Sous les bombes, la médecine de l'urgence à Gaza: un chirurgien témoigne

Les bombes continuent de s'abattre sur Gaza et ce, malgré le cessez-le-feu annoncé du 10 octobre. Dans des conditions extrêmes, des équipes médicales locales et internationales continuent d’opérer et de soigner une population en état de malnutrition avancée.Le Dr. Mazen Mohamed Ibrahim, chirurgien orthopédique basé à Ottawa, y a passé six semaines avec Médecins sans Frontières (MSF). Il a témoigné de son expérience à Profession Santé.Pourquoi avoir choisi de partir en mission à Gaza?Je suis allé à Gaza parce que je voulais contribuer à résoudre la crise là-bas et soutenir le système de santé. J’ai rejoint MSF en 2023, avant la guerre, et mon objectif à l'époque était d'apporter mon aide lors des tremblements de terre en Turquie et dans le nord de la Syrie.Ma première mission a été à Gaza, de la première semaine de septembre à la mi-octobre, pour une combinaison de reconstruction plastique et de traumas orthopédiques. Je travaillais dans les blocs opératoires de deux hôpitaux de 12 à 14 heures par jour. Le matin, j’allais dans les hôpitaux de campagne mobiles de MSF. Après une heure, je passais à l’hôpital de Nasser (l’un des derniers hôpitaux encore fonctionnels, situé à Khan Younès), puis je retournais dans les hôpitaux de campagne mobiles jusqu'au soir.Quel type d’interventions réalisiez-vous?Nous faisions principalement des amputations et le traitement de fractures ouvertes, de plaies complexes et d’infections, notamment musculo-squelettiques.Gaza est aujourd’hui le territoire dans lequel on recense le plus grand nombre d'amputations au monde. Depuis le début de la guerre, environ 4000 à 5000 amputations auraient nécessité des prothèses. Mais ces dispositifs ne sont pas disponibles à Gaza, tout comme l’évacuation médicale de ces patients vers la Jordanie, l'Égypte ou l'Europe.De nombreux patients souffrent de malnutrition, ce qui compromet la guérison. À cela s'ajoutent des conditions d'hygiène très mauvaises. Les gens vivent dans des tentes, dans les rues, donc les blessures s'infectent très souvent, ce qui constitue un autre défi. Les infections osseuses, par exemple, ne guérissent pas en raison de la malnutrition et des mauvaises conditions de vie.À lire aussi: Enfants: des médecins ressortent ébranlés de leur visite d'un hôpital de GazaÀ quoi ressemblaient les conditions de travail sur place?Lorsque j’étais sur place, il n'y avait plus de ravitaillement et presque tout était épuisé. Nous n'avions même plus de savon pour nous laver les mains, il n’y avait pas d’antibiotiques ni de pansements chirurgicaux. Même les draps stériles servant à couvrir les blessures n'étaient pas disponibles.Au cours des six semaines de mon séjour, nous n'avons pas vu de viande, ni d'œufs, ni de protéines. Toute la nourriture se résumait à du riz, parfois du pain, des légumes en conserve. C'est tout ce qu’on voyait sur le marché. On a pu rejoindre le convoi des Nations Unies avec un seul sac. J’y ai mis trois blouses chirurgicales, et j'ai rempli le sac de chocolat pour les enfants.Chaque tentative d’acheminer du matériel est soumise à des contrôles très stricts, parce que l'armée israélienne considère que ces équipements ont un «double usage». Cela signifie que l’équipement pourrait être utilisé à des fins militaires. J’avais, dans mon sac, un simulateur de patient de MSF, qui est un moniteur qui sert à surveiller les signes vitaux, la tension artérielle, la saturation en oxygène, etc. Mais on n'a pas pu apporter de fixateurs externes à Gaza, parce qu'ils pensent que ça pourrait servir d'arme, ce qui est ridicule.Comment faisiez-vous face aux risques physiques et psychologiques?Une blessure reste une blessure, qu'il s'agisse d'un accident de voiture ou d'une blessure causée par un bombardement. En tant que chirurgien, je suis formé pour y faire face. Nous bénéficions également du soutien de MSF, qui nous propose des séances avec un psychologue clinicien avant et après la mission, juste pour s'assurer de notre santé physique et mentale.Environ dix jours avant mon départ de Gaza, l’Armée de défense d’Israël a mené une attaque à côté de l’hôpital. Nous avons eu cinq blessés. Deux de nos physiothérapeutes ont été tués pendant qu’ils attendaient leur autobus. J’ai opéré un de mes collègues qui s’est cassé le bras. C'était une expérience éprouvante.Nos installations étaient situées dans une zone déconflictualisée, censée être épargnée par les frappes. Cependant, nous avons eu des bombardements très proches et j'ai également vu des drones tirer sur le mur de l’hôpital.Vous avez assisté à la mise en place du cessez-le-feu. Qu’est-ce qui a changé depuis?Lorsque le cessez-le-feu a été conclu, je suis sorti et j'ai observé la foule, les gens qui revenaient du sud vers le nord, vers (la ville de) Gaza. Tout le monde faisait la fête, il y avait beaucoup de musique, les gens dansaient dans les rues. C'était une nuit très joyeuse.Mais dès le lendemain, nous avons entendu à nouveau les frappes, j'ai vu les avions de combat F-16 décoller et commencer à frapper, ainsi que les hélicoptères Apache.J’ai même filmé une petite fille de six ans qui chantait, pendant que des drones survolaient nos têtes. C'était très intimidant, très terrifiant, et moi j'étais très impressionné par cette enfant.Depuis mon départ, mes collègues médecins à Gaza m’informent de la situation. La situation s’est calmée durant quelques jours, mais elle semble s’être aggravée.Qu’est-ce qui vous a le plus marqué dans cette mission?Les gens. Leur force, leur humanité, leur résilience. Ce sont des personnes très pacifiques. Même lorsqu’ils étaient gravement blessés, on peut les voir porter littéralement leurs membres, et continuer de faire des blagues et dire qu’ils sont reconnaissants d’être toujours en vie. J’ai découvert un peuple incroyablement digne et courageux.Cette entrevue a été traduite de l’anglais au français et éditée par souci de concision et de clarté.

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