Surfacturation et coût des médicaments génériques: les assureurs privés heureux des mesures d’équité avec le public

Les assureurs privés estiment avoir payé cher la surfacturation et les médicaments génériques. Lors d’un sondage, des employeurs qui couvrent le coût des régimes privés d’assurances collectives pour leurs employés craignent de frapper le mur d’ici quatre ans. Les assureurs aussi sont inquiets. C’est la raison pour laquelle ils ont accueilli si favorablement les nombreuses mesures législatives déposées depuis deux ans par le ministre de la Santé et des Services sociaux, Gaétan Barrette, pour assurer une meilleure équité entre les régimes public et privé d’assurance médicaments.Ce sujet était l'un de ceux à l'ordre du jour du 10e Forum de l’industrie de la santé tenu à Québec. Lors de cet événement, plusieurs experts et représentants du secteur des assurances collectives ont pris part à des discussions portant sur l'avenir des régimes privés d'assurance médicaments. Marc Desgagné, pharmacien, professeur et gestionnaire du régime d’assurances collectives des personnes à l’Université Laval.Au début du Régime général d’assurances médicament, en 1997, l’écart entre les tarifs payés au public et au privé variait entre 2 et 4%, a exposé Marc Desgagné, pharmacien, enseignant et président du comité de gestion du régime d’assurances collectives des professeurs à l’Université Laval.Au fil des années, cette marge entre les tarifs payés au public et au privé s’est continuellement creusée. Elle serait passée à entre 17 et 30% en 2013, et de 15 à 50% en 2015. En plus de défrayer 100% de la prime et des franchises, les 60% de Québécois disposant d’une assurance privée paient leurs médicaments plus cher que dans le régime public. En plus, ils contribuent, par leurs taxes et leurs impôts, au régime public, même s'ils ne peuvent pas en bénéficier.M. Desgagné a dévoilé des tableaux d’une étude réalisée auprès d’assurés privés de l’Université Laval. En moyenne, la différence entre les coûts payés par le privé et ceux défrayés par le public s’élevait à 37,5%, mais dans certains cas, elle pouvait atteindre 76,4% et même 306,2%. Des analyses plus poussées ont démontré que l’écart entre certains médicaments innovateurs payés par le privé versus le public était de 10,8%, mais qu’il bondissait jusqu’à 199% quand le patient recevait un générique.«L’économie de coûts générée par le passage au générique n’a pas été transférée au régime privé, a commenté M. Desgagné. Au fil du temps, cet écart payé par les deux régimes a diminué, mais il reste élevé même si le produit est le même.» Il a indiqué que sur 300 ordonnances, la très grande majorité des médicaments génériques étaient vendus plus cher que les médicaments innovateurs.«Pourquoi un patient qui a le malheur de souffrir d’épilepsie et qui veut prendre des médicaments génériques pour réduire ses coûts doit-il payer 87% de plus parce qu’il adhère à un régime privé?» s’est-il questionné.Explosion fulgurante des piluliersLes piluliers ne sont pas non plus à l’avantage des régimes d’assurance médicaments, estime Marc Desgagné. Selon lui, l’honoraire versé pour le pilulier est deux fois supérieur à celui de la même thérapie pour un traitement d’un mois. Depuis le 1er avril 2007, on se base sur l’état de la personne, et non de ses proches aidants, pour dispenser les piluliers. Ces derniers sont devenus une norme et ils se sont répandus dans les résidences pour personnes âgées. Une véritable explosion de piluliers s’est produite depuis dix ans. En 1999, 8,1% des ordonnances étaient dispensées sous cette forme, mais dans le régime public, ce pourcentage s’établissait à près de 50% en 2015.Des experts ont calculé que le coût récupéré auprès des pharmaciens par les ponctions sur les honoraires s’élevait à 133M$. D’après Marc Desgagné, si le pilulier était contrôlé de manière plus stricte et limité aux gens qui en ont réellement besoin, l’économie n’aurait pas été de 133M$ en 2015, mais de 285M$.Limiter la factureLes nouveaux actes rémunérés qui seront facturés au même tarif pour les assurés du public ou du privé, la règle du plus bas qui s’appliquera pour les deux régimes, les appels d’offres qui vont aussi bénéficier au privé en vertu de la Loi 81 et de la Loi 92, adoptée le 7 décembre, qui exigera une facturation détaillée et le prix maximal favorable, sont toutes des mesures qui ont été accueillies avec soulagement par les assureurs privés, qui y voient des façons de limiter la facture.Néanmoins, la hausse du prix des médicaments va se poursuivre, les assureurs privés en sont conscients. La pharmacoéconomie va devenir aussi importante pour eux qu’elle l’est pour le régime public.«La transparence en pharmacie est importante, a souligné lors d’un débat la présidente de l’Association canadienne des assurances de personnes, Lyne Duhaime. [...] On parle beaucoup de la molécule, mais les honoraires des pharmaciens représentent une part importante de la facture du médicament.»À la croisée des cheminsSelon Mme Duhaime, la moitié des coûts en assurance collective sont liés aux médicaments et ils représentent la plus grande partie de l’augmentation des coûts de ces assurances. Des employeurs sont inquiets. Ils voudraient freiner cette hausse, mais disent avoir les mains liées. Les assureurs disent avoir beaucoup de difficultés à négocier avec les pharmaciens et les pharmaceutiques en raison de l’encadrement réglementaire, comme le Code de déontologie des pharmaciens. Ils disent que le carcan est serré au Québec et qu'ils manquent d’outils comme il en existe dans d’autres provinces.«Le privé arrive à la croisée des chemins, tel que l’avait été le système public il y a quelques années, a commenté Jean Lachaine, professeur titulaire à la Faculté de pharmacie de l’Université de Montréal et président de Peripharm, compagnie spécialisée en pharmacoéconomie. Le privé doit évaluer la hauteur des coûts. Est-ce qu’il vaut la peine de débourser 75 000$ pour un traitement contre l’hépatite C? L’employeur doit pouvoir se faire une appréciation de la valeur à payer. Si on lui démontre les avantages que cela peut avoir sur la productivité, il sera plus enclin à consentir.»Payer pour des services à valeur ajoutée?«Je reconnais la valeur des pharmaciens, a conclu Johanne Brosseau, qui se dit experte en assurance médicaments. Mais tant et aussi longtemps qu’on ne crèvera pas l’abcès des prix excessifs facturés par les pharmaciens au régime privé, comment voulez-vous que je m’assoie à table avec eux et que je parle de rémunérer le pharmacien pour des services à valeur ajoutée, alors que je l’ai déjà payé en double et en triple?»Les assureurs se disent toutefois conscients que le manque de respect des ordonnances de la part des assurés s’avère coûteux et qu'ils ne peuvent faire porter le blâme aux pharmaciens. Des programmes d’adhésion aux traitements s’imposeraient pour les assurés, reconnaissent-ils.

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