Résidents épuisés: stratégies de prévention de la fatigue pour des soins plus sécuritaires

Les résidents doivent identifier les erreurs qu'ils commettent couramment lorsqu'ils sont fatigués et s’assurer de communiquer davantage avec les membres de l'équipe soignante lorsqu'ils se sentent exténués. C'est ce qu'ont appris les participants à la conférence clinique et scientifique annuelle de la Société des obstétriciens et gynécologues du Canada, qui s'est tenue à Ottawa au début du mois de juin. La fatigue est inévitable lorsqu’un étudiant fait sa résidence. Et ce n’est que l'un des nombreux exemples montrant que les médecins mettent de côté leur propres besoins dans le but de servir les autres, a indiqué la Dre Taryn Taylor, professeure adjointe au département d'obstétrique et de gynécologie et scientifique au Centre de recherche et d'innovation en éducation de l'Université Western à London, en Ontario. S’il n’est pas toujours possible de l’éviter, une solution consiste à développer des stratégies de résistance à la fatigue, destinées à réduire le risque d'erreurs liées à l’épuisement. Elles ont été présentées par Drew Dawson et ses collègues de l'Université d'Australie-Méridionale à Adélaïde, dans la revue Sleep Medicine Reviews en 2012. Avoir la possibilité de dormir La première stratégie de protection contre la fatigue est d'avoir la possibilité de dormir. Certaines juridictions, comme le Royaume-Uni, les États-Unis et l'Union européenne, limitent le nombre d'heures de travail des résidents en médecine. En 2013, le Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada et d'autres associations médicales ont étudié la question, et ont décidé de ne pas les limiter: ils ont plutôt recommandé que tous les programmes de résidence aient un plan de gestion des risques liés à la fatigue. Limiter les heures de travail n'élimine pas nécessairement la fatigue. La Dre Taylor et ses collègues ont interrogé des médecins résidents européens en 2016. Malgré une limitation des heures de résidence, les étudiants ont toujours déclaré être fatigués. Leurs conclusions ont été publiées dans Academic Medicine en 2017. La possibilité de dormir dépend notamment de la possibilité de faire des siestes pendant les gardes et d'un horaire permettant un sommeil réparateur. Les résidents canadiens ont contribué à établir des normes pour leurs salles de garde afin de faciliter les siestes, comme d’avoir un lit confortable et des rideaux occultants. Même si un résident dort un peu lorsqu'il est de garde, il peut souffrir d'inertie du sommeil lorsqu'il se réveille. C'est le moment où le cerveau met du temps à se réveiller, même si le corps fonctionne. La Dre Taylor souligne que les résidents doivent y être attentifs, «en particulier lorsqu'ils appellent le personnel». Un message téléphonique confus peut entraîner des erreurs médicales. Pouvoir réellement dormir Il peut être difficile de s'endormir pendant une garde ou après le travail en raison des rythmes circadiens ou des exigences non professionnelles. La Dre Taylor recommande, pour faciliter l'endormissement, de limiter l'exposition à la lumière en portant des lunettes de soleil en rentrant chez soi après un quart de nuit, par exemple. À contrario, s’exposer à la lumière avant une garde peut aider. La médecin a ajouté que chaque résident devrait recevoir une lampe de luminothérapie lorsqu'il commence le programme. À lire aussi: La luminothérapie pour atténuer la fatigue et réduire les erreurs des travailleurs de nuit Reconnaître les signes de fatigue Les médecins doivent reconnaître les comportements qu'ils adoptent lorsqu'ils sont fatigués, ainsi que le type d'erreurs qu'ils sont susceptibles de commettre. La fatigue se manifeste différemment d'une personne à l'autre. Lorsque la Dre Taylor a interrogé des médecins, certains ont affirmé qu'ils étaient plus susceptibles d'être irritables ou ont dit qu'ils ressentaient une fatigue oculaire. Quelques-uns ont indiqué être plus enclins à se laisser distraire, tandis que d’autres ont noté que l’application de leurs connaissances était moins optimale. À lire aussi: Discerner l’épuisement professionnel et s’en prémunir L'utilisation d'un stimulant peut empêcher la somnolence. La caféine peut être utile au bon moment, lors d'un quart de nuit ou lorsqu’ils sont de garde, a illustré la Dre Taylor, qui a discuté avec des médecins utilisant le modafinil pour rester éveillé. Tous les membres de l'équipe soignante doivent être attentifs aux signes de fatigue. La Dre Taylor a cité une étude réalisée par la NASA dans les années 1980, selon laquelle les équipages qui avaient travaillé ensemble pendant trois jours avaient commis moins d'erreurs que les équipages reposés. Les chercheurs ont émis l’hypothèse que l'équipe fatiguée avait peut-être obtenu de meilleurs résultats parce qu'elle avait collaboré pendant trois jours, ce qui avait permis une communication plus fonctionnelle. Une équipe, dont les membres travaillent souvent ensemble, peut remarquer un comportement de fatigue et «elle sent qu'elle peut vous rappeler à l'ordre», a suggéré la Dre Taylor. Les équipes de soins de santé sont souvent dynamiques, mais une équipe qui travaille ensemble plus régulièrement pourrait être en mesure de mieux reconnaître la fatigue des uns et des autres, et de s'adapter en conséquence. Les étudiants en médecine n'informent souvent pas les autres qu'ils sont fatigués, a constaté la Dre Taylor lors de ses entretiens avec des étudiants en médecine. «Bien que les étudiants en médecine comptent sur le système pour les protéger des erreurs lorsqu'ils sont fatigués, si nous ne savons pas qu'ils sont fatigués, le système ne peut pas former un filet de sécurité autour d'eux», a-t-elle précisé Il y a aussi la crainte de réactions négatives si les étudiants en médecine soulèvent la question de la fatigue. Alors que la prise de parole est souvent considérée comme un acte de bravoure de la part de l'étudiant en médecine, «comment former le chef d'équipe pour qu'il les écoute vraiment?» s’est demandé la Dre Taylor. Détecter les erreurs ou les événements liés à la fatigue, et en discuter La plupart des médecins savent quand ils sont fatigués. «Nous savons évaluer la somnolence, mais nous ne connaissons pas nécessairement son impact sur nos performances», a lancé la Dre Taylor. Il existe une sorte de croyance selon laquelle les médecins sont infatigables, qu'ils sont un type particulier de personnes capables de surmonter la fatigue et d'être performantes. On pense également que «mon collègue fatigué n'est pas aussi bon que moi fatigué», selon la professeure. Une autre croyance stipule que la fatigue peut être surmontée avec de l'entraînement, mais rien ne prouve qu'un manque de sommeil persistant vous rend plus performant. Si certaines études montrent que la fatigue est liée à des erreurs médicales, comme un nombre accru de piqûres d'aiguille, d'autres recherches n'indiquent pas d'augmentation du nombre d'erreurs lorsque la fatigue est en cause. Par exemple, une étude de l'Université Western de London (Ontario) a montré que les chirurgiens qui avaient travaillé la veille n'avaient pas plus d'accidents ou d'erreurs que ceux qui n'avaient pas travaillé la veille. L'étude a été publiée dans le JAMA en 2013. Un événement lié à la fatigue n'est pas toujours une erreur médicale, mais peut avoir un impact sur l'expérience du patient. Par exemple, la Dre Taylor raconte qu'une infirmière lui a parlé d'un médecin fatigué qui a fait irruption dans une salle où une patiente était sur le point d'accoucher d'un bébé mort-né, perturbant l'ambiance calme et solennelle en traitant la situation comme une urgence. À lire aussi: L’épuisement professionnel des médecins nuit à la qualité des soins Le rôle de la fatigue dans la sécurité des patients ne doit pas être minimisé. D’après la médecin la fatigue est souvent exclue des discussions portant sur les causes des erreurs ou des accidents évités de justesse lors de l'analyse des incidents. «Nous devons parler de la fatigue lors des événements de morbidité et de mortalité.» Programmes de résidence Plusieurs programmes de résidence en obstétrique et en gynécologie organisent les gardes et les quarts de nuit dans le but d'offrir un meilleur équilibre aux résidents. Les horaires varient d'un établissement à l'autre. Par exemple à London, en Ontario, les jeunes internes effectuent les gardes de nuit et les internes, plus expérimentés, s'occupent des gardes de 24 heures. À l'Université Queen's, les résidents s’occupent des gardes de nuit du lundi au jeudi, puis des gardes fractionnées pendant un mois, et enfin des gardes de jour pendant un mois. Le plan de gestion des risques liés à la fatigue doit être propre à l'établissement, car le nombre de patients pris en charge par chaque programme diffère au cours d'une année, a précisé la Dre Rachel Wang, résidente de cinquième année en obstétrique et gynécologie à l'Université de l'Alberta. Si la fatigue a été étudiée dans d'autres secteurs d'activité, il existe très peu de recherches propres au milieu médical, selon la Dre Taylor. L'un des problèmes des études évaluant les stratégies ou les interventions est l'absence de groupes témoins reposés. «Il est vraiment difficile de trouver un résident reposé», a-t-elle fait remarquer. Le problème est qu'il n'y a pas de manuel qui convienne à tous les médecins, selon elle. Il devrait y avoir des stratégies à l'échelle du système de santé pour atténuer la fatigue mais, en fin de compte, c'est au résident d'identifier ses propres limites lorsqu'il manque de sommeil, d'en parler aux autres et de faire les ajustements nécessaires pour minimiser les risques.

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