Shingrix: les problèmes d'approvisionnement inquiètent les pharmaciens

Mis à jour le 14 février 2024Le 1er mai dernier, le ministère de la santé (MSSS) annonçait la gratuité du vaccin recombiné sous-unitaire Shingrix contre le zona pour tous les adultes immunodéprimés et les personnes de plus de 80 ans, dans le cadre du Protocole d’immunisation du Québec (PIQ). Alors que la première catégorie a déjà reçu la deuxième dose dans l’intervalle recommandé le plus court, soit deux mois, comme le préconisait le MSSS, c’est désormais au tour des aînés de 80 ans et plus, pour lesquels l’intervalle recommandé était de dix mois après la première dose.«Nous avons commencé la vaccination au mois de mai puis à l’été avec les doses fournies par le MSSS, confirme Christophe Augé, pharmacien propriétaire affilié à Familiprix. Mais assez rapidement, le produit est tombé en rupture d'approvisionnement.» Alors que la campagne de vaccination pour la seconde dose à destination des aînés approche à grands pas, le faible niveau des stocks inquiète les pharmaciens. «À peine une dose par pharmacie et par mois»Le pharmacien explique avoir réussi à mettre la main sur trois doses en septembre, et rien d’autre depuis. «Les quantités sont dérisoires et les doses étaient à peine en stock chez nos grossistes qu’elles s'envolaient, malgré la limite par pharmacie», poursuit-il, amer. Un constat partagé par le bureau chef de la bannière: «Cet été et cet automne, nous recevions à peine plus d’une dose par pharmacie et par mois… Dernièrement l’allocation a doublé, mais avec 400 pharmacies, nous n’avons même pas l'équivalent de trois vaccins par pharmacie et par mois. C’est clairement insuffisant.»Alertée, l’Association des pharmaciens propriétaires (AQPP) indique avoir «sensibilisé» le gouvernement sur ce problème, et travailler à le résoudre. «Les pharmaciens ont facilement pu identifier les patients répondant aux critères d'admissibilité à la gratuité pour le vaccin contre le zona. Par contre, les doses disponibles pour le vaccin Shingrix en pharmacie sont plutôt basses comparativement à la demande dans notre réseau. Plusieurs membres doivent annuler des rendez-vous et rediriger les patients, ce qui est fâcheux.» À lire aussi: Vaccin gratuit contre le zona: «une excellente nouvelle», dit la FADOQInterrogé sur ces ruptures d’approvisionnement, le MSSS botte en touche et pointe du doigt les grossistes auprès desquels se fournissent les pharmacies. «La disponibilité du produit n’est actuellement pas un enjeu. Des doses sont encore disponibles au distributeur provincial de vaccins pour que les grossistes puissent se réapprovisionner. Les dépôts régionaux d’établissements et les grossistes sont approvisionnés en même temps. Les grossistes sont donc ensuite responsables de la livraison et de l’organisation de la distribution entre les différentes pharmacies communautaires. En date du 6 février, aucun grossiste n’est venu chercher 100% de son allocation prévue jusqu’à la fin mars. Les pharmacies doivent donc se référer à leur grossiste pour réaliser des commandes.» «Une cinquantaine de rendez-vous à annuler»Pourtant, début février, le stock du mois de mars n’était pas encore disponible. Et les grossistes réclament davantage de doses depuis plusieurs mois, affirme Hugues Mousseau, directeur général de l’Association québécoise des distributeurs en pharmacie (AQDP). «Le Ministère (de la Santé) a approvisionné 100 000 doses depuis début mai, et nous recevons des vaccins deux fois par mois. Nous n’avons pas de contrôle sur les quantités mises à disposition puisqu’il s’agit d’un vaccin distribué par le Ministère, et nous faisons le maximum pour les distribuer le plus vite possible. Mais nous devons aujourd’hui en limiter le nombre par pharmacie, comme pour les autres médicaments en situation de pénurie», explique-t-il. Une situation intenable qui agace Christophe Augé: «L’AQPP nous conseille de voir avec nos grossistes, mais eux n’ont pas de doses. On nous a demandé de faire une partie du travail de vaccination, mais en cours de route on nous coupe les produits. Rien n’avance, et en attendant, je dois renvoyer nos patients. J’ai une cinquantaine de rendez-vous que je ne serai pas en mesure d’honorer. Je vais devoir utiliser mon personnel pour annuler ces rendez-vous, dire aux patients d’aller voir ailleurs et créer du mécontentement. Je ne suis pas le seul, nous sommes tous dans le même cas. Certains de mes confrères n’ont même pas donné les rendez-vous à dix mois.» Le pharmacien propriétaire se demande si les centres de vaccination seront à même d’accueillir tous ces nouveaux patients et de répondre à la demande. À lire aussi: Quelle est l'efficacité du vaccin contre le zona en conditions de vie réelle?Ces possibles annulations ou reports de rendez-vous pourraient-ils avoir des conséquences sur la santé des patients? Plusieurs études montrent que le vaccin contre le zona reste efficace même si la deuxième dose est inoculée plus tard que prévu. Selon les travaux des chercheurs du Centre d’étude sur les vaccins d’Oakland, en Californie, l’efficacité du vaccin après une seule dose est de 70% pendant la première année, et de 45% au cours de la deuxième année. Après deux doses, cette efficacité passe à 79% la première année et à 75% la deuxième année. Une efficacité similaire a été observée chez les personnes ayant reçu la deuxième dose plus tard que recommandé, même plus d’un an après. À ce jour, le vaccin Shingrix a été administré à moins de 13% de la population âgée de 50 ans et plus au Québec, contre 24,7% en Ontario (excluant les adultes admissibles au programme de vaccination gratuit en Ontario) d’après le mémoire du fabricant GSK transmis au ministère des Finances. 10 000 doses disponibles dès la mi-févrierDe son côté, Hugues Mousseau se veut rassurant: les alertes des pharmaciens et des grossistes ont déjà commencé à porter leurs fruits, selon lui. «Les allocations de Shingrix pour les pharmacies ont été bonifiées trois fois depuis le lancement du programme en mai dernier. Des milliers de doses doivent arriver jusqu’à la fin mars. C’est un nouveau programme, et le Ministère est conscient de la réalité du terrain.»Les stocks de mars ont d’ailleurs été débloqués par le Ministère, a confirmé l'AQPP dans un message envoyé à ses membres publié le 14 février: «À la suite d’échanges avec les instances, une nouvelle augmentation de doses a été allouée à notre réseau. En effet, l’allocation de doses pour le mois de mars, soit environ 10 000 doses, sera devancée et disponible chez les grossistes dans la deuxième moitié de février. De plus, une allocation additionnelle de 8 000 doses sera accordée pour le mois de mars.» L'Association s'inquiète toutefois du fait que «la demande pourrait tout de même encore dépasser l’offre de vaccins», et conseille aux pharmaciens de privilégier les doses de rappel et d'attendre d'avoir reçu les vaccins pour confirmer les rendez-vous à venir.À lire aussi: QUIZ - Comment prendre en charge ce cas clinique en dermatologie?Le MSSS assure ainsi rester «proactif dans son approche et dans ses collaborations afin de répondre aux besoins des différents partenaires de vaccination du Québec, dont les pharmacies communautaires», en ajustant au besoin l'attribution des vaccins selon les besoins, mais rappelle tout de même aux pharmaciens «que la planification des rendez-vous de vaccination dépend du calendrier de distribution établi en collaboration avec les partenaires».Dans la présentation de son budget au mois de mars 2023, le ministre des finances Eric Girard avait annoncé une enveloppe de près de 125 millions de dollars sur cinq ans pour offrir un accès gratuit à la vaccination contre le zona à 800 000 personnes. On compte aujourd’hui 439 715 personnes âgées de 80 ans et plus dans la province selon Statistique Québec, qui comptent pour 80% des cas de zona chaque année.

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