RPMSQ: «Les pharmacies de spécialité sont une offre complémentaire»

Les pharmacies de médicaments de spécialité sont un nouveau modèle de pratique et surtout d’affaires particulièrement controversé au sein de la profession. À l’automne 2023, cinq pharmaciens propriétaires se sont regroupés pour former le Regroupement des pharmacies de spécialité du Québec, aujourd’hui renommé Regroupement des pharmacies de médicaments de spécialité du Québec (RPMSQ).Alors que la plupart des administrateurs du regroupement a déjà été sanctionné par l’Ordre pour des infractions déontologiques, et que leur modèle d’affaires est sous le coup d’une action collective de l’Association québécoise des pharmaciens propriétaires (AQPP) pour concurrence déloyale, ces derniers s’étaient fait jusqu’à présent discrets sur la place publique. Pour répondre aux accusations et expliciter les enjeux de la pharmacie de spécialité, la nouvelle directrice générale du RPMSQ, Brigitte Viel, nommée le 8 avril dernier, a accordé une entrevue à ProfessionSanté.ca.Pourquoi avoir formé le RPMSQ?Il y a une importance de reconnaître la spécialité en pharmacie. C’était d’ailleurs dans les priorités stratégiques de l’Ordre des pharmaciens (OPQ) [uniquement concernant les établissements de santé, ndlr]. Nous aimerions y travailler avec eux, c’est pour cela qu’on leur tend la main aujourd’hui. Ce regroupement a pour objectif de démystifier la pratique, d’identifier les meilleures pratiques et de collaborer. Nous sommes un rouage dans un engrenage beaucoup plus grand. On veut s'assurer de bien collaborer avec les autres parties prenantes du système. On ne prétend pas affirmer que tous les traitements de spécialité et tous les patients doivent passer par nos membres. Les patients ont le choix, la pharmacie de médicaments de spécialité peut être faite en pharmacie de quartier si les gens veulent se pencher dessus pour le faire. Certains de nos membres ont à la fois une pharmacie de quartier et une pharmacie de spécialité parce qu'ils se sont rendus compte que l'approche clinique était simplement différente. Nous sommes seulement une option, on offre des services à valeur ajoutée. Justement, quelle est la plus-value de ce type de pharmacie?Les besoins des patients sont différents, donc il faut adapter les services. La pharmacie de spécialité va concentrer ses efforts sur des maladies ciblées – souvent des maladies complexes, parfois chroniques, des cancers, des maladies rares dans le domaine de la neurologie aussi. Nos membres prennent uniquement en charge les médicaments dits de spécialité, qui viennent avec une certaine complexité, à différents niveaux, que ce soit leur distribution, le respect de la chaîne de froid, ou la gestion des effets indésirables. Ils n’ont pas d’autre offre commerciale. Les pharmaciens prennent aussi le temps qu'il faut pour initier les traitements et faire des suivis plus serrés. Ils passent par exemple plus de 45 min pour la prise en charge initiale des patients. Ils s'assurent d’avoir une vue d’ensemble sur la santé du patient et sur son dossier pharmacologique, regardent s'il y a des tests de labos requis, vérifient que tout a été fait avant la prochaine dose du traitement…Après ça, il y a aussi le côté financier, car les médicaments coûtent cher. Nos pharmaciens vont s’assurer que les patients aient les bonnes assurances en place pour pouvoir payer, soient capables d'aller chercher un remboursement… Votre modèle d’affaires est pourtant dans le viseur de l’AQPP… Étant donné que ce sont des pharmacies de pointe, c’est sûr que le modèle d'affaires diffère d’une pharmacie de quartier. Après, ce qui ressort [de l’action collective de l’AQPP, ndlr], ce sont surtout les intérêts commerciaux malheureusement. On voit un désir, possiblement, de maintenir un modèle de pharmacie traditionnelle. Mais nous, on pense qu’au lieu de parler de l'intérêt économique des pharmaciens, le débat devrait porter sur l'intérêt des patients dans un contexte donné. C'est peut-être aussi une incompréhension du fonctionnement du modèle de la pharmacie de médicaments de spécialité. Comment expliquer les énormes bénéfices dégagés par vos pharmacies, comparativement au bénéfice moyen des pharmacies communautaires?Les chiffres qui sont lancés comme ça dans les médias, malheureusement, c'est vraiment hors contexte. Ça peut être impressionnant, mais il faut vraiment les remettre en contexte. On parle de traitements qui sont extrêmement coûteux: si on prend simplement le coût d'acquisition de ces traitements-là, ce n'est pas du tout la même chose que de la pharmacologie plus traditionnelle.À lire aussi: Le nœud gordien des médicaments de spécialitéIl faut aussi rappeler que les revenus des pharmaciens sont basés sur les honoraires et que ce sont les mêmes pour tout le monde. Nos pharmacies traitent tous les patients qui ont besoin d'un médicament de spécialité. Il va sans dire aussi qu’il faut énormément d'investissements pour pouvoir offrir le service dont je vous parle, avoir les équipes pour soutenir tout ça, la formation, la livraison… Combien de pharmaciens travaillent aujourd’hui dans vos pharmacies, et combien de patients prennent-ils en charge?En moyenne, on a à environ 16 pharmaciens par pharmacie de spécialité, ce qui est énorme. Au total, on compte 385 employés. La prise en charge des patients se fait de façon virtuelle, ce qui permet de desservir l'ensemble du Québec. Sur une base annuelle, on suit environ 60 000 patients. Vous dites que vos membres sont des experts des médicaments de spécialité… Et en même temps, les médicaments de spécialité peuvent aussi être fournis en pharmacie communautaire… De quelle expertise parle-t-on?Il y a d’une part l'expérience de terrain, puisque certains de nos membres pratiquent depuis plus de quinze ans. Ils vont aussi se former sur des maladies ou des nouveaux traitements. Et puis il y a aussi une connaissance interne, quand un nouveau pharmacien se joint à l’équipe, il va apprendre des pharmaciens plus expérimentés. Donc, c'est vraiment à ce stade, une expertise basée sur l'expérience. Mais si la spécialisation nécessite une formation additionnelle, nos membres sont tout à fait ouverts à ça. Il y a des reconnaissances de la spécialisation aux États Unis, des discussions à l'échelle canadienne, possiblement même au niveau de l'Ordre sur ce sujet. En parlant de l’Ordre, plusieurs de vos membres ont fait l’objet de sanctions de la part du conseil de discipline concernant des manquements à la déontologie… Quel regard portez-vous là-dessus? Je ne commenterai pas sur des cas en particuliers. Ce qui était important pour le RPMSQ, c’était que nos membres aient une pratique conforme au code de déontologie. On va même plus loin. On s'assure de recevoir le consentement du patient, pour qu’il fasse un choix éclairé. On s’assure que les Programmes de soutien aux patients leur fournissent aussi toutes les informations nécessaires. Si le pharmacien s’aperçoit que le patient est confus, ou ne pense pas qu’il avait le choix et a atterri pour une raison ou une autre chez un de nos membres, il y a un suivi avec le programme. Adhérer à notre code de conduite est une condition pour être membre.Avez-vous entamé des discussions avec le Ministère de la santé et des services sociaux?Nous les avons démarchés, on sent une ouverture mais rien n’est fait. Pour l’instant, nous sommes inscrits au registre des lobbyistes comme une association privée entièrement soutenue par ses membres. On n'a pas d'aide externe que ce soit gouvernementale ou de l'industrie privée. À terme, on aimerait agrandir notre groupe.Les propos de Brigitte Viel ont été édités pour en assurer la clarté et la concision.

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