Un héros ordinaire de la première ligne

Une gêne terrible. C’est l’émotion qu’a spontanément ressentie le Dr Stephen Di Tommaso lorsqu’il a appris que le Collège québécois des médecins de famille (CQMF) lui décernait le prix du Médecin de famille de l’année 2025. Une distinction que le jury lui a remise en raison de son «engagement soutenu, depuis plus de 40 ans, envers une médecine de proximité, humaine, accessible et empreinte d’empathie (qui) en fait un modèle de rôle».«Je n’aime pas parler de moi-même ni promouvoir ma personne», explique en entrevue l’omnipraticien qui ne se voit vraiment pas comme un héros. «Ou si j’en suis un, je suis un héros de la classe ouvrière des médecins, pas un brillant clinicien qui obtient le prix Nobel. Moi, je représente celui qui rentre à tous les jours, qui travaille comme un fou, qui fait du mieux qu’il peut pour ses patients. Il y a beaucoup de médecins comme ça, qui travaillent dans l’obscurité.»Selon le Dr Di Tommaso, bien d’autres omnipraticiens auraient pu remporter ce prix honorifique et se retrouver aujourd’hui dans la lumière. Alors pourquoi lui? «Je me suis impliqué dans tous les comités du CQMF. Puis j’ai formé tellement de médecins. C’est simple, tout le monde me connaît», observe-t-il malicieusement. «Je suis le plus connu et le plus visible, pas le meilleur. Voilà pourquoi ils m’ont choisi!»Il est vrai que l’omnipraticien a enseigné à un nombre incalculable de consœurs et confrères. Que ce soit en supervisant des externes et des résidents en médecine familiale au CLSC des Faubourgs, au centre-ville de Montréal, où il exerce depuis 1987. Ou en donnant des cours à la Faculté de médecine de l’Université de Montréal, où il est toujours professeur agrégé de clinique au département de médecine de famille et de médecine d’urgence.Enseignant par hasardSa carrière d’enseignant ne tiendrait pourtant qu’à un concours de circonstances. «Je ne me suis jamais battu pour un poste. 95% des choses que j’ai faites relèvent du hasard», assure l’omnipraticien. Par exemple, son premier cours de réanimation néonatale, c’était pour remplacer une collègue en congé. Puis ce cours optionnel est devenu obligatoire. La faculté l’a sollicité et il a accepté cette charge de cours au long cours. «Quand il y a un besoin, je dis toujours oui», s’excuserait presque le Dr Di Tommaso. Petit à petit, il est devenu responsable de ce cours de réanimation néonatale et il en a donné bien d’autres, en médecine familiale, mais aussi en médecine d’urgence et en obstétrique, ses deux spécialités secondaires qu’il a longtemps pratiquées à l’Hôpital Saint-Luc qui fait désormais partie du CHUM, le Centre hospitalier de l’Université de Montréal. «J’étais rendu sur plein de comités au Québec et au Canada. C’était accaparant, mais très enrichissant sur le plan scientifique. J’étais entouré de gens intelligents, on discutait des orientations pédagogiques, c’était stimulant», relate le médecin.Lire aussi: Distinctions du CMQ: huit médecins récompensésBesoin à comblerSur son site web, le CMQF le présente comme «un pionnier dans les soins aux femmes enceintes toxicomanes sous traitement de substitution au Québec.» Là encore, ce serait un concours de circonstances conjugué à un besoin à combler. Dans les années 1980, le Dr Pierre Lauzon était son voisin de bureau au CLSC des Faubourgs. Quand son confrère a créé le premier programme public de substitution à la méthadone, il est venu cogner à sa porte. «Comme je faisais de l’obstétrique, il m’a demandé si je pouvais suivre ses patientes enceintes héroïnomanes. J’ai dit oui et de fil en aiguille, je me suis intéressé à ces femmes-là», raconte le Dr Di Tommaso.Après avoir quitté sa pratique au service des urgences et en obstétrique, avec le désir de lever un peu le pied — «J’étais tout le temps en train de courir dans le métro» —, le médecin de famille n’a pas su dire non. En plus de sa patientèle au CLSC, il s’est impliqué dans les soins à domicile, les soins palliatifs et depuis quelques années, il prodigue l’aide médicale à mourir. Parallèlement, il a également répondu à l’appel pour prêter main-forte en CHSLD. Depuis huit ans, il consacre une demi-journée par semaine au CHSLD Émilie Gamelin auprès d’une clientèle ayant de sérieux troubles du comportement. «Je l’ai fait par devoir», avoue-t-il en admettant qu’il avait auparavant cherché à éviter cette pratique. «J’avais des préjugés très forts, mais le besoin était là…»Lire aussi: Débordé, passionné ou accro au boulot?Pratique dense et richeLa richesse et la diversité de sa carrière, il la doit aussi, et surtout, à la médecine de famille. «C’est une spécialité moins profonde que les autres, mais tellement plus large. Notre éventail d’interventions est tellement diversifié. On couvre tous les systèmes, toutes les maladies et tous les groupes d’âge. On peut développer des champs d’expertise divers et variés et on peut avoir des dadas», détaille avec enthousiasme l’omnipraticien, en prêchant pour sa paroisse.Revers de la médaille, le Dr Di Tommaso reconnaît lucidement que sa spécialité s’est «pas mal complexifiée», depuis son inscription au tableau de l’ordre en 1984. À l’époque, «les traitements étaient très simples et beaucoup moins nombreux. Les gens avaient aussi moins de maladies», observe le clinicien qui regrette que le médecin de famille ait perdu son rôle dans les maladies dites organiques. «On nous cantonne plus dans la gestion des risques cardiovasculaires, dans le suivi des maladies chroniques comme le diabète et la prise en charge des troubles psychosociaux», observe-t-il en déplorant également l’accroissement de la paperasse au fil du temps. «C’est une plaie. On pourrait en faire sans cesse.»Lire aussi: Où s’en va la médecine de famille?À l’orée de ses 70 ans, l’omnipraticien voit sa retraite arriver d’ici deux ou trois ans. Une perspective qui ne l’enchante guère. «J’hais ça. Ce n’est pas pour moi. J’aime encore beaucoup ce que je fais», précise-t-il en ajoutant qu’il n’aura cependant pas le choix de raccrocher son stéthoscope. «Je m’y prépare en participant à des ateliers. Je ferais autre chose que de la médecine, mais je ne sais pas trop encore quoi». Seule certitude: vous ne le croiserez pas sur un terrain de golf ni sur une plage en Floride!

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