TDAH: ce que les médecins doivent savoir sur ce diagnostic à la mode

De la une des journaux aux fils de discussion des réseaux sociaux, le trouble déficit de l'attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) attise l’intérêt général – et il s'agit probablement d’un sujet pressant pour certains de vos patients. La Canadian ADHD Resource Alliance (CADDRA) rapporte que le TDAH est l'un des troubles neurodéveloppementaux les plus répandus au Canada, touchant 4 à 6% des adultes et 5 à 7% des enfants. Environ 1,8 million de Canadiens vivent ainsi avec ce trouble.L'augmentation des diagnostics de TDAH ces dernières années est saisissante. La pandémie a pu exacerber la situation, en provoquant l'effondrement des routines et des horaires sur lesquels beaucoup de personnes atteintes de TDAH (diagnostiquées ou non) pouvaient compter. Toutefois, l'augmentation des diagnostics était évidente avant les confinements: une étude publiée dans le JAMA Network Open fait par exemple état d'un doublement du nombre de diagnostics entre 2007 et 2016. Entre-temps, la compagnie d'assurance Manulife a constaté, fin 2023, une forte augmentation du nombre d'adultes canadiens ayant présenté des demandes de remboursement pour des médicaments contre le TDAH au cours des cinq années précédentes. Selon le rapport de Manulife sur la santé des employés, entre 2021 et 2022, le nombre de demandeurs uniques de médicaments contre le TDAH âgés de 18 ans et plus a en effet augmenté de 24,5%, alors que le taux de croissance moyen du nombre de demandeurs était de 15,3% entre 2017 et 2021.Le Dr Gurdeep Parhar, professeur clinicien à la faculté de médecine de l'Université de Colombie-Britannique, exerce la médecine familiale depuis plus de 30 ans et se concentre sur la santé des patients souffrant de handicaps graves et de TDAH. En tant que directeur médical de l'Adult ADHD Centre à Burnaby, en Colombie-Britannique, qu'il a cofondé avec la Dre Anita Parhar il y a sept ans, il était aux premières loges pour observer l'augmentation du nombre de patients potentiellement concernés par un TDAH. Le Dr Chris Richards-Bentley, psychiatre, est directeur de l'enseignement médical et des services aux adultes à la Springboard Clinic de Toronto, dont l'équipe pluridisciplinaire diagnostique et propose une gamme de traitements et d'accompagnement pour le TDAH.Nous avons discuté avec les deux médecins de l'augmentation du nombre de diagnostics et de la sensibilisation au TDAH au Canada, et de ce que cela signifie pour les patients et les médecins.Quellle est l'importance du TDAH, en particulier du TDAH non diagnostiqué, au Canada?Dr Parhar: Selon les meilleures données actuelles, 4,9% ou 5% de la population adulte dans le monde ainsi qu’au Canada souffre de TDAH, soit une personne sur 20. Ce trouble est donc presque aussi fréquent que les troubles de l'humeur. Ce qui est le plus effrayant est que, parmi tous les adultes atteints de TDAH au Canada, 80% n'ont jamais été diagnostiqués ou traités. Ils ont donc des difficultés à l'école, au travail et dans leurs relations, mais aussi souvent d'autres problèmes coexistants comme la dépression, l'anxiété et les troubles liés à la consommation d'alcool et d'autres drogues.Dr Richards-Bentley: Nous reconnaissons aujourd'hui que le TDAH et le TDAH non diagnostiqué augmentent réellement le risque auquel les patients sont confrontés, qu’il s’agisse du risque de mourir dans un accident de voiture, de disputes et de rupture des relations, ou de difficultés professionnelles. Nous commençons donc à évaluer les patients de manière plus holistique, et apprenons à ne pas considérer le TDAH comme quelque chose qui n'a pas besoin d'être traité.Pourquoi le taux de diagnostic a-t-il augmenté ces dernières années?Dr Richards-Bentley: La majorité des adultes atteints de TDAH présentent au moins un autre problème ou une complexité de santé mentale. Dans le passé, nous considérions qu’il s’apparentait davantage à un épisode dépressif majeur ou à un trouble anxieux. Nous commençons seulement à reconnaître que certains de ces autres symptômes auraient pu être mieux expliqués par le TDAH. Par ailleurs, la connaissance du TDAH n’est incluse que depuis peu dans les programmes d'internat des médecins. Auparavant, il s'agissait d'une partie très, très brève de notre formation, mais cela commence à changer. Nous constatons donc que les nouveaux médecins ont appris à évaluer le trouble et à le traiter.À lire aussi: TDAH: les erreurs médicamenteuses ont augmenté de près de 300% depuis 2000Dr Parhar: J'ai obtenu mon diplôme il y a environ 30 ans dans une école de médecine canadienne. J'ai suivi une formation d'environ 30 minutes sur le TDAH, et il ne s'agissait que de TDAH infantile ou pédiatrique. Et même avec les enfants, je n'étais pas très confiant dans le traitement de ce trouble. Beaucoup de gens ont donc été oubliés pendant toutes ces années, et maintenant nous nous efforçons de rattraper le temps perdu.Quel impact a eu la pandémie?Dr Richards-Bentley: Souvent, le TDAH est repéré à trois niveaux. Le premier est la complexité accrue des tâches. Par exemple, un étudiant qui vient d'entrer à l'université et qui a du mal à rédiger une thèse de premier cycle. Le deuxième facteur est l'augmentation de l'organisation autonome. Le troisième facteur serait la disponibilité accrue de distractions, comme l'apprentissage en ligne (ou le télétravail). La COVID a donc exacerbé une grande partie des défis et des souffrances auxquels font face les personnes atteintes de TDAH, et les stratégies de compensation (que ces personnes avaient développées) n'étaient plus aussi efficaces dans ces nouvelles circonstances.La pandémie a également éloigné un grand nombre d'adultes atteints de TDAH de leur système de soutien, y compris d'un recours important à l'exercice, qui est en fait un très bon traitement complémentaire pour les personnes atteintes de TDAH. L’activité physique a un effet très positif sur les symptômes de type inattention et hyperactivité. En tant que personnes créatives, à la recherche de stimuli et de solutions, les personnes atteintes de TDAH ont eu beaucoup de mal à rester enfermées dans leur chambre et à suivre leurs cours en ligne. Ce qui a poussé certaines d'entre elles à demander un diagnostic.Quel est le profil type du patient adulte souffrant de TDAH?Dr Richards-Bentley: Selon moi, le patient adulte type serait dans la plupart des cas quelqu'un qui n'est pas étranger aux problèmes de santé mentale, qu'il ait été formellement diagnostiqué ou non. Il a souvent essayé de compenser le TDAH avec plus ou moins de succès. Il y a donc souvent une grande motivation et une grande capacité à faire face, mais accompagné d'un sentiment que les stratégies ne sont pas aussi efficaces pour lui qu'elles pourraient l'être pour une autre personne. J'utilise parfois la métaphore des patients qui ont l'impression de courir en montée par rapport aux autres. Il y a souvent un grand sentiment de honte intériorisé et une vision de soi comme étant soi-disant moins capable ou moins motivé que les autres, alors que c'est souvent le contraire.Il y a souvent des thèmes majeurs de traumatisme, et le traumatisme peut être négligé. Il ne s'agit pas d'un traumatisme ponctuel comme un décès, mais d’un traumatisme lié au fait de se considérer comme moins capable, avec des difficultés importantes au travail ou dans les relations, ou de maintenir des relations saines et profondes.Quelle est la meilleure façon de dépister les patients?Dr. Parhar: Il faut procéder à une évaluation complète. Il ne faut pas être trop focalisé sur le TDAH au risque de passer à côté des troubles coexistants, ou se concentrer sur les troubles coexistants et passer à côté du TDAH. En ce qui concerne l'évaluation proprement dite, les patients doivent remplir des formulaires, comme pour la dépression et l'anxiété, mais toutes ces informations sont ensuite examinées, clarifiées et confirmées au cours d'un entretien clinique avec le patient. Nous passons en revue ses symptômes actuels, ses antécédents médicaux et familiaux, ses allergies, ses autres problèmes physiques ainsi que ses antécédents psychiatriques. Et c'est là la partie la plus importante: nous devons également en savoir plus sur leur enfance. Nous ne pouvons pas diagnostiquer le TDAH si les critères ne sont pas remplis, c'est-à-dire si le patient n'a pas eu de symptômes significatifs de TDAH avant l'âge de 12 ans. Et le défi, c'est que cela remonte à plusieurs années. À lire aussi: Traitement du TDAH: une autre option disponible au paysNous cherchons également à savoir où le TDAH provoque un dysfonctionnement. Il doit avoir un impact significatif sur au moins deux aspects de la vie de l'enfant. Nous recherchons les comportements à risque et les problèmes d'estime de soi, de confiance en soi ou d'image de soi. Les critères doivent être remplis. On va apprendre à environ 20% des personnes évaluées pour le TDAH qu'elles ne remplissent pas les critères. Soit elles n'ont pas eu les symptômes dans l'enfance, soit leurs symptômes à l'âge adulte n'ont pas d'impact significatif sur leur vie, soit elles souffrent d'une autre affection qui est à l'origine de leurs problèmes.Les médecins de famille devraient-ils procéder à ce dépistage?Dr Parhar: Je pense que les médecins de famille devraient procéder au dépistage du TDAH dans leur cabinet, car il s'agit d'un trouble très répandu. Il serait regrettable de passer à côté du diagnostic et de ne pas avoir d'impact positif sur la vie du patient. Donc, de la même manière qu’ils dépistent l'apnée du sommeil, les troubles de l'humeur et les troubles anxieux, je pense qu'ils devraient, dans le cadre de leur pratique, penser au TDAH chez un patient qu’ils rencontrent pour d'autres problèmes de santé. L'outil de dépistage courant s'appelle l'Adult Self-Reporting Scale (ASRS); il est disponible gratuitement. La CADDRA est aussi une très bonne ressource, puisqu’elle produit des lignes directrices de pratique canadienne pour le TDAH et fournit les formulaires nécessaires sur son site web. Les médecins qui ne se sentent pas à l'aise pour évaluer le TDAH peuvent s'adresser à un psychiatre, à une clinique ou à une équipe spécialisée dans le diagnostic du TDAH.Comment l'idée que le TDAH est un trouble de l'enfant, en particulier du garçon, a-t-elle influé sur son diagnostic?Dr Richards-Bentley: On pensait autrefois que le TDAH était par définition un trouble de l'enfance et qu'il n'était tout simplement pas possible d'en être atteint à l'âge adulte. Aujourd'hui, nous savons que la plupart des enfants atteints de TDAH continueront à présenter des symptômes à l'âge adulte. Je dirais même qu'ils sont parfois encore plus symptomatiques. Souvent, les symptômes peuvent être un peu plus intériorisés. Ainsi, l'agitation extérieure peut se transformer en agitation intérieure, et il peut y avoir un développement plus important de l'auto-culpabilisation et de l'utilisation d'un discours négatif sur soi qui est éprouvant pour la personne.On comprend également mieux que le TDAH puisse se manifester différemment chez les femmes adultes. Les symptômes sont interprétés sous l'angle de l'anxiété. Elles peuvent donc être diagnostiquées comme souffrant d'un trouble anxieux généralisé parce que les symptômes se recoupent. Mais en se penchant sur le récit, on s'aperçoit que le dysfonctionnement exécutif n'est pas toujours le résultat de l'anxiété, mais qu'il en est souvent la cause. Nous constatons également que les comportements ont parfois été interprétés différemment chez les personnes racialisées et les personnes appartenant à des minorités. Par exemple, des comportements qui étaient auparavant injustement considérés comme, par exemple, un trouble oppositionnel avec provocation ou une oppositionalité, peuvent être mieux expliqués comme un TDAH.Qu'en est-il des traitements du TDAH?Dr Parhar: Nous commençons généralement par les traitements non pharmaceutiques ou en parallèle des traitements pharmaceutiques. Nous avons beaucoup de recours autres que les médicaments. Ainsi, dans l'environnement professionnel, il est possible d'aménager des espaces de travail calmes afin d'éviter les distractions et le désordre, de se procurer des casques antibruit, etc. La structure est importante pour les personnes atteintes de TDAH. Il faut donc aider le patient à avoir une routine quotidienne, en particulier avec des éléments de bien-être. Les patients doivent éviter de consommer des substances, en particulier l'alcool et le cannabis – nous essayons d'augmenter l'activité du cerveau, et l'alcool et le cannabis la ralentissent.Nous sommes de fervents partisans de deux autres approches, car elles ont donné d'excellents résultats avec nos patients. L'une d'entre elles est le conseil en matière de TDAH, qui s'adresse à tout ce que le TDAH a pu endommager dans le passé, comme l'estime de soi, la confiance en soi et les relations tendues. Ensuite, il y a les coachs TDAH qui se concentrent sur la productivité. Comment faire en sorte que votre boîte de réception reste vide? Comment être plus productif en réunion? Comment se préparer à une journée chargée demain? À lire aussi: TDAH: des risques liés à l’utilisation prolongée des médicamentsLes médicaments sont une option. Ils sont très efficaces et les personnes qui choisissent de les prendre constatent que la qualité et la quantité de leur travail s'améliorent. Ils procrastinent moins, sont moins impulsifs, font moins d'erreurs d'inattention et sont plus engagés dans les conversations et les relations qui leur tiennent à cœur. Il s'agit de médicaments de longue durée, et non pas des traitements dont les effets secondaires nous préoccupaient davantage dans les années 1960 et 1970.Qu'aimeriez-vous ajouter au sujet du TDAH?Dr Parhar: Le TDAH est un trouble très invalidant qui affecte les gens dans tous les domaines de leur vie. Il serait dommage de passer à côté de ce trouble chez vos patients, car les traitements sont très efficaces. Le TDAH est un véritable trouble médical dont les critères sont clairement définis dans le DSM-5. Seules les personnes qui répondent à ces critères doivent être diagnostiquées comme souffrant de TDAH. Les erreurs de diagnostic et l'autodiagnostic sont dangereux. Les patients doivent consulter un professionnel de la santé et ce dernier doit respecter les critères de diagnostic pour établir un diagnostic clair.Ensuite, nous devons rechercher le TDAH, même lorsqu'il n’est pas évident. Soyez prudent et ne lésinez pas sur les moyens lors de l'évaluation. Veillez à ce que le diagnostic soit posé avec soin, mais soyez également confiants dans les stratégies de traitement, car en traitant le TDAH, nous améliorerons la vie des gens. Et c'est vraiment la raison pour laquelle nous faisons cela.Dr Richards-Bentley: On croit parfois à tort qu'une personne âgée ne peut pas être traitée, mais il n'est jamais trop tard pour obtenir un diagnostic. J'ai vu qu'un diagnostic pouvait aider des personnes âgées de plus de 80 ans. Nous pensions que la psychothérapie, par exemple, était moins efficace chez les adultes plus âgés, mais cette idée a été réfutée. De même, dans le cas du TDAH, nous constatons qu'un diagnostic précis, l'élaboration de stratégies précises et un traitement médicamenteux adapté peuvent réellement aider les personnes âgées à traverser certaines des transitions les plus intenses et les plus complexes de leur vie.

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