Surcharge de travail: la métaphore du «viol intellectuel»

Dans une infolettre à ses membres, le président de l’Association professionnelle des pharmaciens salariés du Québec (APPSQ), Patrick Hemery, a utilisé la métaphore volontairement provocatrice du «viol intellectuel» pour aborder l’enjeu de la surcharge de travail en pharmacie. «J’avoue que le titre est provocateur. J’ai trouvé que c’était une belle métaphore pour illustrer le fait de se faire imposer des choses», affirme-t-il d’emblée, en souriant. Il revient toutefois sur la définition de la notion de viol intellectuel afin de bien se faire comprendre. Le viol intellectuel est un terme utilisé en littérature qui «caractérise le fait de contraindre quelqu’un contre sa pensée». Pour le président de l’APPSQ, la métaphore fait référence à la surcharge de travail dans une pharmacie qui exige que les pharmaciens s’adonnent à des activités professionnelles qu’ils pourraient déléguer, comme la vérification contenant-contenu, par exemple. Mettre ses énergies aux bonnes places Patrick Hemery mentionne le mal-être qui semble s’être immiscé au sein de la communauté des pharmaciens, autant salariés que propriétaires. «En discutant avec plusieurs d’entre vous sur cette thématique, la notion de viol intellectuel a été exprimée. Elle est simple à comprendre, peut-on me forcer à faire des choses dont je n’ai pas envie?» Selon Patrick Hemery, le pharmacien doit actuellement exécuter des tâches qui vont en deçà de ses compétences. Celui-ci risque alors de perdre intérêt en son travail, rappelant ici le concept de la démission silencieuse. Avec les nouvelles délégations d’actes, les pharmaciens devraient davantage réserver leur temps à des activités comme les analyses et les suivis pharmacologiques, pour lesquelles leur professionnalisme et leurs compétences cliniques sont requis. «C’est ça la surcharge de travail. On a maintenant plus d’actes. On les a voulus. Mais il manque un changement de mentalité qui n’a pas suivi», exprime-t-il. Kevin Romanesky, vice-président chez Méliora Statégie, une firme-conseil d’amélioration de la performance en pharmacie, constate cette surcharge. «C’est une réalité qu’on voit et qu’on voyait venir. Ça fait plusieurs années qu’on parle de la délégation d’actes, issue du projet de loi 41. Les pharmaciens voulaient cette place plus importante afin de mieux utiliser leurs compétences de professionnels de la santé. Or, la rémunération n’est pas encore placée à cet endroit-là, mais plutôt encore dans la distribution de médicaments. Bien qu’il y ait des discussions avec la RAMQ à ce sujet, ce n’est pas évident de prendre la décision de dégager un pharmacien pour faire des actes cliniques, des suivis pharmacologiques, sans aucune tâche régulière dans le laboratoire.» Des solutions à portée de main Patrick Hemery énonce quelques solutions très concrètes, notamment la DVCC pour les piluliers et le laboratoire. «(Ça) s’implante petit à petit et nous espérons qu’elle deviendra un standard de pratique pour permettre de libérer du temps clinique aux pharmaciens.» Il ajoute l’offre de télétravail pour certains pharmaciens qui peuvent alors se concentrer sur des activités cliniques. Le président de l’APPSQ mentionne également le doublage des pharmaciens en fin de semaine (ou pendant les périodes de fort achalandage) et même la réduction des horaires d’ouverture «pour faire face à la pénurie de personnel». Si toutes ces solutions sont bonnes, Martin Leroux, président de Méliora Stratégie, rappelle que les pharmaciens, salariés comme propriétaires sont obligés d'effectuer des tâches qu’ils ne devraient pas faire, comme répondre au téléphone, déplacer des paniers. «Environ 30% à 35% du temps d’un pharmacien propriétaire n’est pas consacré aux activités cliniques. Il faut être conscient que beaucoup de pharmacies sont prises dans des façons de faire d’avant. Tant que la majorité n’arrivera pas à une modification réelle des façons de faire, il restera toujours une crainte de changer les pratiques. C’est un milieu compétitif. Aucun pharmacien propriétaire ne veut perdre de la clientèle parce qu’il a réduit ses heures d’ouverture.» Il ajoute également que la pharmacie arrive à un point de rupture entre le centre de distribution et le service de santé. «Le gros de l’entreprise est la distribution du médicament. Le pharmacien est au cœur de la distribution. La chaîne de distribution bloque chaque fois qu’il doit offrir des activités cliniques et des actes professionnels. Il faut revoir les processus pour éviter ce blocage», ajoute-t-il. Pour M. Leroux, il faudra aussi revoir comment on voit le pharmacien et développer un réflexe de prendre rendez-vous pour consulter ce professionnel de la santé, comme on le fait avec les autres. Un recul nécessaire Pour les associés de Méliora Stratégie, il faut deux éléments importants pour arriver à une meilleure gestion de la surcharge de travail. «Il faut prendre le temps de bien mettre en place les changements qu’on veut apporter. C’est un défi. On n’a déjà pas de temps, il faut mettre du temps pour mettre en place de nouvelles façons de faire!» Patrick Hemery et les dirigeants de Méliora Stratégie sont plus que d’accord sur un point: la revalorisation des salaires du travail en laboratoire, assistant technique ou technicien. Le roulement de personnel est dommageable pour l’entreprise parce qu’il faut du temps pour les former au fonctionnement du laboratoire. «Il y a une façon de segmenter tout ça, d’établir des échelons selon les compétences dans un même laboratoire», conclut Kevin Romanesky.

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