Sang: des étudiants élaborent un dispositif capable de «fabriquer» des donneurs universels

Ils appellent cela faire une «coupe de cheveux aux globules rouges». Les douze étudiants et étudiantes de l’équipe iGEM ULaval ont mis au point un dispositif enzymatique pour retirer les antigènes A et B à la surface des globules rouges, afin de les rendre compatibles avec tous les receveurs. Leur projet, baptisé Blood Cell Barber Shop, «consiste à produire des enzymes spécifiques aux antigènes A, B et O – des groupements de sucres qui vont s’ajouter aux globules rouges. On va couper certaines des ramifications exposées du globule rouge avec les enzymes glycosylases GH110b, de sorte à ce qu’on retrouve les antigènes O», explique le doctorant Benjamin Ouellet. L’enjeu principal était de ne laisser aucun résidu de la transformation sur les globules rouges, afin d’éviter la présence de protéines bactériennes, mêmes non-réactives, dans le produit final. Les étudiants ont donc envisagé un dispositif intégratif, une sorte de filtre, poursuit Benjamin Ouellet: «le sang passe au travers de manière cyclique, pour maximiser la dégradation des antigènes par les glycosylases présentes à l’intérieur du tube, mais aussi le flux et l’homogénéité du sang, qui en ressort ensuite traité. Les enzymes, elles, seront contenues dans le tube et ne se retrouveront pas dans le produit final.» À lire aussi: Des milliers de dons de sang après la fin de l'interdiction liée à la «vache folle»Le sang poursuivra ensuite son chemin habituel de traitement jusqu’au receveur. Un traitement de filtration supplémentaire qui «ne change rien ni pour les donneurs, ni pour les receveurs, et très peu pour le circuit de traitement du sang», ajoute Eloïse Lague, étudiante en pharmacie. Afin que ce dispositif puisse être mis en pratique, les étudiants ont sélectionné certaines enzymes, ensuite clonées dans la bactérie E. Coli. «On a pris des bactéries du microbiote humain pour ne pas qu’il y ait une réaction immunitaire humaine si le projet va plus loin, précise Sabrina Gentil, doctorante également. On a choisi E. Coli car c’est un peu la bactérie modèle en recherche et développement dans l’industrie pharmaceutique. Elle est utilisée pour la production de protéines, et on sait donc comment sont exprimées les protéines dans cette bactérie.» Fournir un type de sang universel en cas d'urgenceLe Blood Cell Barber Shop a déjà reçu les prix Exclamation et Projet parascolaire au 34e Gala de la vie étudiante, mais surtout la médaille d'or au dernier l'International Genetically Engineered Machine (iGEM), une compétition internationale de biologie de synthèse qui s’est tenue à Paris. «Une partie importante de la compétition iGEM est le fait que les projets doivent servir une communauté», explique Eloïse Lague. Les étudiants se sont donc tournés vers Héma-Québec avant même de développer leur idée pour déterminer si un tel dispositif existait déjà, et s’il répondait à un réel besoin. «On sait qu’il n’y a pas assez de dons de sang et pas assez de types de sang différents. Héma-Québec travaillait déjà sur le sujet, mais pas de la manière dont nous souhaitions l’aborder», reprend l’étudiante en pharmacie. Cette discussion préalable leur a permis d’aborder la question cruciale du rendement, puisque Héma-Québec doit tenir des délais de production soutenus. Une problématique à laquelle répond, une fois encore, le dispositif des étudiants québécois. «Notre système de filtration propose un rendement plus élevé et permettrait de mieux répondre aux crises dans les banques de produits sanguins», se félicite Benjamin Ouellet. À lire aussi: La réalité virtuelle pour convaincre de nouveaux donneurs de sangEn effet, les critères en vigueur au Canada ne permettent qu’à la moitié de la population de donner son sang selon la Société canadienne du sang, et on compte au final moins de 3 donations par 100 habitants, ajoute Benjamin Ouellet. «On a aussi une majorité de type de sang O au Canada, suivi du A et du B. D’où l’intérêt de produite une quantité de sang de type universel pour en fournir en urgence.» Car c’est bien l’objectif de leur projet: non pas de transformer tout le sang disponible en O-, mais à assurer un stock suffisant en cas de besoin. «Il y a toujours des bénéfices à avoir des sangs différents, du A+, A, B+, B-, pour des gens qui ont besoin de transfusions sanguines récurrentes par exemple, précise Benjamin Ouellet. C’est mieux de leur donner le sang qui se rapproche le plus du leur. Mais pour des cas d’urgence où on n’a pas le luxe de prendre le temps de réfléchir au type de sang à donner au receveur, c’est très utile.»Première modélisation 3D de la protéine RhDPour l’instant, les étudiants se concentrent sur la fin de leur année scolaire, mais ils aimeraient pouvoir présenter leur dispositif à Héma-Québec pour l’améliorer. D’ici là, un autre aspect de ce sujet les préoccupe, reconnaît Sabrina Gentil: «on aimerait s’attaquer à la protéine RhD, responsable du + ou du -, mais elle est ancrée dans la membrane du globule rouge, et si on la coupe, ça pourrait compromettre le globule. Il faudrait trouver une manière de le cacher.» L’équipe a ainsi commencé à travailler sur cet antigène et son effet sur le système immunitaire dans le cadre de leur projet iGEM, et est parvenue à faire une modélisation 3D de la protéine RhD, «la première proposition du complexe protéique complet à ce jour», se félicite la doctorante.Surtout, leurs résultats sont désormais ouverts à tout le monde, afin d’être reproduits, amplifiés ou concrétisés. «C’est l’objectif de iGEM: que les étudiants produisent des résultats, des débuts de projets pour qu’ils participent à la recherche scientifique», conclut Eloïse Lange.

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