Système de santé: un ménage urgent à faire, selon le Dr Fernand Turcotte

Ardent défenseur du système de santé public, le Dr Fernand Turcotte, a captivé son auditoire, le 20 décembre dernier, au cours d’une conférence débat organisée par le Groupe Espace Santé, réseau dont l’objectif est de favoriser l'émergence d'une conscience politique chez les acteurs du réseau de la santé.Intitulée 40 ans d'assurance-maladie ! Retour sur le passé et regard vers l'avenir, cette intervention a donné l’occasion au professeur émérite de la Faculté de médecine de l'Université Laval de revenir sur les époques charnières de notre régime d'assurance maladie.Une situation catastrophique jusqu’en 1970Ce spécialiste en santé publique est bien placé pour rappeler combien l’ancien système – duquel Maurice Duplessis disait que la meilleure assurance maladie était la bonne santé – pouvait appauvrir une famille.Son propre père, pourtant assuré, a mis plus de sept ans à rembourser les frais d’hospitalisation de sa mère. Pas de chance, les soins en santé mentale étaient exclus de son contrat et sa femme a fait une dépression post-partum !Dans un premier temps le professeur a donc rappelé d’où venait notre système actuel. « La société québécoise a décidé de se doter d’un régime d’assurance maladie les deux bras tordus dans le dos par les neuf autres provinces. »En fait il attribue tout le mérite d’avoir un tel régime de santé au Québec… à la Saskatchewan qui, en 1962, a pris de vitesse tout le Canada en instituant son propre système comprenant une assurance maladie.En 1964, une commission royale recommande un régime national de soins de santé qui s'inspire de celui de la Saskatchewan. Et finalement, la Loi sur les soins médicaux, adoptée en 1968, fournit aux Canadiens l'assurance maladie universelle.La naissance d’un nouveau systèmeSi son adoption n’a pas été une mince affaire au Québec, le régime d’assurance maladie est cependant devenu rapidement obligatoire, assurant contre tout et essentiellement financé sur la fiscalité, donc détaché du fait d’être un salarié, un fonctionnaire ou un chômeur. Mais pour l’obtenir il a fallu faire des concessions qui sont à l’origine d’un certain nombre de problèmes.Au cours de l’été 1970 le gouvernement a voté sa loi d’assurance maladie et recruté pour la mettre en place Robert Després, (président fondateur et directeur général de la Régie de l’assurance-maladie du Québec), le « vrai père de l’assurance maladie » selon le Dr Turcotte, qui pense que l’histoire verra Claude Castonguay comme son fossoyeur…Car le régime actuel doit faire face à plusieurs vrais problèmes – et quelques faux , qu’il est pourtant urgent de régler si on veut conserver notre système.Nos hôpitaux sont privés !En 1961, les hôpitaux en tant que personnes morales n’existaient pas. « La loi les a obligés à se doter d’une entité corporative avec un conseil d’administration et des règles obligeant entre autres les communautés religieuses à sortir de leur patrimoine ce qui appartenait à l’hôpital. On a donc bâti un système de santé avec le patrimoine des communautés religieuses, et à très bons frais… », rappelle le Dr Turcotte.On l’oublie trop souvent, mais les hôpitaux sont des établissements privés, distincts de l’État. Ceux qui y travaillent ne sont donc pas des fonctionnaires. Pourtant, selon le Dr Turcotte, on dit que « le ministre de la Santé est responsable de tout, alors que, dans les faits, il n’a autorité sur rien sauf lorsqu’il autorise la création ou la fermeture d’un hôpital ».En fait, pour le Dr Turcotte, le système de santé public est menacé depuis le jugement Chaoulli (du nom du médecin qui a obtenu en juin 2005 en cour suprême un jugement favorable contestant la légitimité du système d'assurance santé au Québec). « On est pris avec un jugement bancal qui dit qu’on a le droit de se faire priver de notre programme de protection sociale », affirme le professeur.Des problèmes urgents à résoudreLe premier problème est celui du monopole que les sociétés occidentales ont donné à la médecine à la fin du 19e siècle et qui explique l’extraordinaire autorité qui est la nôtre présentement.Selon le Dr Turcotte, en acceptant ce pouvoir, les médecins s’étaient engagés « à nettoyer les pratiques de soin de tout ce qui était dangereux et non fondé en sciences. Et ça, ce n’est pas achevé, et ça recule même parfois. »Le deuxième problème est celui du temps d’attente, une crainte universellement répandue, mais qu’il ne faut pas laisser prendre racine, prévient-il. Aucune société ne peut offrir tout ce qui pourrait faire du bien à ses citoyens. Et les seules méthodes pour gérer l’accès aux services de santé est soit l’incapacité de payer - la méthode utilisées par nos voisins du Sud - soit la file d’attente.Pour le Dr Turcotte, « au Québec, on a donc choisi la voie la moins odieuse, d’autant plus qu’ici, ceux qui contrôlent les files d’attente sont ceux qui savent qui peut être mis en attente sans que ça compromette leur état de santé. »Le troisième problème est lié aux libertés professionnelles des médecins, poursuit le Dr Turcotte. Des libertés fondamentales, mais habilement exploitées par des éléments du système.La liberté de prescription a conduit à de la prévention à coup de pilule et donc à une surmédicamentation à laquelle nous sommes confrontés aujourd’hui. Autre liberté professionnelle primordiale, la liberté thérapeutique a entraîné d’autres problèmes. Pour le Dr Turcotte la prévention du cancer de la prostate par le dépistage est ainsi devenue aujourd’hui un problème de santé publique.La liberté d’installation a, quant à elle, mené à des difficultés d’accès systématique à la ressource que sont les médecins de famille. Et vu l’importance des médecins de famille dans notre système, le professeur se demande s’il serait vraiment si déraisonnable qu’ils soient mieux payés.Enfin, le quatrième et dernier problème mis de l’avant par le Dr Turcotte est la faillite éthique de l’institution médico-hospitalière. Il craint d’ailleurs que le jour où les citoyens vont partager cette opinion, les médecins auront plus de mal à avoir de l’influence.Un régime universel à protéger coûte que coûteVoici quelques raisons pour lesquelles il ne faut pas remettre en question le régime d’assurance maladie, selon le Dr Fernand Turcotte, professeur émérite à la faculté de médecine de l’Université Laval.Aujourd’hui, sur le territoire canadien, on est assuré contre tout, n’importe où et n’importe quand dans le domaine médical.Jusqu’en 1956-1957, au Québec, la première cause de pauvreté était le premier épisode de maladie grave qui frappait les familles.En 2008, aux États-Unis, 1 721 000 citoyens américains ont dû déclarer faillite pour des motifs de dette médicale. Et sur ce nombre, 71 % étaient assurés.Avant l’adoption du régime d’assurance maladie, on a donné 50 ans à l’assurance privée pour faire la preuve qu’elle pouvait protéger la population. Or, en un demi-siècle, elle n’a couvert que 7 millions d’assurés (pour une population de 20 millions). Le tiers d’entre eux étaient mal assurés, qui plus est, avec toutes sortes d’exceptions.Les obstacles financiers comme un ticket modérateur sont un concept extrêmement pernicieux. Un ticket modérateur pourrait être envisageable uniquement à condition que les médecins l’assument parce qu’ils sont les seuls à savoir si une demande est sérieuse ou non. Or, notre système de santé n’est pas conçu pour cela.Le régime d’assurance maladie est obligatoire, assurant contre tous les problèmes de santé et essentiellement financé par la fiscalité, donc indépendant du statut du patient, qu’il soit salarié, fonctionnaire, chômeur, etc.Source : conférence organisée par Le Groupe Espace Santé, intitulée « 40 ans d’assurance-maladie ! Retour sur le passé et regard vers l’avenir » – Le Dr Fernand Turcotte, 20 décembre 2010.

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