Transition vers les biosimilaires: sera-t-on au rendez-vous à Pâques?

«La transition vers les médicaments biosimilaires continue de progresser», affirme une porte-parole du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS). Impossible cependant de savoir si cette progression va bon train, les demandes répétées de ProfessionSanté.ca pour obtenir des données à ce sujet sont restées lettre morte, le MSSS se contentant de répondre par courriel qu’il «travaille de concert avec ses partenaires pour que le changement se déroule bien chez les patients». Parmi ces partenaires figurent les associations des gastroentérologues, des dermatologues et des rhumatologues du Québec que le MSSS consulte périodiquement (voir encadré). Or, lors de leur dernière rencontre au début de l’automne, les représentants du Ministère ont communiqué un chiffre aux participants: 2 % des patients traités à l’Humira — une des dix molécules biologiques de référence visées par la transition — étaient alors passés à un équivalent biosimilaire. Ce chiffre ne surprend pas vraiment le conseiller spécial de l’Alliance des patients, Michel Bissonnette. «Ce n’est pas encore un sujet d’actualité. Actuellement, on constate que les patients, comme leur médecin, ne se précipitent pas. C’est un peu comme les pneus d’hiver, on attend la dernière minute», observe-t-il. Annoncé le 18 mai dernier par Christian Dubé, le virage vers les médicaments biosimilaires a été enclenché début juillet par la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ) et doit être accompli d'ici le 12 avril 2022, date butoir fixée par le ministère de la Santé. Grand écart de chiffres Ces deux pour cent ont en revanche fait sourciller le président de l’Association des médecins rhumatologues du Québec (AMRQ), le Dr Frédéric Morin. «Nous n’avons pas les mêmes chiffres que le MSSS. Eux comptabilisent le nombre de prescriptions, nous, le nombre d’inscriptions pour des biosimilaires auprès de la RAMQ», indique-t-il en précisant que le décalage s’explique par le fait que les patients ne vont pas aussitôt chercher leur nouveau traitement, car il leur reste fréquemment des doses de leur médicament biologique pour un, deux ou trois mois. «On ne prend pas la photo au même endroit», confirme la présidente de l’Association des gastro-entérologues du Québec (AGEQ), la Dre Mélanie Bélanger. Selon elle, ces deux pour cent ne sont pas représentatifs des efforts accomplis par ses pairs. «Notre perception est qu’on en a fait plus que ces chiffres le disent, et les gens du Ministère l’ont bien compris», affirme la praticienne. Elle souligne par ailleurs que les gastroentérologues approuvent le principe de cette transition et qu’ils sont «engagés dans le processus». En considérant les inscriptions, et non pas les prescriptions, l’AMRQ estime qu'au début de l'automne, les médecins avaient accompli la transition pour 15 à 20 % des patients concernés en rhumatologie — qui représentent un peu moins des deux tiers des 55 000 patients visés au total par le processus. La transition sera faite pour tous d’ici le 12 avril, assure le Dr Morin: «Nous allons faire mieux que d’autres provinces en moins de neuf mois.» Un temps certain et un certain temps Le rhumatologue indique que ses collègues et lui privilégient les rendez-vous en personne avec leurs patients, souvent à l’occasion du renouvellement de leur prescription, pour favoriser la transition et limiter le risque d’effet nocebo. «Pour que ce soit un succès, il y a une confiance à instaurer et ça peut prendre du temps.» Un temps à multiplier par un grand volume de patients. «J’en ai 600 sous traitement biologique, tous ne sont pas transférables, mais ça fait un bon nombre quand même», signale le président de l’AMRQ qui dit se relever les manches afin de les rencontrer. «Comme tout changement, ça prend un temps d’adaptation et il y a des obstacles à lever», souligne pour sa part la présidente de l’AGEQ qui pense entre autres à la paperasse reliée aux transferts ou au fait que les gastroentérologues ont dû s’acclimater aux nouvelles molécules biosimilaires approuvées en 2021 pour l’adalimumab. Partenaires de la cellule de travail du MSSS, les dermatologues sont un peu moins concernés par la transition. «On a très peu de patients à rencontrer, car en dermatologie, les agents biologiques visés, comme l’infliximab ou l’étanercept, sont de moins en moins utilisés», explique la présidente de l’Association des médecins spécialistes dermatologues du Québec (AMSDQ), la Dre Dominique Hanna, qui n’en demeure pas moins impliquée sur ce dossier.«On organise un webinaire sur la question en janvier prochain afin de sensibiliser nos membres de vive voix, leur donner des renseignements et des conseils. On veut être proactif, car on sait que tôt ou tard, de nouveaux biosimilaires seront disponibles pour les traitements dermatologiques. Des patients ouverts En tout cas, si l’objectif n’est finalement pas atteint le 12 avril, le blâme ne sera pas à mettre sur les patients. «Avant la pandémie, on avait peur qu’ils voient ça d’un mauvais œil, mais ils sont très réceptifs. Ils semblent plus ouverts à l’idée que le réseau de la santé doit faire des économies», note la Dre Bélanger. «Jusqu’ici, la réception des patients est au-delà de nos espérances», déclare également le Dr Morin. «Ils comprennent qu’on va faire des économies d’échelle [de l’ordre de 100 millions de dollars par an, selon le MSSS] avec des produits de qualité», ajoute le rhumatologue qui estime qu’on pourrait en faire davantage pour favoriser les biosimilaires, en prenant acte que les médecins spécialistes sont écœurés par les tâches administratives et cléricales. Il prend pour exemple l’Humira, qui va bientôt être retiré de la liste de la RAMQ et pour lequel six biosimilaires sont approuvés. «J’ai malgré tout à ma disposition cinq autres anti-TNF qui sont des nouvelles molécules biologiques. Un bon incitatif pour encourager la prescription des biosimilaires serait de réduire la paperasse associée à ces prescriptions. Croyez-moi, si j’ai moins de formulaires à remplir pour un médicament biosimilaire, c’est lui que je vais choisir!»

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