«Si le projet de loi 106 est accepté, on va le contester»

Au lendemain du point presse du ministre de la Santé, durant lequel Christian Dubé a accusé les deux fédérations médicales de refuser de négocier le renouvellement de leur accord-cadre respectif, la poussière est loin d’être retombée à la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ). Son président, le Dr Marc-André Amyot, oscille entre incompréhension et incrédulité. En entrevue avec Profession Santé, il se demande si le gouvernement est de bonne foi et si ses propositions sont vraiment raisonnables.Vingt-quatre heures après le point de presse de Christian Dubé concernant le PL 106, quelle perception en avez-vous? Dr Marc-André Amyot: Il a soulevé de l’incompréhension parce que nous avons été à la table de négociations, mais le processus de négociation est vraiment biaisé par le projet de loi 106. L’article huit du projet de loi mentionne clairement que le ministre, par voie réglementaire, se donne le pouvoir de modifier des ententes convenues par la négociation. Si je conviens d’une entente de principe avec le Conseil du Trésor et que je la soumets à mes membres, qu’est-ce que je vais pouvoir leur répondre quand ils vont me demander ce qui garantit que le ministre va respecter la parole du gouvernement? Je n’en aurais aucune de garantie. Le projet de loi lui donne ce pouvoir-là. Alors est ce que cela revient à négocier de bonne foi? Je pose la question. L’autre élément qui nous dérange, c’est que le ministre dit que nous ne lui avons pas soumis de contre-propositions formelles. Nous en avons déposé deux à la table de négociation, une il y a six mois, l’autre en avril. Nous leur avons demandé s’il y a des éléments intéressants dans nos deux dépôts. Ils ne nous ont jamais répondu. C’est comme s’ils avaient passé ça à la déchiqueteuse. La semaine dernière, vous avez de nouveau demandé le retrait du PL 106 avant de pouvoir négocier l’entente-cadre. Mardi, Christian Dubé a clairement indiqué qu’il irait de l’avant avec ce projet de loi. Quelle est l’issue de cette impasse?On demande un arbitrage, un mécanisme qui existe partout ailleurs au Canada. Les propositions qu’on a faites à la table de négociations sont très raisonnables et elles apportent des solutions concrètes pour améliorer l’accessibilité. Dans le contexte où on a l’impression que le gouvernement négocie de mauvaise foi, on veut confier la négociation à un arbitre, ce que le gouvernement refuse. Dans ma conception, quand une partie refuse l’arbitrage, je me demande toujours si elle est de bonne foi et si leurs demandes ou leurs propositions sont vraiment raisonnables. Je pose la question. Puis je n’ai pas la réponse, mais vos lecteurs auront la leur.Pourriez-vous mettre en place des moyens de pression comme l’a fait la FMSQ et si oui, lesquels?Malheureusement, les médecins n’ont pas le droit de grève au Canada, même si, en passant, on ne le revendique pas, ce droit de grève. On ne veut pas que les patients soient atteints. Or aujourd’hui, des moyens de pression qui ne les impactent pas négativement, il n’y en a pas beaucoup. Alors c’est pour cela que l’on veut s’en remettre à l’arbitrage. D’une part, parce que les forces de négociation ne sont pas égales. Et d’autre part, parce que si le projet de loi 106 est accepté, je vous le dis tout de suite, on va le contester.À lire aussi: Projet de loi 106: «Le vif émoi des médecins est tout à fait normal»Selon Christian Dubé, la FMOQ serait d’accord avec le principe des cibles, mais serait contre le fait d’associer la rémunération des médecins à l’atteinte de ces cibles. Qu’en est-il vraiment? Êtes-vous prêt à négocier des cibles dont dépendrait la rémunération des omnipraticiens?On est prêt à négocier des cibles, bien sûr, mais encore là, les lier à la rémunération, cela peut soulever certains enjeux. Il faut bien les choisir et que ce soit des cibles de qualité et non pas des cibles de volume. Parce que sinon, on s’en va vers une médecine fast food. Si vous regardez la mémoire du Collège des médecins sur le projet de loi 106, il invite à la prudence avant de lier la rémunération des médecins à des cibles.Quel type de cibles pourriez-vous envisager? Le gouvernement dit qu’il n’y a pas de cibles précises actuellement. Mais il y en a déjà dans nos ententes. L’assiduité par exemple conditionne le versement de certains forfaits. Puis vous savez, c’est quoi l’assiduité? On a recensé les cibles qui sont utilisées ailleurs au Canada. On est en train de les analyser, puis on veut en discuter avec le gouvernement. On veut aussi voir quelles cibles le gouvernement a l’intention de mettre en place et quels sont leurs objectifs. Il faut toujours se ramener à l’objectif. On ne fait pas quelque chose pour faire quelque chose. Parce que dans l’industrie non médicale dont est issu Christian Dubé, on avait des cibles, donc ça en prend en santé? Mais en fait, quel est l’objectif de la cible et comment on la définit? On peut dire qu’on veut une meilleure accessibilité et mettre une cible.Le ministre l’a lui-même reconnu: il y a une pénurie de 2000 médecins de famille et 22% des omnipraticiens en exercice ont plus de 60 ans. Est-ce qu’on peut s’entendre que ces médecins pourraient réduire leur pratique, mais y rester encore un peu le temps que les nouvelles cohortes de médecins arrivent? Le projet de loi 106 risque de les pousser à la retraite de façon prématurée. J’en reviens donc aux cibles. Il faut qu’elles soient réalistes et qu’elles ne concernent pas que les médecins de famille. Est-ce qu’on peut mettre des cibles pour les établissements? Est-ce qu’on peut mettre des cibles pour le gouvernement? Dans les GMF, il y a beaucoup de personnel à l’heure actuelle qui doit être fourni dans le cadre du Programme de financement et de soutien professionnel, mais qui ne l’est pas. On peut mettre des cibles aussi là-dessus?À lire aussi: PL106 – Manque-t-il de médecins de famille au Québec?Parlant des contrats entre les GMF et les établissements, Christian Dubé souhaite que les frais de cabinet (ou de bureau) de 30% qui sont remis aux médecins exerçant en clinique soient désormais versés directement aux GMF où ils pratiquent. Comment voyez-vous cette proposition?Elle est déconnectée de la réalité. D’abord parce que ces frais sont loin d’être de 30% et ils sont variables. Ensuite, parce qu’au gouvernement, ils ne comprennent pas ces chiffres. Quand ils disent que cela correspond au montant des frais de cabinet, ce montant est parfois plus élevé que 30% de la rémunération du médecin, car les coûts ont augmenté et cette augmentation n’a jamais été compensée. Dans le document que le ministère de la Santé a dévoilé hier, il est indiqué que le gouvernement a proposé une simplification du système des PREM qui a été présentée, mais qu’il est «toujours en attente de la FMOQ pour mettre en œuvre les changements»…Je suis impressionné par cette affirmation. On a un comité de travail avec le ministère sur la mise en application de ces assouplissements. Donc c’est loin d’être juste la responsabilité de la FMOQ. Nous faire porter le blâme là-dessus, c’est non!Pour conclure, y a-t-il des rendez-vous prévus à la table de négociation dans les prochains et les représentants de la FMOQ s’y rendront-ils?Les canaux de communication demeurent ouverts. Le gouvernement nous a présenté un dépôt au début de la semaine, on va prendre le temps de sérieusement l’analyser et on va lui revenir nous aussi avec un dépôt. On souhaite cette fois-ci qu’il le regarde, contrairement à nos deux dépôts précédents…

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