«Si vous me désinscrivez, je vais vous gâcher la vie!»

Je ne me sens pas malheureux d’être natif du Moyen-Orient, même si cela m’a fait perdre de nombreuses opportunités.Le fait d’être originaire de cette région a enrichi ma capacité à comprendre la personnalité et le comportement des gens, principalement des moyen-orientaux, tout en pratiquant la médecine et en servant mes patients venus du monde entier.En tant que ressortissants du Moyen-Orient, nous avons connu des vies difficiles au milieu des guerres et de la tyrannie des dictateurs, ce qui nous a inculqué un sentiment de peur et d’insécurité. Par conséquent, nous essayons d’une manière ou d’une autre de nous défendre si nous sentons un danger, même s’il est imaginaire, ou injuste. Même s’il n’existe pas. C’est pourquoi la première chose que beaucoup font, s’ils le peuvent, c’est de recourir aux menaces, croyant que c’est le seul langage qui préserve leur identité, leur existence et leur dignité. Ce langage est celui que nous avons entendu dans le passé et assimilé pendant des décennies.Ainsi, deux types de personnes peuvent être distinguées: certaines adoptent ce langage menaçant et l’utilisent parce qu’il a donné des résultats positifs dans le passé, tandis que d’autres ne supportent pas de l’entendre parce qu’il a été imposé de manière injuste. J’appartiens à cette seconde catégorie; je déteste ces discours et je ne peux tolérer de les entendre. Je considère que c’est une tactique de faibles, utilisée par ceux qui sont faibles et incapables de négocier ou par ceux qui exploitent leur pouvoir ou le pouvoir des autres pour intimider. Dans les deux cas, il s’agit d’un langage méprisable, dépourvu de manières et de respect.Ce qui est intéressant, c’est que ce langage est parfois utilisé par des personnes du Moyen-Orient à l’encontre de médecins de cette région! C’est comme s’ils supposaient que ces médecins sont encore facilement intimidables et qu’en entendant des menaces, ils auront peur et se plieront aux exigences et aux besoins de la personne. Je n’ai jamais entendu parler d’un patient du Moyen-Orient ayant menacé un médecin non arabe de porter plainte contre lui ou de ruiner sa vie s’il refusait de procéder à un examen non indiqué (cela arrive peut-être souvent, mais je n’en sais rien). Je n’ai pas non plus entendu parler d’une telle situation lorsqu’un médecin désinscrit un patient pour des raisons légitimes ou lui annonce qu’il ne peut pas avoir de rendez-vous ce jour-là en raison d’un emploi du temps chargé. Peut-être se rendent-ils compte que ce langage ne sera pas efficace et qu’ils pensent qu’il ne fonctionnera qu’avec les médecins du Moyen-Orient parce que le langage de la menace était monnaie courante dans leur pays d’origine.Mon problème personnel — ou peut-être est-ce mon droit — est que si quelqu’un me menace, je perds la capacité de dialoguer avec lui. Par conséquent, pour éviter les complications qui pourraient survenir dans ma sphère professionnelle, je mets fin le plus rapidement possible à la relation avec toute personne qui me menace.Au fil du temps, il est devenu habituel d’entendre des menaces ici et là de la part de nombreuses personnes pour des questions très triviales, comme le fait de ne pas les envoyer passer le test qu’ils souhaitent, de leur dire qu’il n’est pas nécessaire de les orienter vers un autre spécialiste ou si je les informe de la réduction des effectifs de mon cabinet.Lire aussi: Comment gérer les patients qui demandent des examens inutiles?NasifMa rencontre avec Nasif (nom fictif) a eu lieu en octobre 2022, et j’ai décidé d’écrire à ce sujet après que son nom ait réémergé dans ma vie. «Nasif, la liste de mes patients est devenue très importante et difficile à gérer. C’est pourquoi j’ai décidé de la réduire», lui ai-je dit calmement. «Qu’est-ce que cela signifie?» a répondu Nasif avec colère.«Je dois sélectionner au hasard un grand nombre de patients pour leur envoyer une lettre leur demandant de se trouver un autre médecin.»«Je suis l’un d’entre eux?» «Malheureusement, oui», ai-je répondu.Nasif se renfrogne. «Que dois-je faire?» «Vous trouverez dans la lettre le nom de nombreux médecins que vous pourrez appeler et, avec un peu de chance, l’un d’entre eux acceptera de vous prendre, d’autant plus que vous êtes jeune et que vous ne prenez pas de médicaments», ai-je expliqué en essayant de le calmer.«Non, vous ne pouvez pas faire ça!»«Je comprends votre frustration, mais je dois malheureusement le faire, et voici votre lettre de préavis». Je lui ai tendu la lettre.«Je vous préviens, si vous me désinscrivez, je vais vous gâcher la vie!» s’est-il emporté.«Euh, comment voulez-vous me gâcher la vie?» «Faites-le, et vous verrez.»«Nasif, même si je ne réduis pas ma patientèle, pensez-vous que je puisse encore vous suivre?» lui ai-je demandé. «Oui, pourquoi pas?» Il m’a lancé la lettre.«Nasif, avez-vous conscience des conséquences de votre menace?» «Je connais les conséquences, mais vous ignorez les conséquences si vous me désinscrivez», a-t-il rétorqué, la voix tremblante.«Voici votre lettre de préavis, et je vais en modifier le délai. Il débute aujourd’hui, pas dans un mois. J’informerai le personnel de votre menace ainsi que la police (ce que je n’ai pas fait). Vous serez responsable de tout ce qui pourrait m’arriver à l’avenir.» J’ai quitté la pièce et je n’ai plus jamais entendu son nom jusqu’à il y a deux mois. Lire aussi: Faire face aux situations conflictuelles avec les patientsIl y a deux moisJ’ai reçu un appel d’un collègue arabe à qui je n’avais jamais parlé auparavant. Il a laissé son numéro de cellulaire à la réception et m’a demandé de le rappeler.Je l’ai appelé le soir même, nous nous sommes salués et il m’a informé que Nasif était désormais sous sa responsabilité, mais que les choses n’allaient pas bien.«Comment puis-je vous aider?» lui ai-je demandé.«Pour quelle raison avez-vous arrêté de suivre Nasif?» me demande-t-il avec anxiété.«J’étais en train de réduire ma clientèle et son nom est apparu dans une sélection aléatoire.»«S’est-il déjà plaint de vous auprès de l’Ordre?»«Pourquoi?» «Il voulait une IRM pour son dos, et quand je lui ai dit qu’il n’y avait pas d'indication, il a menacé de porter plainte contre moi si je ne le faisais pas.»«Eh bien, quand je lui ai remis la lettre de préavis, il a menacé de ruiner ma vie.»«Qu’a-t-il fait?» «Il n’a rien fait et il ne vous fera rien non plus.»«Vous êtes sûr?»«Sûr à 100%», l’ai-je rassuré.«Que me suggérez-vous de faire?» «Je ne vous dirai pas quoi faire, mais si cela m’arrivait, je ne l’enverrais pas passer l’IRM si ce n’est pas indiqué et je mettrais fin à la relation médecin-patient.»«Pensez-vous qu’il se plaindrait?»«Documentez les résultats de votre examen, sa menace et ne vous inquiétez pas. Même s’il se plaint, ce qui n’arrivera pas, les enquêteurs du collège sont justes et intelligents.»«Dois-je le désinscrire?»«C’est à vous de décider. Si vous pensez pouvoir collaborer avec lui et rester objectif malgré tout, c’est que vous êtes meilleur que moi.»Nous avons bavardé un moment avant de mettre fin à l’appel.Il m’a envoyé un texto plus tard pour me dire qu’il l’avait désinscrit.Lire aussi: Les patients en colère pensent-ils que le Collège est un exutoire?

«Si vous me désinscrivez, je vais vous gâcher la vie!»

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