Un pharmacien sanctionné pour une double négligence qui aurait pu avoir de lourdes conséquences

Le rappel à la déontologie du Conseil de discipline de l’Ordre des pharmaciens du Québec (OPQ) est sans équivoque. «Le pharmacien fait plus que simplement compter le nombre de médicaments à servir ou prescrire, remplir des piluliers et voir si les doses et la fréquence de prise des médicaments indiquées à la posologie correspondent à celles qui ont été prescrites. Son rôle n’est pas de simplement vendre des médicaments brevetés et ses gestes ne sont pas simplement mécaniques.» Bien au contraire, insiste le Conseil de discipline dans sa décision rendue dernièrement à l’encontre de Bach Heng Ta, «l’exercice de la profession de pharmacien doit nécessairement impliquer une évaluation intellectuelle du type de médicament dont il est question, ses usages, ses effets et les doses requises pour un patient spécifique, et ce, pour tout service pharmaceutique. C’est une évaluation qui doit être réalisée chaque fois que la thérapie médicamenteuse est remise à un patient». Pour avoir dérogé deux fois à cette obligation de base — vérifier et valider les ordonnances —, Bach Heng Ta, qui est propriétaire d’une pharmacie à Lac-Mégantic, se voit imposer deux amendes, de 3500$ et 4000$. Des montants qui «se situent dans la fourchette de sanctions imposées pour des infractions similaires», indique le Conseil en soulignant qu’ils tiennent également compte des «circonstances particulières des faits en l’espèce». Ceux-ci remontent au 20 septembre 2021. Bach Heng Ta reçoit ce jour-là une ordonnance qui lui a été transférée par une pharmacie située à Blainville. Elle concerne une femme vulnérable, âgée de 37 ans, victime de violences conjugales, qui est polymédicamentée pour plusieurs problèmes de santé physique et psychique. Parmi les traitements prescrits, la patiente doit prendre du «PMS Gabapentin», à raison de deux capsules de 300 mg au déjeuner et de trois au coucher. Toutefois, le pharmacien prépare son pilulier avec du Prégabalin, au lieu du Gabapentin, en respectant la posologie initiale, soit un total de 1500 mg de ce médicament par jour alors que le dosage maximal quotidien recommandé pour le Prégabalin est de 600 mg. Le lendemain, Bach Heng Ta revérifie le pilulier pour examiner la posologie de certains médicaments, mais il ne remarque pas son erreur. Sept jours plus tard, le pharmacien prolonge l’ordonnance de la patiente. Sur cette prescription, il inscrit que l’«Ordonnance originale» visait le Prégabalin et il effectue une «Ordonnance prolongée» pour le même médicament. Transferts successifs Le 16 octobre suivant, Bach Heng Ta transfère son ordonnance erronée à une pharmacie de Saint-Raymond où la patiente vient de déménager. La pharmacienne qui la réceptionne se questionne rapidement sur la posologie anormalement élevée pour le Prégabalin. Comme elle ne peut consulter le DSQ de la patiente en raison d’une panne informatique, elle appelle M. Ta qui lui confirme la posologie pour le Prégabalin, sans se questionner ni vérifier les informations au dossier. Cinq jours après, l’ordonnance erronée est de nouveau transférée dans une autre pharmacie, à La Malbaie cette fois-ci. Le pharmacien qui la réceptionne constate l’impair de son confrère en consultant le DSQ de la patiente. Cette dernière ressentant des étourdissements, il lui recommande de se rendre aux urgences afin d’y faire évaluer son état de santé. Sa consultation s’avérera rassurante, mais il a fallu qu’elle soit sevrée du Prégabalin. Lire aussi: Un pharmacien remplaçant sanctionné pour des vols de psychotropes répétés Le pharmacien malbéen avertit dans la foulée Bach Heng Ta et, quelques jours après, il initie une demande d’enquête auprès du Conseil de discipline de l’OPQ. Dès qu’il est informé par son confrère de La Malbaie, Bach Heng Ta remplit un «formulaire d’évènement», destiné à son assureur, dans lequel il coche les cases «Mauvais médicament» et «Erreur de lecture de l’ordonnance». Il y consigne aussi qu’il a appelé la patiente pour s’excuser et prendre des nouvelles de sa santé. Dans un second temps, il contacte la pharmacie de Saint-Raymond et confirme à sa consœur qu’il avait effectivement commis une erreur lors du transfert de la prolongation de l’ordonnance. Malgré sa diligence a posteriori et les changements qu’il apportés à sa pratique, il n’empêche que Bach Heng Ta a commis «des manquements objectivement très graves», juge le Conseil de discipline de l’OPQ, qui lui reproche d’avoir manqué de rigueur en omettant d’évaluer le médicament en question. Signalant son «rôle pivot», le Conseil rappelle que le pharmacien est le «spécialiste du médicament» et qu’il est «responsable d’assurer la préparation correcte et l’usage approprié» de la thérapie du patient. «Si (Bach Heng Ta) avait respecté ses obligations, il aurait constaté que le Prégabalin n’avait jamais été prescrit à sa patiente et que la posologie recommandée était démesurée et hors-normes.» Facteurs aggravants En outre, la décision souligne qu’après sa négligence initiale, le pharmacien méganticois a exécuté une prolongation d’ordonnance pour du Prégabalin alors que celui-ci n’avait jamais été prescrit à la patiente. «C’était une autre chance de remarquer son erreur initiale en évaluant le médicament, sa posologie et son usage.» Ce que l’intéressé n’a pas fait. «Ce nouveau droit [prolonger une ordonnance, NDLR] et l’élargissement du champ des compétences professionnelles qui en résulte entraînent nécessairement des responsabilités accrues et l’obligation, pour les pharmaciens, de maintenir le plus haut niveau de vigilance», affirme par ailleurs le Conseil. «En exécutant ces nouveaux gestes, qui sont des privilèges importants, les pharmaciens doivent porter une plus grande attention à la protection des patients, du public et de la réputation de la profession.» Lire aussi: Un pharmacien coupable d’inconduites vaccinales Durant l’enquête, Bach Heng Ta ne s’est pas défilé. Il a reconnu et assumé ses responsabilités, en qualifiant ses erreurs d’échecs et en indiquant qu’il ne veut «jamais (les) revivre». Dans cette optique, le professionnel a revu le protocole de la mise en pilulier, révisé les parcours et circuits des médicaments au sein de sa pharmacie et il a travaillé avec son équipe pour identifier les lacunes dans les processus d’exécution des ordonnances. Il a également acheté une machine qui vérifie le médicament compté et servi au patient. Considérant que Bach Heng Ta n’avait pas d’antécédents disciplinaires, et qu’il a fait preuve de repentir et d’autocritique, mais aussi d’introspection en mettant en place des mécanismes de vérification au sein de sa pharmacie pour éviter que ses erreurs se répètent, le Conseil a considéré que son risque de récidive était faible.

Un pharmacien sanctionné pour une double négligence qui aurait pu avoir de lourdes conséquences

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