«Un problème par consultation»: deux types d'approches

Les docteurs Max et Min (médecins fictifs) avaient l'habitude de dire à certains patients «un problème par visite». Utilisée avec parcimonie au début, cette pratique est devenue de plus en plus fréquente au fur et à mesure que les problèmes de santé devenaient plus complexes, que les cabinets étaient plus occupés et que les marges de revenus se resserraient, année après année.Puis un jour, soudainement et à l'unanimité, leur collège, leur association professionnelle et leur assurance responsabilité civile ont tous décrété qu'il ne fallait pas adopter ledit «un problème par visite». Ils craignaient tous qu'un patient sortant du bureau du médecin dise «Au fait, docteur, j'ai une douleur à la poitrine», que le médecin lui coupe la parole en répliquant en agitant le doigt «ah ah ah, un problème par visite» ... et qu'il meure plus tard d'une crise cardiaque.Les docteurs Max et Min se sont donc adaptés à cette censure, chacun à sa manière. Voici comment chacun recevrait un homme de 60 ans souffrant de diabète, dont la consultation a été réservée pour le diabète, mais qui a commencé par:«J'ai quelques autres problèmes en plus, docteur... mon genou ne semble pas bien aller, je transpire beaucoup et je vais souvent aux toilettes la nuit.»'S'OAPLe Dr Max a compris qu'il s'agissait de quatre plaintes distinctes et a donc immédiatement négocié: «Faisons l'évaluation de votre diabète, et regardons aussi un autre problème... le reste sera pour la prochaine fois.» Mais le Dr Max est rémunéré à la capitation, et lorsque la réception lui a fait savoir que le patient suivant avait annulé, il a décidé de profiter au maximum de la consultation... en y intégrant toutes les plaintes de manière à «s'économiser une prochaine visite». Il a créé quatre modèles SOAP (subjectif, objectif, analyse et plan) distincts, pour 1) le diabète, 2) les douleurs articulaires, 3) la fréquence urinaire et 4) la diaphorèse.La Dre Min se demande pourquoi cet homme, qui ne se plaint généralement pas, semble contrarié. Pour la Dre Min, «S» ne signifiait plus «Subjectif» (la vieille école enseignait que les patients sont subjectifs, les médecins objectifs; l'histoire est subjective, l'examen clinique objectif). Au lieu de cela, la Dre Min pensait à «S» comme à «Story» (Histoire) et imaginait son patient en train de la vivre. Elle lui a posé des questions détaillées: «Que voulez-vous dire par votre genou ne semble pas bien aller?», «Comment ça se passe en montant et en descendant les escaliers?», «Le genou bloque-t-il parfois?», «Les sueurs ne surviennent-elles que la nuit?», «Que voulez-vous dire par avoir souvent envie de faire pipi?» et, curieusement, «Votre femme vous donne-t-elle des coups de coude la nuit?». Elle a écouté attentivement, non seulement entre les lignes, mais aussi au-dessus et en dessous. Elle a cherché des liens, a attribué des valeurs variables à la signification clinique et a essayé de comprendre pourquoi cet homme est frustré ou inquiet. «J'ai entendu dire que le palmier nain (Saw palmetto) aide à lutter contre l'hypertrophie de la prostate, devrais-je l'essayer?», a proposé l'homme qui fait pipi la nuit, en essayant d'être utile.S‘O’APLe Dr Max s'est senti agacé par le fait que sa visite logiquement structurée était en train de dérailler, mais s'est abstenu de lever les yeux au ciel. «D'abord, finissons votre examen pour le diabète, puis je ferai un examen des genoux, de la poitrine, du cœur, de l'abdomen, et enfin un test au doigt.» Le Dr Max a procédé à la partie «O» de la consultation, où il a examiné «objectivement» et sans passion chaque système correspondant aux plaintes présentées.La Dre Min, en revanche, a répondu par un sourire et a plaisanté avec un faux accent italien: «Saw Palmetto. urina restoretto»... et en est restée là. Pour elle, «O» signifiait au sens large «Observation» et ne se limitait pas à cette partie du rituel. Elle se souvient qu'à son arrivée, son patient n'a pas demandé à aller aux toilettes. Lorsqu'elle est allée dans la salle d'attente pour l'appeler, elle a observé la façon dont il s'est levé, sa démarche pour se rendre jusqu'à son bureau et la façon dont il a manœuvré pour s'asseoir. Pendant qu'ils parlaient, elle a remarqué son irritabilité. Elle a regardé son ventre bedonnant et s'est demandé s'il avait pris du poids, et a noté qu'il respirait beaucoup par la bouche. En vérifiant l'obstruction nasale, elle n'a pas décelé de traces de cétone, d'alcool ou de mauvaise haleine due au tabac ou à l'excès de sucreries. Son approche n'était ni systématique ni exhaustive, mais plutôt un méandre intuitif. «Je crois que je suis simplement en train de m'effondrer.» L'homme a devancé l'évaluation du médecin en partageant la sienne.SO‘A'PLe Dr Max a utilisé l'évaluation pour consolider ses diagnostics, comme ceci: (1) Diabète de type II (2) OA du genou gauche? Dérèglement interne (3) Nocturie? HBP et (4) Sueurs nocturnes r/o hémopathie maligne.La Dre Min a utilisé l'analyse comme un outil de synthèse (Assimilation? Assemblage?). Elle n'a pas eu l'impression que le patient était trop malade. Elle s'est demandée à haute voix si l'apnée du sommeil n'était pas à l'origine de ses réveils fréquents, de ses mictions nocturnes et de ses sueurs. Le fait de prendre tous ses médicaments la nuit (en avalant beaucoup d'eau) n'a fait qu'aggraver la situation. Alors qu'elle exprimait cette idée, scrutant sa réaction, il hocha la tête et acquiesça: «Oui, ma femme dit que je ronfle beaucoup ces derniers temps». Il n'aurait pas osé en parler au Dr Max, qui aurait considéré qu'il s'agissait du problème numéro 5.SOA‘P’Le Dr Max a alors formulé un «plan»... pour soutenir ou écarter les diagnostics qu'il a mentionnés ci-dessus, en demandant une batterie complète d'analyses sanguines et d'imagerie. Il n'arrivait pas à croire qu'il avait réussi à gérer les quatre problèmes. C'était beaucoup de travail. Le Dr Max n'était pas content, marmonnant (mentalement) qu'il recevra à peu près le même montant que si le patient n'avait eu qu'un seul problème. Le patient n'était pas plus heureux, car il devait maintenant prévoir de nombreux examens, prendre rendez-vous chez le kinésithérapeute, tout en pensant qu'il vieillissait et qu'il s'effondrait. Il savait qu'il s'était beaucoup plaint lors de cette visite, mais le fait de tout faire vérifier n'était pas très agréable.Le «plan» de la docteure Min était beaucoup plus modeste. En discutant avec son patient tout au long de la visite, ils ont implicitement élaboré ensemble un plan d'action raisonnable, de sorte qu'elle peut se permettre d'être plus sélective sur ce qu'il faut faire, et dans quelle mesure. Pour l'instant, son patient était heureux d'être simplement orienté vers une clinique du sommeil et de subir quelques tests sanguins de base. Parce qu'elle a «rassemblé» ses symptômes désorganisés, il a cessé de s'imaginer en train de «s'effondrer». Son patient avait toujours un genou en mauvais état, mais lorsqu'elle l'a raccompagné, il semblait se tenir un peu plus droit, avec un peu plus de ressort dans ses pas. Et ni l'un ni l'autre ne voulait reparler de ce genou, du moins pour l'instant.Finalement…La rémunération obtenue pour une telle visite ne compense pas adéquatement le travail effectué par le Dr Max ou la Dre Min. Mais la façon dont ils ont mené leurs consultations peut soit ajouter du travail, soit en enlever et apporter de la satisfaction à la fois à leurs patients et à eux-mêmes, soit ni l'un ni l'autre. Lorsque la familiarité et la confiance entre les médecins et les patients sont plus grandes, les médecins sont libres de se rapprocher davantage de la Dre Min. Lorsqu'il y en a moins, les médecins peuvent choisir d'être plus comme le Dr Max, ce qui laisse moins de place à l'incertitude et à la responsabilité médico-légale. Le Dr Max ne peut pas se permettre de se tromper; la Dre Min n'a pour sa part besoin que de bien faire une seule chose.Le Dr Max a considéré la visite comme une liste de «tâches à accomplir», dont certaines parties peuvent être confiées à d'autres personnes payées moins cher. Pour la Dre Min, la visite s'inscrit dans le cadre d'un travail continu avec son patient, qu'elle guide vers une meilleure santé et une moindre morbidité, et qui assume la responsabilité de ses propres décisions en matière de soins. Elle est irremplaçable.Tout ce que nous faisons implique des compromis. Collectivement, nous devons décider du type de relation médecin-patient que nous souhaitons favoriser dans les années à venir, et du type de valeur que nous voulons attribuer à nos soins.

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