Un peu de rigueur ne fait jamais tort. Et dans certains cas, c’est essentiel!

On a discuté sur Profession Santé d’une lettre de la Dre Liette Pilon qu’elle a fait parvenir à Médecins Francophones du Canada, le 15 octobre 2014. Elle soulignait un certain manque de jugement de MFC pour avoir invité Mme Véronique Hivon à un symposium. Dre Pilon s’oppose à ce que beaucoup appellent d’emblée l’euthanasie, un mot un brin plus dissonant à l’oreille que aide médicale à mourir dans la dignité. Mais passons.Il y a eu plusieurs commentaires de médecins et de pharmaciens sur cette lettre toujours d’actualité au sujet du projet de loi 52 qui a été adopté le 5 juin 2014.Certaines personnes qui sont contre ce projet de loi ont tôt fait de rappeler les abus auxquels la société québécoise s’exposerait avec une telle législation, en citant des exemples personnels ou bien des histoires qui se sont passées, selon les auteurs, dans des pays comme la Belgique et la Hollande où une telle législation existe.Et c’est là que le bât blesse. Quand on donne des exemples, n’a-t-on pas une obligation morale de vérifier ses sources?On a cru pendant des siècles que la Terre était plate parce que le fameux Sieur Truc Mouche et tous ses bons apôtres l’avaient dit. Galilée a été excommunié parce qu’il affirmait que la terre tournait autour du soleil. Et puis il y a eu Descartes et son doute universel contre la scolastique judéo-chrétienne au XVIIe siècle! Par la suite, je croyais qu’on avait tout réglé avec Voltaire, Diderot et les autres au XVIIIe siècle : le siècle des lumières. On y alors accepté qu’une idée émise même par la plus grande autorité du monde se devait au préalable d’être prouvée avant d’être prise pour du cash!Qui plus est, les médias ont un tel pouvoir d’information et de désinformation. Combien de fois entend-on des gens nous raconter et croire dur comme fer à une histoire sur la seule base que c’est écrit quelque part! En médecine, nous sommes confrontés chaque jour à des charlatans qui offrent de tout pour tout et qui glissent toujours des témoignages de personnes et même d’études faites dans la très grande majorité du temps par d’illustres inconnus et qu’on ne peut retrouver nulle part dans la littérature scientifique.J’ai été à la fois étonné, sonné, presque «knockouté» de lire des propos de ce genre dans cette discussion sur le projet de loi 52.J’en cite quelques-uns :17 octobre 2014, 18h10, Dr Louis Morissette :… « Qu’écrit la Belgique? Il me semble les mêmes mots que le Québec et récemment, un prisonnier reçoit l’euthanasie car il ne veut plus vivre en prison. » (sic)Le 18 octobre 2014, 18h56, Dr Louis Morissette :… « Le délinquant sexuel de l’histoire ci-haut entre dans cette catégorie de même que la jeune de 17 ans, en Hollande, qui a été euthanasiée puisqu’ elle souffrait psychologiquement suite à une rupture amoureuse. De même que le patient quadra qui n’a plus la vie d’antan, le sourd et muet, etc. » (sic)M Philip Morgan, pharmacien, questionne alors Dr Morissette sur cette histoire :Le 19 octobre, 20h10, M Philip Morgan :… « L’histoire de la jeune fille de 17 ans est-elle réelle? Au mieux de mes recherches, il s’agit d’une légende urbaine… » (sic)Le Dr Louis Morissette répond à M Morgan :Le 20 octobre, 19h09, Dr Louis Morissette :… « non pas légende urbaine, à ma connaissance. Le psychiatre a reçu ce qu’on pourrait appeler une réprimande mais pas de sanction et surtout, aucune mention dans le rapport annuel de la commission de révision » (sic)Devant ces histoires un peu surprenantes et surtout celle de la jeune fille qu’on avait euthanasiée à cause d’une peine d’amour, j’ai fait quelques recherches.1. Le prisonnier belge en question est un violeur en série et un meurtrier emprisonné depuis 30 ans et qui demandait à être transféré en Hollande pour y être soigné, ce que la Belgique a refusé. Il était considéré par la justice belge comme incurable et se disait très souffrant en prison. Il a été euthanasié. Mais l’histoire, telle que rapporté par le Dr Morissette, laissait sous-entendre que c’était un cas beaucoup plus banal. On aurait même pu croire qu’on avait euthanasié ce monsieur tout bonnement à cause de la froideur de ses rôties au petit déjeuner. Il fallait honnêtement, et avec plus de rigueur, tout raconter!2. La deuxième histoire était vraiment plus extraordinaire. Euthanasier une jeune femme pour un chagrin d’amour, c’est vraiment pas de la tarte ça!!! Décidément, il s’en passe des choses dans ces pays où euthanasier est permis presque sur demande!Cependant d’emblée, il me semblait qu’une telle histoire aurait fait le tour du monde. On en parlerait certainement in extenso encore et toujours sur le web ou dans les autres médias toutes catégories confondues. Sur Google, vous taperiez «chagrin d’amour» et bingo! vous auriez au moins 50 pages sur cette malheureuse jeune femme.Comme M. Philip Morgan, en dépit de beaucoup de recherches, je n’ai pas retrouvé un iota sur cette histoire. Et ça m’a beaucoup surpris. Et ce n’était pas la première fois, il me semble, que d’autorité on citait ce fait pas banal du tout!J’ai alors décidé d’aller aux sources...Page 1/3J’ai communiqué avec la Société Royale de Médecine de Hollande. Ma demande s’adressait à un organisme : je n’étais pas sûr d’avoir une réponse. Et de fait, je n’en ai pas eu.J’ai donc poussé plus loin mes recherches sur ce sujet. J’ai découvert alors un document sur la sédation terminale en Hollande où des experts étaient consultés.J’ai retenu le nom d’un d’entre eux. Fichtre, il était même sur Wikipedia! Dr den Hartogh est un éminent philosophe, théologien et éthicien hollandais. J’ai retracé son adresse de courriel et je lui ai envoyé un mot le 22 octobre dont voici la copie intégrale :De : leo lasalle [mailto:leolasalle@sympatico.ca]Envoyé : 22 octobre 2014 6:05 PMÀ: Hartogh, Govert den (G.A.denHartogh@uva.nl)Objet: Euthanasia in HollandDear Dr den Hartogh,I founded your name as a major philosopher and ethicist in Holland and I thought you could provide me with an answer.We are having an important debate in the province of Québec, Canada on the termination of life in some patients (terminally ill).This is provoking a major debate between the pros and the cons.There is also a major division between physicians.Some doctors who are against it are always coming with example of abuse and very often they cite this story that supposedly happened in your country.It is the story of a young woman, aged 16 or 17, who was allowed to be euthanatized by a psychiatrist because she was suffering from a depression after a separation from her boyfriend!This is quite a surprise to me and I cannot honestly believe that this story is true or that there were other major elements if this decision was taken in your country.But I cannot find anything on this subject on the web.The people telling this story also add that the psychiatrist in question was only the object of a reprimand from the Royal Dutch Society of Medecine!Can you provide me with more details on this story?Have you heard about it before? Is it only an urban legend? And if not, what are the important details on this subject?I thank you very much in advance for taking the time to read my email and I do hope that I will hear back from you very soon (not putting any pressure!),Yours truly, and hoping that you are in good health!Leo Lasalle mdMontreal, CanadaComme j’étais un peu impatient et pour être sûr d’avoir une réponse, j’ai envoyé le 23 octobre, à 17 h 53 un courriel identique à la Dre Marian Verkerk, éthicienne hollandaise qui était aussi citée dans le même document sur la sédation terminale en Hollande.Comme je n’avais toujours pas de réponse, j’ai communiqué avec un ami, neuroradiologiste d’origine hollandaise à Toronto, lui demandant essentiellement s’il ne connaissait pas en Hollande des personnes ressources à ce sujet. Malheureusement, le professeur Karel G. ter Brugge est à la semi-retraite et ne m’a pas répondu encore.J’étais désespéré et je m’apprêtais à écrire un courriel au Prof Patrick Brouwer, neuroradiologiste en Hollande que je connais aussi, toujours pour lui demander le nom de personnes ressources.J’ouvre mon ordi mercredi matin, le 30 octobre, bien décidé à communiquer avec Dr Brouwer. Miracle !!! Alleluia !!! Eurisko !!! DjeeWiz !!! J’avais reçu pendant la nuit une réponse du professeur den Hartogh qui s’excusait même d’avoir tardé. Il me répondait au sujet de cette jeune fille en m’envoyant un courriel assez complet sur le sujet et sur les mécanismes de contrôle et de sanction dans son pays.Voici une copie du texte intégral du courriel du Dr den Hartogh reçu le 30 octobre :Van: leo lasalle [leolasalle@sympatico.ca]Verzonden: woensdag 30 oktober 2014 6:58 AMAan: Hartogh, Govert denOnderwerp: Euthanasia in HollandDear Dr. Lasalle,My apologies for this late response. (I was on a holiday.) As you suspect the story you report is clear fantasy. Cases of euthanasia and physician-assisted suicide are evaluated by 5 regional review committees (you can find English translations of their annual reports on their website). The committees decide whether the doctor's action did satisfy the legal requirements of due care. If they classify the action as 'not careful', the case goes to the Public Prosecutor who decides whether or not to prosecute the doctor. So I take the 'reprimand' in your story to refer to a 'not careful' decision by one of the committees. Until recently psychiatric cases (not including cases of dementia) were almost non-existent. But in 2011, 2012 and 2013 resp. 11, 12 and 42 cases have been reported. All these cases, however, have been considered 'careful' by the committees. Moreover, none of these cases (and as far as I know no non-psychiatric case either) concerned a minor. Such a case, whether 'careful' or 'not-careful', would have been extensively discussed in the annual report (and in the media).One of the requirements of due care is that the doctor has received advice from an independent consultant. These consultants almost invariably belong to a network of physicians, organized by the Royal Dutch Society of Medicine, who have received special training. In this training a case like the one you describe is standardly discussed as a clear example of a case in which the requirement is not met that the patient's suffering should be hopeless and cannot be relieved in any other way. So I can hardly imagine such a case ever to occur, but certainly not its being approved by the consultant, or being dismissed by the Public Prosecutor.Best wishes,Govert den HartoghFiat lux!!! «Clear fantasy» que m’a écrit en toutes lettres le Dr den Hartogh, c’est-à-dire légende urbaine produite de l’imagination ! Et jamais eu de cas de mineur euthanasié non plus. Et tout le monde en aurait parlé. Dossier classé donc pour cette prétendue vérité racontée par Dr Morissette. Et si on ne retrouvait aucune mention dans le rapport annuel, ce n’était pas pour minimiser le geste ou, pire encore, pour le dissimuler au reste du monde ! C’est tout bonnement parce que cette histoire n’a jamais eu lieu, que c’est une pure invention relevant de je ne sais trop qui et probablement pour induire les bonnes gens en erreur.Page 2/3Un peu plus de rigueur ne fait jamais tort et devient même essentielle quand on discute sur la place publique via les médias.Le 23 octobre 2014, à 19h44, toujours sur le même site, Dre Liette Pilon écrit et je cite :… « Des histoires j’en aurait aussi : une patients âgée, avec quelques problèmes de santé, fracture de la hanche, entrée bien consciente qui eut mal quand on l’a bougé et qui décéda juste après sa piqûre pour la douleur. Des patientes dans le coma suite à des encéphalites où on «pressait» les familles de débrancher mais qui se sont réveillés sans séquelles après quelques mois. Pressions des familles, parfois épuisées parfois égoïstes pour achever… Pressions administratives pour «libérer des lits» (ex patients à qui on donne congé sans s’assurer de transfert en convalescence, qu’ils se débrouillent).Ce n’est pas la norme heureusement mais cela arrive et plus souvent qu’on pense. » (sic)Je retrouve dans ces lignes toujours un peu de manque de rigueur, ou de petits détails qui me titillent.Vous connaissez le sophisme du Post Hoc Ergo Propter Hoc ? Après cela, donc à cause de cela. Plus simplement, établir un lien de causalité entre deux événements parce qu’il y a un lien dans le temps. Par exemple: elle a accouché après avoir mangé des chips au fromage et à l’aneth, donc elle a accouché à cause des chips au fromage et à l’aneth!Il en va de même pour cette dame qui est décédée juste après sa piqûre pour la douleur. Qu’est-ce qui permet de laisser entendre que de lui donner de la morphine a été un geste similaire à de l’euthanasie ? Je ne m’étendrai pas sur les multiples causes qui ont pu causer son décès. Ça prendrait l’équivalent de Harrison ou presque ! Et, en plus, la bonne dame était très souffrante. Elle avait tout de même une fracture de la hanche, pardi. Ce genre de douleur ne peut, dans la majorité des cas, être soulagée que par des opiacés, et on a bien fait de lui en donner. J’applaudis ce geste. Tout médecin a le devoir d’au moins soulager la douleur dans des cas comme celui-là. Bien avant le primum non nocere, il y eut et il y a toujours le primum allevare.Et puis, Dre Pilon mentionne ces patientes dans le coma suite à des encéphalites où on pressait des familles à débrancher…Des comateuses au pluriel ? Et ces pressions qui viennent des familles ou des médecins ou, encore mieux, des administrations pour pouvoir libérer des lits !Combien parmi vous avez déjà fait l’objet de pression administrative pour vous faire débrancher un patient afin de libérer un lit ? Combien ? Combien de vos patients avec encéphalites et déficits ont-ils été mis à la porte en quittant d’urgence l’hôpital pour être transférés à la maison, toujours pour libérer des lits ?Et si vous faites une recherche sur le net, trouvez-vous de ces histoires sordides de débranchement commandé pour libérer des lits ? Et on n’en aurait pas parlé dans les médias ? Silence radio total ? Machination diabolique du lobby international pro-euthanasie ?Dans n’importe quelle discussion sérieuse, surtout si on utilise les médias, il faut un minimum de rigueur dans ses propos. Et quand on aborde un sujet tel que ce projet de loi qui permettrait de mourir dans la dignité, il faut le faire encore plus… sinon c’est faire preuve, pour étayer ses propres croyances, d’une forme pernicieuse de paresse intellectuelle. Je n’emploierai pas le mot «malhonnêteté» intellectuelle. J’ai trop de respect pour ceux qui ne pensent pas comme moi. Mais je me fais un devoir de vérifier mes sources… et celles des autres.Page 3/3

Un peu de rigueur ne fait jamais tort. Et dans certains cas, c’est essentiel!

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