Triage à l’urgence: l’IA plus rapide et plus précise que les infirmières

Derrière chaque décision d’hospitaliser ou non un patient se cache un équilibre subtil entre jugement clinique et contraintes organisationnelles. À l’urgence, cette évaluation rapide repose essentiellement sur les compétences et l’expérience des infirmières, qui doivent apprécier en quelques minutes la pertinence d’une admission. Mais la précision de cet exercice reste limitée, observent les auteurs de cette étude publiée dans la revue Mayo Clinic Proceedings: Digital Health, convaincus que «la capacité de prévoir les admissions dès le triage pourrait améliorer considérablement l’efficacité opérationnelle et la qualité des soins».Dans le but de résoudre cette problématique, une équipe du réseau hospitalier du Mount Sinai Health System, à New York, a comparé de façon prospective le tri effectué par des infirmières à celui d’un modèle d’apprentissage automatique. L’objectif était double: mesurer la performance relative de l’IA et vérifier si la combinaison des deux approches pouvait renforcer la fiabilité du triage.À consulter: Coloscopies: l’utilisation de l’IA rend-elle les médecins moins compétents?Ce modèle d’apprentissage automatique a été entraîné sur 1,82 million de visites répertoriées entre 2019 et 2023 dans six hôpitaux accueillant près de 500 000 passages annuels aux urgences. Deux sources d’information étaient mobilisées: les données structurées (caractéristiques démographiques, antécédents médicaux, constantes vitales) analysées par l’algorithme XGBoost, et les notes textuelles de triage traitées par le modèle de langage Bio-Clinical BERT. L’évaluation prospective a ensuite porté sur 46 912 visites enregistrées entre septembre et octobre 2024, période durant laquelle les infirmières de triage formulaient systématiquement un jugement binaire («admission» ou «non-admission») qui était confronté à celui de l’IA.Les résultats sont parlants. Les décisions des infirmières ont affiché une précision globale de 81,6% (IC à 95% de 81,3 à 81,9) et une sensibilité de 64,8% (IC à 95% de 63,7 à 65,8). La machine en revanche atteignait une précision de 85,4% (IC à 95% de 85,0 à 85,7) et une sensibilité de 70,8% (IC à 95% de 69,8 à 71,7). «L’IA a surpassé les décisions des infirmières dans toutes les mesures clés», soulignent les auteurs. L’association des deux sources d’information (humaine et numérique) n’a pas amélioré les performances, suggérant la robustesse de l’IA en autonomie.À lire aussi: Quand l’IA améliore et accélère la prise en charge à l’urgence au QuébecCes constats doivent être interprétés à la lumière de leurs implications pratiques. Dans la discussion, les chercheurs notent que «l’intégration d’un modèle de prédiction automatisé directement au triage permettrait d’anticiper plus tôt les admissions et de mieux orienter les flux de patients». La fiabilité accrue de l’IA pourrait contribuer à réduire les délais de prise en charge, à limiter le temps passé sur une civière faute de lit disponible et à améliorer la planification en temps réel des ressources hospitalières.Améliorer la gouvernance des soinsAu-delà de la comparaison homme-machine, les auteurs estiment que «l’automatisation de la prédiction d’admission représente une opportunité pour repenser la gestion des urgences». Contrairement aux scores cliniques traditionnels, le modèle s’adapte aux données locales et exploite la richesse des notes de triage. La perspective n’est pas de remplacer le jugement des infirmières, signalent les chercheurs, mais de développer un outil d'aide à la décision dans un environnement foisonnant où chaque minute compte.Ils restent toutefois prudents: leur étude s’est déroulée dans un réseau hospitalier unique et sur une période de test limitée à deux mois. Avant une adoption généralisée, l’outil devra être validé dans d’autres contextes cliniques et intégré aux flux numériques des urgences. Une étape cruciale consistera à évaluer son impact réel sur les indicateurs de performance – temps d’attente, durées de séjour, taux d’hospitalisation non planifiée – ainsi que sur l’expérience des patients et des équipes.À lire aussi: ChatGPT: ses interactions alarmantes avec les adolescentsSelon les auteurs, l’IA pourrait devenir un levier stratégique pour l’allocation dynamique des lits, la réorganisation des flux et la réduction des coûts liés aux engorgements. Elle pourrait aussi, à terme, être couplée à d’autres outils prédictifs afin d’identifier plus précocement les patients à haut risque de complications. Leur étude rappelle ainsi que l’intelligence artificielle n’est pas seulement une innovation technologique: utilisée à bon escient, elle peut transformer la gouvernance des soins aigus.Référence:Nover J, Bay M, Tismina P et coll. Comparing Machine Learning and Nurse Predictions for Hospital Admissions in a Multisite Emergency Care System. Mayo Clinic Proceedings: Digital Health, Volume 3, Issue 3, 100249. DOI: 10.1016/j.mcpdig.2025.100249

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