Un pharmacien coupable d’inconduites vaccinales

Les conclusions du Conseil de discipline de l’Ordre des pharmaciens du Québec sont sans équivoque. Jean-Raphaël Itoua a commis une pluralité d’infractions qualifiées de graves à très graves, sur une durée de plusieurs semaines, qui ont mis à risque la protection du public et miné sa confiance envers la profession. De plus, le pharmacien propriétaire du Lac-Brome a entravé l’enquête du syndic en le mettant sur une fausse piste, puis il n’a pas respecté son engagement de ne pas rééditer les faits en cause. Pour l’ensemble de son œuvre, le pharmacien écope de cinq périodes de radiation pour chacun des cinq chefs d’accusation auxquels il a plaidé coupable: trois à purger simultanément, les deux autres consécutivement, pour un total de cinq mois. À l’automne 2021, Jean-Raphaël Itoua a vacciné au moins 10 patients alors qu’il n’avait pas suivi les formations requises pour effectuer cet «acte invasif» qui doit être posé «de façon sécuritaire», souligne la décision du Conseil, en mentionnant qu’il n’avait donc «pas les notions ou mis à jour ses connaissances relativement à l’immunisation, la vaccination et ses effets secondaires ni concernant les mesures à prendre dans de tels cas». Pire, le pharmacien a laissé une autre personne, pas plus habilitée que lui, administrer le vaccin à un des patients. Dans tous les cas, il n'a pas documenté correctement ces actes. Derrière son comptoir, le professionnel disposait certes des formulaires papier dûment remplis pour les patients vaccinés contre la COVID-19 dans sa pharmacie. Mais ces informations n’ont pas été retranscrites dans leur dossier informatisé. «Une infraction sérieuse», selon le Conseil, puisque la tenue de dossiers constitue «un élément fondamental à la pratique de toute profession du domaine de la santé». Il rappelle que «le dossier tenu par le pharmacien doit permettre à tout patient, ainsi qu’à tout autre professionnel de la santé ayant droit de le consulter, d’y constater notamment la thérapie médicamenteuse, les réactions du client à l’égard de celle-ci et les notes sur l’évolution de son état de santé. Ainsi, l’absence de dossier patient ne permet pas d’assurer un suivi adéquat de ses besoins, car il ne reste aucune trace de l’acte accompli». Durant l’enquête, déclenchée à la demande d’une infirmière ayant travaillé dans son officine, Jean-Raphaël Itoua va manquer d'honnêteté. Au-delà d’être incapable de prouver qu’il détient la formation exigée, il va d’abord nier qu’il a laissé une autre personne vacciner un patient dans sa pharmacie. Contredit par la vidéo de surveillance enregistrée ce jour-là, il va revenir sur sa déclaration et reconnaître que celle-ci n’était pas autorisée à administrer des vaccins au Québec et n’était d'ailleurs même pas une professionnelle de la santé. Entrave au syndic Idem pour cette famille qu’il dit avoir vaccinée sur place le 24 septembre 2021. La vidéo montre qu’elle ne s’est pas présentée le jour dit à la pharmacie. Le pharmacien va alors admettre qu’il a vacciné ces quatre personnes chez lui, le 21 septembre. Pour le Conseil, il a, ce faisant, entravé le travail du syndic, «un manquement grave qui mine la confiance du public, car il a pour effet de retarder le processus d’enquête». À lire aussi: Ils se servaient de leur pharmacie pour couvrir les pertes financières de leur clinique médicale La décision rappelle qu’en devenant membre de l’Ordre des pharmaciens du Québec, Jean-Raphaël Itoua «s’est engagé à participer à la mission de celui-ci et à collaborer notamment avec le Bureau du syndic». Cette obligation de collaboration en est une de résultat et elle est «essentielle au bon fonctionnement du système disciplinaire. Toute contravention à cette obligation compromet le fondement même du système professionnel, car ce manque de collaboration nuit à l’avancement de l’enquête et, en l’espèce, met (le syndic) sur une mauvaise piste. En agissant ainsi, l’intimé manque d’intégrité à l’encontre des instances de son ordre professionnel.» Pour couronner le tout, le pharmacien ne va pas tenir l’engagement qu’il a pris verbalement avec le syndic le 6 octobre et qu’il a confirmé par écrit deux jours après. Il avait alors convenu de ne plus vacciner de patients tant qu’il n’aurait pas la formation requise, celle-ci lui ayant été détaillée par le syndic. Elle comprend quatre modules: une formation de base sur l’immunisation, une sur les techniques d’administration d’un médicament ou d’un vaccin, qui est exclusivement dispensée par l’Ordre, une autre en réanimation cardiorespiratoire, et une dernière sur la consignation des informations au registre de vaccination. Des formations sur la vaccination, mais pas l'essentielle Douze jours après sa promesse, Jean-Raphaël Itoua transmet au syndic des attestations pour des formations sur la «Gestion des vaccins», suivie le 10 octobre, sur la «Vaccination contre la COVID-19», suivie le 15 octobre, ainsi que sur la «Formation de base sur l’immunisation», accomplie le 17 octobre. Contacté par le syndic dès réception de ces documents, car il lui manque la formation obligatoire de l’Ordre, le pharmacien admet tout bonnement qu’il vaccine malgré tout des patients contre la grippe. Rappelé à l’ordre une deuxième fois, il va rapidement suivre deux nouvelles formations: une offerte par la Faculté de médecine de l’Université Laval, qui est intitulée «Formation de base sur l’immunisation», l’autre par la Fondation des maladies du cœur du Canada concernant le cours de «RCR/DEA (SIR: Soins Immédiats en Réanimation)». Mais toujours pas celle donnée par l’Ordre, indispensable pour être autorisé à vacciner. À lire aussi: Une pharmacienne propriétaire coupable de 14 chefs d'accusation «Ne pas respecter un engagement pris envers un syndic, ou encore y contrevenir sciemment, s’apparente à un acte d’entrave» a estimé le Conseil qui a souscrit à une sanction exemplaire pour ce chef d’accusation là (un mois de radiation) en considérant qu’il s’agit d’une «infraction extrêmement grave, car c’est tout le processus disciplinaire qui s’en trouve déconsidéré». Risque de récidive Parmi les facteurs atténuants considérés au moment d’établir les sanctions à son égard, on peut lire dans la décision que le pharmacien a reconnu ses fautes, plaidé coupable et qu’il n’avait pas d’antécédents disciplinaires. Il dit par ailleurs qu’au moment des faits, il se relevait des suites d’une longue bataille juridique avec le franchiseur de sa bannière [Familiprix, NDLR] et son ancien associé, qui a ouvert une pharmacie sous la même bannière à 29 kilomètres de la sienne. En plus d’être très coûteux financièrement, ce litige l’aurait épuisé physiquement et mentalement. Néanmoins, le Conseil a jugé que «fort d’une telle expérience [20 ans de pratique, NDLR], l’intimé devait connaître ses obligations déontologiques et la réglementation applicable, surtout dans un contexte où il est propriétaire de sa pharmacie». Par ailleurs, il a estimé que Jean-Raphaël Itoua, qui «n’a pas manifesté de regrets ou de remords», présente un risque de récidive avéré, car «il n’a pas donné l’heure juste» à l’enquêteur et parce qu’il «a contrevenu à son engagement». Le 17 octobre dernier, jour de son verdict, le pharmacien n’avait pas encore fait parvenir au syndic l’attestation de l’Ordre en matière de vaccination.

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