Réplique du Dr Christian Boukaram - La souffrance psychique nuit aux résultats des traitements oncologiques

Il est étonnant de remarquer des propos aussi catégoriques (courrier des lecteurs, L'actualité médicale, 18 janvier 2012, p. 4) face à ce sujet provenant de professionnels de la santé qui ne rencontrent uniquement qu’une partie des patients atteints de cancer, soit ceux adressés par les oncologues, et qui ne sont pas au courant des données récentes de la recherche. Peut-être ne réalisent-ils pas qu’ils ne font que véhiculer d’anciens dogmes basés sur une perception partielle de la réalité (la leur). Il existe une quantité importante de patients non rencontrés par les psychologues et qui ne se sentent aucunement coupables lorsqu’on leur parle de bien-être. Au contraire, ça leur redonne espoir.Ceux qui ont lu le livre Le pouvoir anticancer des émotions le savent : ce livre ne parle pas de pensée magique ou de solution facile contre le cancer. Il prône plutôt un réalisme face à la mort et à la maladie. Il amène une perspective face à de nouvelles découvertes scientifiques qui démontrent que les gènes ne sont pas notre destin et que l’ADN interagit avec l’état mental.Je suis un médecin spécialiste et je suis fier d’œuvrer quotidiennement dans le raffinement des techniques de traitements du cancer, mais je trouve qu’on aurait avantage à modifier certaines croyances afin d’améliorer la qualité des soins dispensés.Les anciennes études quantitatives dans ce domaine (dont celle de Goodwin) ont des failles importantes, notamment le fait qu’elles ne tiennent pas compte de la psychogénicité des patients1. L’autre frein majeur est la difficulté de trouver ce qu’on doit mesurer pour prouver un lien entre la psyché et le cancer. Quel test de laboratoire mesure bien tout votre vécu ? Quel questionnaire sur vos émotions est-il vraiment représentatif de ce qui se passe chimiquement dans votre corps ? Rappelons qu’il n’y a pas de recette miracle pour le bien-être. Il est aussi important d’écouter les témoignages de patients qui ont « déjoué » leurs statistiques et qui ont initié l’approche intégrative, car ils nous amènent des informations non révélées par les études analysant un groupe de personnes2. Le Dr David Servan-Schreiber a « défié » ses statistiques médicales alors qu’il était atteint d’un cancer fulgurant : il a survécu trois fois plus longtemps que la médiane des patients dans sa situation. Il est un exemple parmi tant d’autres prouvant que les statistiques s’appliquent à un groupe, pas à un individu et qu’il est difficile pour la médecine actuelle d’évaluer la complexité de l’être vivant. J’applaudis d’ailleurs la décision de l’Université de Montréal d’impliquer davantage les patients dans les décisions médicales qui les concernent via le programme patient-partenaire.Ceux qui s’attardent aux anciennes études négatives (n’ayant pas réussi à prouver ce lien) négligent l’importante quantité d’études positives, dont une nouvelle étude randomisée et prospective de l’université de l’Ohio avec suivi de 11 ans, conduite chez 227 patients démontrant que le soutien émotif initié lors de la pose du diagnostic amène un avantage de contrôle local ET double la survie médiane chez les patients atteints de cancer, en plus d’améliorer les paramètres psychologiques, sociaux et immunitaires3,4.On ne peut plus uniquement faire la guerre aux cellules cancéreuses sans tenir compte de l’environnement dans lequel elles évoluent. Cet environnement comprend maintenant la souffrance psychique et ses médiateurs chimiques, tel que l’adrénaline et le neuropeptide Y5. En plus d’affaiblir les défenses naturelles du corps, l’adrénaline active les cellules cancéreuses par la libération de facteurs inflammatoires, par l’accélération de la néo-vascularisation des tumeurs et par l’inhibition de l’apoptose6. Cela peut faire en sorte de doubler, voire tripler la vitesse de propagation de cellules cancéreuses en laboratoire7. Nous savons aussi maintenant que les périodes de souffrance catalysent les autres facteurs de risque du cancer et peuvent activer directement les gènes associés aux cellules cancéreuses8,9.Insistons par contre sur quelques points importants : Le cancer est une maladie complexe, multifactorielle et n’est majoritairement pas causé par une condition psychologique. Les traitements complémentaires, tel que le yoga, les massages et la méditation ne sont pas ésotériques et sont validés scientifiquement. Ils sont déjà disponibles au sein des plus grandes institutions oncologiques, telles que le Memorial Sloan-Kettering et le MD Anderson. Cela implique donc une ouverture d’esprit de la part de certaines personnes. Seuls les traitements médicaux peuvent permettre une cure. Le bien-être peut diminuer les effets secondaires des traitements, diminuer les douleurs, potentialiser les résultats médicaux ou intervenir dans le processus d’autoguérison du corps (healing), mais ne peut pas guérir un cancer. De toute façon, nous faisons rarement des promesses de succès, même avec nos traitements dits conventionnels.Mais il n’y a aucune raison de ne pas encourager les gens à adopter des moyens de détente naturels et de vivre en pleine conscience. Ça pourrait peut-être améliorer les statistiques du cancer. Ça pourrait aussi soulever la question : devant des taux de cancer qui n’ont pas diminué depuis 30 ans, pouvons-nous sincèrement ignorer des voies que la science nous offre sous prétexte que ça entre en conflit avec nos croyances antérieures ou notre peur de ne pas être à la hauteur ? Nous en sommes à un changement de paradigme. À moins de jouer à l’autruche, il y a suffisamment de preuves maintenant qui démontrent que le mal-être brime non seulement la qualité de vie, mais aussi les résultats médicaux. En tant que médecins, ignorer ces informations émergentes va à l’encontre de notre devoir. Il est donc important d’améliorer les soins de soutien et de pallier non seulement la souffrance physique de nos patients, mais aussi leur souffrance psychique.Dr Christian BoukaramRadio-oncologueProfesseur adjoint, Université de MontréalChercheur associé et chef de radio-chirurgie, Hôpital Maisonneuve-RosemontDirecteur de CROIRE, organisme de soutien pour les patients atteints de cancerÀ lire aussiLes émotions n’ont pas de pouvoir anticancerRencontre avec l’oncologue Christian Boukaram1. Temoshok LR, Wald RL. Change is complex: rethinking research on psychosocial interventions and cancer. Integr Cancer Ther. 2002 Jun;1(2):135-45.2. Cunningham AJ, Watson K. How psychological therapy may prolong survival in cancer patients: new evidence and a simple theory. Integr Cancer Ther. 2004 Sep;3(3):214-29.3. Andersen BL, Yang HC et al. Psychologic intervention improves survival for breast cancer patients: a randomized clinical trial. Cancer. 2008 Dec 15;113(12):3450-8.4. Andersen BL, Thornton LM et al. Biobehavioral, immune, and health benefits following recurrence for psychological intervention participants. Clin Cancer Res. 2010 Jun 15;16(12):3270-8. Epub 2010 Jun 8.5. Medeiros PJ, Al-Khazraji BK et al. Neuropeptide Y stimulates proliferation and migration in the 4T1 breast cancer cell line. Int J Cancer. 2011 Aug 5.6. Antoni MH, Lutgendorf SK et al.The influence of bio-behavioural factors on tumour biology: pathways and mechanisms. Nat Rev Cancer. 2006 Mar;6(3):240-8.7. Mian M, K Shahzad. Stress Effects on FosB- and Interleukin-8 (IL8)-driven Ovarian Cancer Growth and Metastasis. J Biol Chem. 2010 November 12; 285(46): 35462-70.8. Gidron Y, De Zwaan M, Quint K, Ocker M. Influence of stress and health-behaviour on miRNA expression. Mol Med Report. 2010 May-Jun;3(3):455-7.9. Thaker PH et AK Sood. «Neuroendocrine influences on cancer biology», Seminars in Cancer Biology, vol. 18, no 3, juin 2008.

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