussi à eux. Un syndicat pour les étudiants Pour changer la culture et améliorer les conditions de stage, Justine Renaud avait une vision: transformer la FMEQ en syndicat. Ses amis veulent reprendre cette idée. «Les étudiants manquent de moyens de pression et les facultés de médecine, qui en sont tout à fait conscientes, vont en profiter. Même si la fédération étudiante travaille d’arrache-pied, elle manque de dents», déplore Samuel Montplaisir. Si les facultés ont un rôle à jouer pour améliorer les conditions des étudiants, le gouvernement peut agir en reconnaissant notamment que «les stagiaires en médecine sont comme des travailleurs sans aucune protection». Par ailleurs, le fait que les femmes soient maintenant majoritaires en médecine et dans les Facultés pourrait-il permettre d’améliorer la conciliation travail-vie personnelle? Geneviève Peel en doute. «C’est une profession qui a des origines très conservatrices et paternalistes. Oui, il y a plus de femmes en médecine aujourd’hui, mais les gens en position de pouvoir dans le milieu médical, les directeurs de programme, les gestionnaires dans les hôpitaux et ceux à la tête des Facultés de médecine sont majoritairement des hommes.» Dénoncer les abus Quoi qu’il en soit, il faut désormais briser le silence et dénoncer les abus, estiment les quatre amis de Justine Renaud. Trop longtemps, les étudiants ont hésité à critiquer leurs conditions par peur de nuire à leur entrée en résidence. Pour améliorer le sort des étudiants, mais aussi pour poursuivre le travail de leur amie, ils s'engagent à faire des revendications pour changer la culture dans le milieu médical étudiant. «Nous sommes tous des gens tellement passionnés, avec une flamme qui brûlait de vouloir apprendre et prendre soin des gens, persuadés qu’on ferait la différence. J’ai hâte au moment où je vais être assez reposée pour que cette flamme reprenne le dessus. Parce que, pour le moment, j’ai une fatigue d’empathie et d’apprentissage», termine Élise Girouard-Chantal.

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