Résistance aux antibiotiques: une préoccupation grandissante pour les autorités de santé publique

La résistance croissante des entérobactéries productrices de carbapénémases aux antibiotiques est de plus en plus menaçante. Préoccupation mondiale, la situation devient si inquiétante que Québec s’apprête à dévoiler comment il entend combattre la menace dans un plan quinquennal de lutte contre l’antibiorésistance qu’il publiera ce printemps. Le Dr Louis Valiquette, microbiologiste-infectiologue au Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de l’Estrie – Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke (CIUSSSE-CHUS) et chercheur au Centre de recherche du CHUS. Photo : CIUSSSE - CHUSSelon la porte-parole du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), Marie-Claude Lacasse, le Ministère a réalisé en janvier une consultation de ses divers partenaires, incluant l’Institut national de la santé publique du Québec (INSPQ), afin d’élaborer son plan ministériel de lutte contre l’antibiorésistance 2017-2022.Microbiologiste-infectiologue au Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de l’Estrie – Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke (CIUSSSE-CHUS) et chercheur au Centre de recherche du CHUS, le Dr Louis Valiquette est lui aussi inquiet. Il craint de se retrouver devant des bactéries pour lesquelles il n’y a pratiquement pas de traitements alternatifs ou devant des traitements alternatifs qui sont plus toxiques pour les patients et plus coûteux.« Ce sont des bactéries qui n’affectent pas qu’une clientèle vulnérable et qui peuvent rendre une infection bénigne plus problématique, fait-il remarquer. Une patiente atteinte d’une cystite, qui aurait pu être traitée par antibiotiques pendant trois jours sans arrêter de travailler, pourrait se retrouver admise en médecine de jour pour recevoir des antibiotiques intraveineux. »À lire aussi: Surveiller et intervenir…: et diminuer la durée de traitement des antibiotiquesProgramme de surveillance obligatoire pour les CHSCDPour prévenir l’émergence et la propagation de cas de bacilles à Gram négatif producteurs de carbapénémases (BGNPC), un programme volontaire de surveillance provinciale des colonisations et infections à BGNPC sera rendu obligatoire le 1er avril prochain dans les centres hospitaliers de soins de courte durée (CHSCD).Selon le MSSS, 73 des 88 installations des établissements publics ayant plus de 1 000 admissions annuellement en soins généraux et spécialisés ont participé à cette surveillance en 2015-2016, alors qu’elle avait été mise en place l’année précédente.Le programme obligatoire permettra d’obtenir un portrait réaliste de la situation et de suivre en continu son évolution. À partir des données obtenues, le MSSS pourra orienter ses interventions de manière plus efficace afin d’enrayer la transmission des BGNPC au Québec.Pour le Ministère, il s’agit d’une des actions à mettre en place pour éviter la hausse des cas de colonisation par les BGNPC. Selon lui, « si des mesures concertées ne sont pas mises en place, le nombre de cas de colonisation augmentera rapidement ». Un document de recommandations pour les centres d’hébergement de longue durée a également été publié à la fin de 2016.Contrôle précaireIl reste beaucoup à faire pour dresser un portrait précis de la situation qui prévaut au Québec en matière d’impacts cliniques et économiques de la résistance aux antibiotiques. Également directeur du département de microbiologie et d’infectiologie à la Faculté de médecine et des sciences de la santé de l’Université de Sherbrooke, le Dr Louis Valiquette espère que le plan d’action attendu mènera à des investissements et, éventuellement, à l’organisation d’une surveillance intégrée constante de la résistance dans tous les centres hospitaliers du Québec. « Actuellement, le Comité central de Surveillance provinciale des infections nosocomiales cible surtout des bactériémies, mais elles peuvent souvent n’être que la pointe de l’iceberg », précise-t-il.Au Québec, la situation semble néanmoins sous contrôle. Les taux d’incidence des bactériémies nosocomiales à Staphylococcus Aureus résistant à la méthicilline (SARM) évoluent à la baisse depuis les cinq dernières années. Selon l’INSPQ, 89 installations de santé ont rapporté 65 bactériémies à SARM, entre le 1er avril 2015 et le 31 mars 2016. « Le taux de SARM, SASM¹ et C. difficile est stable. On a de bonnes pratiques. L’inquiétude vient de la résistance aux antibiotiques en émergence dans plusieurs pays. Ça fait partie des nouveaux risques de voyager, en plus de la malaria et du Zika », estime le Dr Valiquette.En effet, le nombre de porteurs d’entérobactéries multirésistantes productrices de bêtalactamases à spectre élargi (BLSE) est en forte augmentation dans plusieurs régions de l’Asie du Sud-Est, du Pacifique occidental et de la Méditerranée orientale depuis 2003. Un touriste de ces régions est susceptible de contracter une bactérie multirésistante et d’en être colonisé au niveau du tractus gastro-intestinal. Généralement asymptomatique, la personne colonisée peut tout de même propager l’entérobactérie multirésistante dans la collectivité et potentiellement à des personnes vulnérables.Action !L’INSPQ rappelle que les médecins doivent suivre les versions les plus récentes des guides cliniques d’antibiothérapie qui sont à leur disposition. L’Institut national d’excellence en santé et services sociaux (INESSS) a procédé à la mise à jour du volet pédiatrique en mars 2016 et du volet adulte en novembre 2016². Une étude québécoise montre que ces guides permettent de réduire de façon significative et durable le nombre et le coût des prescriptions d’antibiotiques dans les milieux communautaires.La lutte contre les infections nosocomiales demande aussi des professionnels de la santé qu’ils adoptent des mesures de protection personnelle, rappelle Grégory Léon, agent de planification, de programmation et de recherche à l’INSPQ. « Si leur efficacité est sans contredit reconnue lorsqu’il s’agit de contrôler les éclosions dans les milieux de soins, leur application optimale en tout temps reste un défi de taille parce que cela peut alourdir le travail quotidien des intervenants », convient-il.Pharmacien sentinelleSelon l’INSPQ, les pharmaciens ont également un rôle non négligeable à jouer dans la surveillance de l’usage des antibiotiques. L’enseignement que le pharmacien fait aux patients est particulièrement important, notamment concernant la fin du traitement. Par sa responsabilité de s’assurer que les médicaments pris par le patient sont pertinents au regard de son état, le pharmacien renforce le message qu’il y a des situations où le traitement par un antibiotique n’est pas pertinent.Plusieurs pharmaciens d’établissement ont mis au point une expertise quant à l’usage approprié de ces médicaments au sein des établissements de santé (voir l’entrevue avec le pharmacien Daniel Thirion en page 7). La gestion des antimicrobiens par un programme coordonné, tel qu’exigé par la Politique organisationnelle requise par Agrément Canada, permet d’obtenir de meilleurs résultats de santé chez les patients, de réduire les risques d’infection, de réduire ou stabiliser les niveaux de résistance aux antibiotiques et de favoriser la sécurité des patients.« Certaines études ont révélé que jusqu’à 50 % des antibiotiques prescrits en milieu hospitalier sont jugés inappropriés, fait savoir Grégory Léon. Une bonne gestion de ceux-ci, par l’intermédiaire de programmes d’antibiogouvernance, permet de réduire leur usage inapproprié, les coûts et les risques d’évènements indésirables chez les patients. »Un déchet cellulaire pour lutter contre les « superbactéries » ?Professeur en biochimie à l’Université de Sherbrooke, le Dr Éric Massé a trouvé, avec son équipe, un moyen de lutter contre les bactéries ultrarésistantes. Depuis cinq ans, son équipe de laboratoire concentrait ses recherches sur les molécules d’acide ribonucléique (ARN), qui ont pour rôle de traduire l’information génétique en protéines.« À l’origine, nous n’étions pas intéressés par la résistance aux antibiotiques, fait savoir le Dr Éric Massé, mais nous nous sommes rendu compte que les petits ARN pouvaient réguler les récepteurs d’antibiotiques et avoir une incidence sur la sensibilité d’une bactérie à des antibiotiques. Le mystère de notre découverte demeure, mais on peut imaginer qu’en changeant son environnement, la bactérie répondra positivement à l’antibiotique. Nous sommes loin d’un traitement ou d’un médicament. » Si un intérêt pour cette découverte se traduit par de possibles nouveaux fonds, l’équipe du Dr Éric Massé compte bien poursuivre ce qu’elle a entamé.Un logiciel pour réduire le taux d’antibiothérapieUne meilleure utilisation des médicaments, en plus d’améliorer la qualité des soins, permet une économie de coûts directs et indirects significative, convient le Dr Louis Valiquette, qui a mis au point un système de surveillance informatisé des antibiotiques au CIUSSSE-CHUS. Nommé APSS (Antimicrobial Prescription Surveillance System), ce logiciel serait le premier du genre au pays.Utilisé par les pharmaciens du centre hospitalier depuis 2010, cet outil analyse en temps réel les données du patient et du traitement. Une alerte est émise si des ajustements permettent d’optimiser la prescription — réduction, arrêt, migration de la voie intraveineuse à la voie orale, etc. « Nous avons noté une réduction de plus de 20 % de l’utilisation d’antibiotiques », signale-t-il.1. Staphylococcus aureus sensible à la méthicilline2. http://www.inesss.qc.ca/nc/publications/publications/publication/guides-cliniques-en-antibiotherapie-serie-i.html

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