Télémédecine: communiquer est un art et une science

La communication est importante en médecine. Elle est essentielle même. Enfin, pour certains domaines peut-être plus que pour d'autres. Oui, un dermatologue doit expliquer une éruption cutanée, un neurochirurgien, une opération, un pathologiste peut s'adresser à une famille en deuil. La communication est principalement verbale (un interrogatoire autour d'une douleur thoracique, par exemple), mais l’apport du visuel n’est pas à négliger (vous notez une ecchymose, un tremblement). En fait, la communication couvre tous les sens, et fonctionne dans les deux sens. C'est pourquoi la télémédecine représente un grand défi. Vous ne pouvez vous fier la plupart du temps qu'à un seul sens: l'ouïe. Et l'heure tourne. On dit que tout est question de première impression. Les patients peuvent-ils (a) vous entendre (b) comprendre votre accent (c) confier leurs plus profondes inquiétudes à cet étranger au téléphone? Ils ont lu sur RateMyDoctor que vous êtes froid et insensible, vous avez donc peu de chances de gagner leur confiance. «Bonjour, Mme Elmes», lancez-vous de manière engageante. «C'est le Dr Robinson à l’appareil. Votre médecin traitant m'a demandé de vous contacter au sujet de vos douleurs thoraciques.» S’ensuit un silence embarrassant, puis une voix masculine et bourrue: «Est-ce que c’est une arnaque? Nous recevons beaucoup d’appels comme ça, vous savez.» Vous reprenez de zéro. Vous lui rappelez que vous connaissez la date de naissance de sa femme et son numéro de dossier. «Non, non, M. Elmes, c'est le Dr Robinson. Votre femme peut-elle venir au téléphone?» Vous entendez Jacques crier à Agnès. Il y a un bruit de casseroles, le chien jappe et une porte s'ouvre en grinçant... Ça a beau être important, vous avez maintenant cinq minutes de retard sur votre horaire. «Allo?» dit-elle. Vous l'imaginez en train de d’essayer de mettre son téléphone sur haut-parleur, ce qu'elle fait rarement. Une confession à l'église doit ressembler un peu à cela: d'abord, vous commentez la météo, le dernier scandale politique ou l'état des soins de santé locaux. Je lui fais savoir que cet appel pourrait durer 30 à 40 minutes, et que nous ferons le point sur sa santé cardiaque. Je passerai en revue les résultats de ses tests et je la verrai au cabinet pour un examen si nécessaire. Vous savez maintenant qu'elle fait de la tachycardie, qu'elle transpire et qu'elle a les yeux exorbités. Des questions douces comme «Comment allez-vous ces jours-ci?» sont préférables à «À quand remonte votre dernier frottis?». Du moins pas avant que vous ayez établi une sorte de relation professionnelle. «Quel âge avez-vous? Êtes-vous à la retraite? Avez-vous des enfants?» sont généralement des questions rhétoriques – vous connaissez probablement déjà les réponses. Mais elles permettent aux patients de s'ouvrir, comme lorsqu'ils vous parlent de leurs vacances au Mexique et des allergies de leur sœur Betty, ou des merveilleuses courges du marché fermier. Vous êtes impatient de passer à des choses concrètes, comme «Quels médicaments prenez-vous?». Si vous pensez que la liste des médicaments figurant sur votre note de référence est exacte, détrompez-vous. La patiente vous dit qu'elle prend du Tecta une fois par semaine et un Indocid de son mari au coucher. Cela pourrait être important. Elle ne voit pas vos yeux se révulser lorsqu'elle mentionne les happy hours (deux martinis et quelques verres de vin) qui rendent ses soirées plus tolérables. Vous essayez de répandre une certaine sagesse, comme «le vin rouge est bon pour vous? ha, juste une légende urbaine». Ce que vous avez à faire durant cette conversation téléphonique est difficile. Vous devez apporter des preuves de la maladie, comprendre la peur primaire du patient, préparer une explication en des termes simples et fournir un diagnostic probable ainsi qu’un plan de traitement. N'oubliez pas que les patients n'ont pas suivi le cours «Anatomie 101». Ils n'ont tous pas compris que les médicaments en vente libre pouvaient être toxiques. Leur «UpToDate» s’appelle peut-être Norman, le voisin, qui a été guéri grâce aux suppléments de palmier nain et de CoQ10. Ou pire encore! Sa soeur Betty, qui a eu une éruption cutanée après son vaccin contre la COVID-19, elle est tombée de 12 marches et n'a plus jamais été la même depuis. S'engager dans une confrontation n'est pas de bon augure. Les réponses deviennent alors tronquées («Oui. Non. Peut-être. Pourquoi avez-vous besoin de savoir ça?») et parfois «OK, d'accord, au revoir!». Par contre, vous pouvez demander quelle sorte de chien elle a, et son nom. J'ai parfois consigné le nom du chien dans ma lettre de consultation, non pas parce que c'est important, mais parce que cela vous fait gagner du temps lors du deuxième appel: «Comment va Rusty?» Il s'agit d'une astuce à utiliser avec précaution, en l'absence de démence du patient ou si le chien a une maladie grave («On l’a enterré la semaine dernière», suivi de sanglots inconsolables). Il arrive que les rôles s'inversent. On peut me demander: «Comment pouvez-vous savoir ce qu’on ressent quand on souffre d'endométriose?» ou «Allez-vous bientôt prendre votre retraite?» ou «Les vaccins COVID-19 sont mauvais pour la santé, n'est-ce pas?». Mais la plupart du temps, l'inversion du questionnement est un signe positif, les patients essaient de me mettre à l'aise. «Vous devez être très occupé» ou «Vous avez un accent écossais?» ou «Mon Dieu, vous êtes le médecin de Mme Nicholson?» Il y a des fois où vous ressentez vraiment une détresse émotionnelle. «Hé docteur, c'est Jacques. Pouvez-vous me prescrire ces pilules contre les troubles de l'érection, vous savez, les petites bleues qui redonnent du peps à votre vie amoureuse? Depuis mon pontage et mon opération de la carotide, je suis moins actif que d'habitude.» Je donne une réponse courte (bon sang, je suis un WASP et je rougis facilement). «Eh, oui, ces médicaments ont été conçus pour traiter l'angine, mais on a découvert qu'ils avaient un effet secondaire utile. Votre généraliste peut....» Clore une discussion est un art. Vous savez, vous avez 20 minutes de retard, vous avez trois formulaires à remplir et une pharmacie à appeler. Lorsqu'ils vous parlent de leurs petits-enfants ou de la rénovation de leur maison, vous vous rendez compte qu'ils sont plus isolés socialement que vous ne le pensiez. Comment conclure sans paraître brusque? À ce stade, les antécédents, la revue des médicaments, le rapport des tests et le plan de gestion ont été couverts. Je dis souvent: «Bon, je résume ce que j'ai dit, au cas où vous voudriez prendre des notes. 1. Moins d'alcool. 2. Moins d'alcool. 3. Tecta quotidien. 4. Pas d'Indocid.» Vous entendez les tiroirs s'ouvrir et se fermer, le crayon être sorti et le grattage sur le bout de papier le plus proche. «J'écrirai à votre médecin généraliste et je vous reparlerai d'ici peu. Au revoir.» Et nous nous séparons, amicalement. La médecine est comme ça. Je rencontre 10 inconnus par jour, et je me fais 10 amis. C'est génial. Parfois, il faut avoir les sens aussi aiguisés que ceux d'une araignée pour saisir ce que les patients ne vous disent pas (par exemple, un deuil récent, un délire psychotique, une peur des médicaments ou, le plus souvent, un manque de compréhension dû à l'âge, à une mauvaise audition ou à la désinformation). C’est lorsque vous arrêtez de parler et que vous écoutez tout simplement que vous obtenez les informations les plus importantes. Vous ne pouvez pas écouter lorsque vous parlez, il faut donc prévoir une pause dans l'interrogatoire. Le silence devrait faire partie intégrante de chaque conversation. «Eh bien, je suis très stressée depuis que Jack a perdu son travail, et que mon fils a été pris en train de vendre des stupéfiants... —Je comprends... — Et le cancer de l'estomac est courant dans notre famille. — D’accord...» Enfin, il y a les patients qui vous apprennent, vous amusent et vous enchantent. Vous avez hâte de discuter avec Marvin, le collectionneur de vieilles voitures, qui restaure sa 57 Chevy. Ou Wendy, la peintre, qui partage sa passion pour les paysages marins. Ou Brian, le pompier retraité devenu comédien, qui fait rire en toute situation. Ils voient votre humanité, et votre volonté de partager votre fragilité, votre empathie et votre compassion. Ils vous posent des questions sur votre santé et vous remercient de votre sollicitude. La plupart du temps, vous êtes fatigué à la fin de la journée, mais impatient de reprendre le lendemain. C'est ça la communication – un art et une science après tout.

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