Trois pharmaciens coupables des mêmes négligences dans l’exécution d’une ordonnance

Trois pharmaciens travaillant dans la même officine — la pharmacie Jean Coutu de Joseph Amiel, à Dorval — viennent d’être sanctionnés par le Conseil de discipline de l’Ordre des pharmaciens du Québec (OPQ) pour les mêmes motifs.Les trois ont tour à tour pris en charge une patiente atteinte d’un diabète de type 2 (DT2) non maîtrisé et les trois ne lui ont pas délivré un antidiabétique oral que son médecin lui avait prescrit. Ils n’ont pas non plus exercé de surveillance de sa thérapie ni consigné à son dossier les informations qu’ils disent avoir obtenues et les interventions qu’ils disent avoir faites. Ils ont ainsi contrevenu aux articles 33 et 41 de leur Code de déontologie.Outre la «gravité objective» de leurs infractions, de même que leur durée (elles se sont produites sur une durée de neuf mois), le Conseil de discipline a rappelé à Céline Kaplo, Cherine Dawoud et Monica De Luca que «le pharmacien a une obligation d’analyse et de vérification lors de l’exécution de toute ordonnance, de même que lors de son renouvellement, et ce, afin d’assurer la validité de la thérapie médicamenteuse administrée au patient». D’autant plus que la situation de la patiente en question «militait pour une vigilance accrue», souligne la décision du Conseil qui enfonce le clou en spécifiant que «les pharmaciens ne sont pas de simples exécuteurs d’ordonnances».Âgée de 54 ans, la patiente à l’origine de la demande d’enquête contre les trois pharmaciens est suivie pour un diabète de type 2. Le 8 mars 2021, son endocrinologue procède au renouvellement de ses diverses médications auxquelles il ajoute de l’InvokanaMD, un antidiabétique de la famille des gliflozines qu’il prescrit pour 12 mois, à raison d’un comprimé de 100 mg par jour.Dans le cadre de son enquête, la syndique adjointe en charge du dossier a entrepris des démarches afin d’identifier le ou les pharmaciens responsables des services pharmaceutiques en lien avec cette ordonnance d’Invokana. Il en ressort que le 8 mars 2021, une première pharmacienne valide ladite ordonnance et l’inscrit au dossier de la patiente. Trois jours après, 30 premiers comprimés d’Invokana sont délivrés à la quinquagénaire. Par la suite, elle n’en recevra plus jusqu’à ce qu’elle rencontre sa médecin de famille, presque un an après.Déconcertée que l’état de sa patiente ne s’améliore pas, l’omnipraticienne lui demande si elle prend bien l’Invokana. Celle-ci lui répond qu’elle n’a aucune idée de ce dont elle parle. La femme contacte alors sa pharmacie qui confirme que ce médicament ne lui a été remis qu’une seule fois et que, par erreur, il ne lui a plus été délivré ensuite.«Lorsqu’il fournit un service pharmaceutique à un patient, le pharmacien doit évaluer et assurer l’usage approprié de sa thérapie médicamenteuse afin notamment de détecter et de prévenir les problèmes pharmacothérapeutiques.» - article 33 du Code de déontologie des pharmaciens«Le pharmacien doit inscrire au dossier du patient les actes professionnels qu’il a accomplis dans le cadre des services pharmaceutiques qu’il lui a fournis lorsque ces actes requièrent un suivi.» - article 41 du Code de déontologie des pharmaciensL’enquête de la syndique montre qu’entre le 3 avril et le 30 décembre 2021, Céline Kaplo a consulté le dossier de la patiente à huit reprises. La pharmacienne dit qu’elle l’a «analysé globalement pour diverses activités», dont quatre concernaient des médicaments en lien avec le diabète. Entre le 24 avril et le 27 novembre 2021, Cherine Dawoud a pour sa part consulté six fois le dossier de la quinquagénaire, dont quatre fois en lien avec sa médication pour le DT2. Quant à Monica De Luca, elle s’est reportée cinq fois au dossier de la patiente entre le 31 mai et le 1er novembre 2021, dont trois fois au sujet de ses traitements pour le diabète.La décision mentionne qu’aucun des trois pharmaciens n’a ajouté de note au dossier de la patiente indiquant que leurs interventions ont eu pour but de «vérifier la raison (s’il y en a une) pour laquelle la patiente n’avait pas demandé de renouveler le médicament Invokana».Surveillance inadéquate de la thérapieAu-delà, la syndique adjointe a fait appel à la pharmacienne Julie Couture afin qu’elle apporte un éclairage sur les normes professionnelles applicables dans ce dossier. Son rapport d’expertise est sans appel pour les trois collègues. «Dans le cadre d’une bonne pratique et d’un comportement attendu d’un pharmacien prudent et diligent, la surveillance de la thérapie pour le diabète ne peut être séparée du suivi de l’Invokana», écrit-elle en expliquant que plusieurs éléments de suivi devaient être vérifiés de façon continue et régulière. Le pharmacien doit notamment «vérifier si les informations du patient au dossier sont à jour: poids, taille, clairance de la créatinine, allergies, intolérances, etc.». Dans le cadre de la surveillance de la thérapie médicamenteuse, il doit spécifiquement «s’assurer que les paramètres objectifs sont colligés au dossier et sont les plus récents», souligne l’experte. En l’occurrence, il se serait agi de l’hémoglobine glyquée, de la clairance de la créatinine et de la kaliémi. «Cette consultation est également l’occasion de vérifier l’adhésion aux traitements et de prendre connaissance des suivis à effectuer, si par exemple, il y a des notes à cet effet, ou lorsqu’un nouveau médicament a été débuté récemment», souligne Julie Couture.Lire aussi: Ententes frauduleuses et transactions de stupéfiants: un pharmacien condamné à 45 000$ d'amendesSelon elle, «l’absence au dossier de consignation de valeurs d’HbA1c ou de glycémies capillaires en plus grande quantité et selon les fréquences recommandées, rendent difficiles, voire impossibles, l’évaluation du contrôle du diabète par (les trois pharmaciens) durant la période de mars 2021 à février 2022». Les intéressés n’ont donc pas pu constater que la patiente n’atteignait pas ses cibles thérapeutiques et que sa médication n’était pas optimale. L’experte en conclut «qu’une surveillance adéquate de la thérapie de cette patiente n’a pas été effectuée comme on se serait attendu d’un pharmacien prudent et diligent». Une conclusion à laquelle se rallie le Conseil de discipline.À l’audience, Céline Kaplo, Cherine Dawoud et Monica De Luca ont reconnu leurs manquements et plaidé coupables aux deux chefs d’infraction dont ils devaient répondre. Depuis, les trois collègues qui n’avaient pas d’antécédent disciplinaire affirment qu’ils ont modifié leur pratique professionnelle, notamment en consignant davantage d’informations aux dossiers de leurs patients et en portant une vigilance accrue à l’historique de leurs ordonnances. En outre, Cherine Dawoud, qui est le plus expérimenté des trois, a complété une formation de l’Université Laval sur les soins pharmaceutiques en diabète.Jugeant que leur risque de récidive est faible, le Conseil de discipline a imposé deux amendes de 2500$ et 5000$ à Céline Kaplo et Cherine Dawoud. Monica De Luca écope elle aussi de deux amendes: l’une de 2500$, mais l’autre de 4500$, vraisemblablement parce qu’elle est intervenue une fois de moins que ses collègues dans la prise en charge de la patiente.

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