Sepsis : quand l’IA surprend… sans détrôner le médecin

Dans les urgences et les unités de soins intensifs, le sepsis reste un ennemi redoutable: fréquent, potentiellement fatal, parfois insidieux. Il contribuerait à environ 20% des décès dans le monde. Pourtant, les recommandations poussent à administrer très vite des antibiotiques à large spectre, souvent avec une couverture contre le Staphylococcus aureus résistant à la méthicilline (MRSA) et les bactéries Gram négatif multirésistantes, alors qu’une minorité de patients sont réellement infectés par ces agents pathogènes.Cette tension entre urgence thérapeutique et surtraitement est devenue un terrain de jeu idéal pour l’intelligence artificielle (IA). Une équipe de chercheurs américains rapporte, dans le JAMA Network Open, qu’un système d’IA capable de lire les notes cliniques a pu analyser plus de 90 000 dossiers d’admission, extraire les symptômes décrits par les cliniciens et les regrouper en sept syndromes cohérents. Ces syndromes se révélaient ensuite associés à des probabilités différentes de résistance bactérienne ou de mortalité.À consulter: Le CUSM utilise l'IA pour optimiser les traitements de chimiothérapieL’étude repose sur une cohorte de 104 248 adultes hospitalisés dans cinq hôpitaux du Mass General Brigham, à Boston, entre 2015 et 2022. Tous présentaient une suspicion d’infection, définie par une hémoculture et l’administration d’antibiotiques intraveineux dans les 24 premières heures. Les chercheurs ont extrait des notes d’admission la section «histoire de la maladie», puis ont demandé à une IA d’identifier jusqu’à 10 symptômes par patient. L’outil a pu analyser 98,7% des 94 913 notes disponibles, avant de voir ses résultats comparés à ceux d’un clinicien. Le niveau de concordance s’est révélé proche de celui observé entre deux médecins, avec une exactitude de 99,3%, une sensibilité de 69,7% et une spécificité de 99,6%.Comme le soulignent les Drs Jonathan D. Baghdadi et Cristina Vazquez-Guillamet dans leur commentaire sur l’étude, l’IA atteint ici une performance «équivalente à celle d’un médecin effectuant une revue manuelle du dossier».Ce que l’IA voit dans les présentations septiquesÀ partir des 30 symptômes les plus fréquents, le système a regroupé les patients en sept syndromes cliniques:cutané et tissus mous,cardiopulmonaire,gastro-intestinal,urinaire,constitutionnel (fièvre, frissons, fatigue, malaise, perte d’appétit),douleur dorsale,vertiges.Ces regroupements reflétaient avec une précision étonnante les grands foyers infectieux observés en pratique. Certaines associations se sont révélées particulièrement parlantes: un tableau cutané augmentait le risque d’infection à MRSA, avec un rapport des cotes ajusté (OR, pour odds ratio) de 1,73 (IC à 95% 1,49–2,00), tandis que des symptômes urinaires le réduisaient nettement, avec un OR de 0,34 (IC à 95% 0,22–0,50). L’inverse était observé pour les bactéries Gram négatif multirésistantes, plus fréquentes lorsque les patients présentaient des signes urinaires (OR 1,26; IC à 95% 1,13–1,41). Quant à la mortalité, elle était surtout élevée chez les patients présentant un syndrome cardiopulmonaire, avec un OR de 1,30 (IC à 95% 1,17–1,45). Pour les auteurs, ces résultats montrent que «les symptômes initiaux portent une information précieuse sur le pronostic et les profils microbiologiques», même lorsqu’ils sont extraits automatiquement.À lire aussi: Des chercheurs canadiens développent un test rapide pour la septicémieUn outil de recherche, pas encore un assistant cliniqueCes résultats ouvrent des perspectives intéressantes avant tout pour la recherche. En automatisant l’extraction des symptômes à une échelle jusque-là impossible, l’outil permet d’envisager des études plus vastes, mieux stratifiées et plus représentatives de la diversité des présentations septiques. Les Drs Baghdadi et Vazquez-Guillamet y voient d’ailleurs une avancée méthodologique importante, capable de «permettre des études beaucoup plus larges sans recourir à des revues manuelles fastidieuses». Pour autant, l’intérêt clinique immédiat demeure limité. Reconnaître qu’une toux et une dyspnée évoquent une pneumonie fait déjà partie du jugement de tout clinicien. Et pour guider des choix plus complexes - comme l’ajustement d’une antibiothérapie empirique selon le risque de résistance - un modèle devrait intégrer les comorbidités, les expositions récentes au système de santé ou les traitements antérieurs, ce que ne fait pas encore l’outil.En filigrane, cette étude rappelle que les outils d’IA peuvent accélérer certaines tâches et révéler des motifs utiles à grande échelle. Mais elle montre aussi leurs limites actuelles: une capacité à extraire et à classer, plutôt qu’à interpréter. Comme le résument les Drs Baghdadi et Vazquez-Guillamet, l’IA «distille un récit clinique complexe en quelques symptômes», au risque d’aplanir la singularité de chaque histoire. Face à un sepsis naissant, où l’incertitude domine et où chaque détail compte, l’intuition clinique reste irremplaçable. Certes, l’IA progresse, mais elle ne remplace pas encore la finesse du regard humain au chevet du patient.Références:Pak TR, Kanjilal S, McKenna CS, Hoffner-Heinike A, Rhee C, Klompas M. Syndromic Analysis of Sepsis Cohorts Using Large Language Models. JAMA Netw Open. 2025;8(10):e2539267. doi:10.1001/jamanetworkopen.2025.39267Baghdadi JD, Vazquez-Guillamet MC. Extracting Symptoms of Sepsis From Admission Notes With LLM—Maybe AI Knows Something That We Do Not. JAMA Netw Open. 2025;8(10):e2539275. doi:10.1001/jamanetworkopen.2025.39275

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