Rentrée universitaire en pharmacie: «Il y a toujours une certaine fébrilité»

Ne pas être en retard, choisir la bonne tenue, ne pas oublier son ordinateur... Le stress de la rentrée universitaire n'épargne personne, étudiants comme professeurs, chargés de cours, chargés d'enseignement et conférenciers – surtout si on met le pied à la Faculté de pharmacie pour la toute première fois. Mais très vite, la joie de retrouver ou rencontrer ses collègues et de se replonger dans le bain de l'apprentissage vient balayer cette appréhension.Jessica Deslauriers a vécu cette expérience grisante il y a trois ans, en poussant pour la première fois la porte de sa salle de classe de l'Université Laval, après deux ans d'enseignement à distance – COVID-19 oblige. Désormais responsable du cours de 3e année de pharmacie, qui accueille cette année 187 étudiants, et par ailleurs chercheure au Centre de recherche du CHU de Québec-Université Laval dans l’axe neurosciences, elle collabore depuis peu avec Marie-France Demers, pour qui l'enseignement n'a plus de secrets. À découvrir: La rentrée scolaire des futurs pharmaciensEn effet, cette pharmacienne clinicienne à l’Institut universitaire en santé mentale de Québec est professeure titulaire à la Faculté de pharmacie de l’Université Laval depuis 2014, mais enseigne en réalité depuis l’obtention de son permis d’exercice il y a une trentaine d'années. Ensemble, elles assurent la coresponsabilité de deux cours de clinique du doctorat de premier cycle, qui recense 224 nouveaux étudiants cette année.Pour Profession Santé, Jessica Deslauriers et Marie-France Demers ont accepté de dévoiler les dessous de leurs missions et de la réalité du professorat, mais aussi de livrer quelques conseils à leurs nouvelles et nouveaux collègues. Qu’est-ce qui vous a donné envie d’enseigner? JD: Avant même de rejoindre la Faculté de pharmacie, je prenais déjà part au laboratoire pendant mon doctorat. Ce qui m'allumait le plus, c'était vraiment participer à la consolidation et à l’apprentissage de la relève. Et surtout de partager ma passion. J’ai encore la chance de me lever le matin et de ne pas avoir l’impression d’aller travailler. Si j’arrive à transmettre ce plaisir-là à mes étudiants, c’est mission accomplie.MFD: De mon côté, j’ai été invitée à enseigner dès l’obtention de mon permis d’exercer la pharmacie [en 1993, ndlr]. J’ai donné des cours sur différents sujets liés au domaine de la psychiatrie, où je me suis rapidement spécialisée. J’aime tellement ma profession. C’est un privilège. Et j’ai l’impression de contribuer à son avancement à travers l’enseignement. Par ailleurs, il y a un engagement à faire en sorte que les soins pharmaceutiques axés sur le rétablissement des personnes qui souffrent de troubles de santé mentale soient développés, ce qui passe par la lutte contre les tabous et la stigmatisation, par l’ajustement de la médication. C’est une grande source de motivation.Et puis, enseigner, être avec des jeunes qui nous bousculent, c’est se garder jeune!Comment avez-vous abordé cette rentrée universitaire 2025?JD: Il y a toujours une certaine fébrilité, car on part avec une nouvelle cohorte qu’on va essayer d’inspirer, de pousser plus loin la profession de la pharmacie. MFD: Tu as quand même beaucoup gagné en confiance ! [rires] Pour ma part, c’est une rentrée un peu particulière, puisque je m’apprête à effectuer pour la première fois de ma carrière une année d’études et de recherche. Je pars en Europe pour dix mois, donc je ne ferai pas d’enseignement à proprement parler. C’est Jessica qui va assumer la responsabilité de notre cours commun, et je pars le cœur léger car je sais qu’elle va bien le faire. Mais c’est un défi supplémentaire pour elle, car je sais ce que sait d’assumer ça toute seule.Que ressent-on en se présentant devant un amphithéâtre de 200 étudiants?MFD: C'est pas banal! Même après toutes ces années. J'ai un jour amené ma meilleure amie dans les locaux de la Faculté, et elle s'est mise à pleurer en arrivant dans l’amphithéâtre vide. Je me suis dit: «Ah, quand même, c'est pas rien.» Je suis toujours très nerveuse quand je vais enseigner, surtout dans mon domaine de spécialité, car j’ai trois heures pour convaincre les étudiants qu’ils vont faire la différence face à un patient présentant une psychose. C’est assez intense. Sans parler des problèmes technologiques qui peuvent être stressants, et du fait qu’enseigner pendant trois heures est très demandant. En lien avec ce sujet: Un nouvel espace d'apprentissage pour préparer les étudiants en pharmacie à la pratique en hôpitalJD: Mais l’énergie qu’on reçoit est tellement gratifiante! Alors que le travail de recherche se fait sur le long terme – les financements, les publications… L’enseignement nous apporte un retour immédiat. C'est sûr que tous les 200 étudiants n’ont pas la même soif d’apprendre, mais ils sont là pour devenir pharmaciens et veulent poser des questions. Comment les garder concentrés et intéressés pendant trois heures? MFD: On doit trouver une façon de valider les étudiants dans nos échanges, de leur faire sentir qu’ils sont préparés et capables, ce qui n’est pas chose facile avec 200 personnes.JD: Ce qui est sûr, c'est que les cours magistraux avec diapositives ne sont pas ce qui les attire le plus, donc on utilise beaucoup de logiciels d’interaction, avec des codes QR pour répondre aux questions au fur et à mesure que le cours se donne. Je m’informe aussi de ce qui est tendance pour leur génération, comme le programme Occupation Double ou des nouvelles d’actualité par exemple, et faire des parallèles dans mon cours. Ça les allume énormément. Avez-vous des attentes particulières concernant vos étudiants cette année? MFD: Pour le cours de 3e année, on veut qu’ils réfléchissent plus loin que «un médicament, une maladie». Quelque chose de transversal doit s’opérer, sinon le stage va être difficile pour eux. J’ai aussi envie de leur transmettre l’engagement, la passion, le goût de s’investir auprès des plus vulnérables. Nous avons des étudiants qui viennent de partout au Québec, et qui vont retourner travailler dans leur région ensuite. Ce seront des ambassadeurs précieux.JD: Le Saint Graal est non seulement de voir que leur jugement clinique se développe, mais aussi qu'ils veulent pousser leur profession plus loin, en se demandant ce qu’ils pourraient faire de plus comme pharmaciens. C’est là qu’on voit les étudiants qui ont vraiment trouvé leur voie!Quelles sont selon vous les qualités pour être un bon enseignant en pharmacie?MFD: Être structuré, avoir un fil conducteur clair pour que l’étudiant puisse s’y retrouver. Avoir une bonne capacité à vulgariser des concepts complexes également. La passion interpelle aussi les jeunes, car on devient des modèles de pratique pour les apprenants, et c’est important qu’ils le sentent. Je pense qu’il faut aussi être capable de faire le lien entre la matière et des exemples cliniques concrets. C’est pour ça qu’on parle de notre propre pratique, et qu’on fait intervenir des gens avec un savoir expérientiel, via des vidéos, des témoignages écrits, des vignettes… Ça donne de la profondeur.Ne manquez pas: Un premier programme de spécialisation pharmaceutique offert à l'Université de MontréalJD: L’ouverture d’esprit est aussi pour moi indispensable, tout comme le fait d’être conscient qu’il est impossible de tout savoir. On est expert du sujet qu’on enseigne, mais si on nous pose une question dont nous n’avons pas la réponse, il ne faut pas se sentir insulté! On peut revenir l’après-midi avec la réponse, après avoir fait une recherche. C’est positif pour les étudiants, qui ont poussé la réflexion plus loin. MFD: Le programme de pharmacie est un gros programme, les étudiants sont très sollicités et évalués, et je pense qu’ils apprécient qu’on aille à l’essentiel. Quels éléments du cours sont à intégrer, quels sont les objectifs? Ils attendent de nous qu’on leur réponde rapidement sur le site de cours, ou qu’on leur rende rapidement les corrections et les notes. C’est une preuve d’engagement de leur part! Justement, comment élaborez-vous vos cours? JD: Avant tout, je me suis familiarisée avec le programme de Pharm. D. première année, car je pense que comprendre le continuum pédagogique à travers les différentes phases de doctorat de premier cycle permet de mieux intégrer la place de chacun des cours dans le programme. Je suis responsable de deux cours, mais qu’est-ce que ça représente sur quatre années de pharmacie ? MFD: Nous avons en effet deux gros cours sur le système nerveux en deuxième et troisième année, et avec les nouveaux actes que les pharmaciens peuvent faire, on a dû les ajuster pour intégrer de nouveaux contenus. Mais on ne peut pas étirer à l’infini, donc on a dû faire des choix, enlever certains contenus. On a aussi beaucoup travaillé à l’intégration des concepts. On s’appuie sur des situations réelles pour que les étudiants puissent développer leur démarche clinique, leur réflexion, leur jugement. On fait aussi appel à un patient partenaire pour que tous les apprenants comprennent les besoins réels des personnes qui reçoivent leurs soins. Il faut de la théorie et de la pratique, surtout dans un cours professionnalisant. Oui, il y a de la pharmacothérapie fondamentale, mais il faut être capable de la rattacher à une démarche clinique.Comment intégrer les changements de pratique dans les cours? MFD: Il faut se préparer, c’est sûr, et on a commencé à intégrer les nouveaux actes il y a quelque temps. Pour ma part, je suis sollicitée pour développer l’enseignement sur l’évaluation de la condition mentale en lien avec l’usage des médicaments – le pharmacien doit désormais le faire, dans le cas d’un antidépresseur qui semble inefficace par exemple, ou si un psychotrope cause une diarrhée importante. On a développé de nouveaux contenus, et on a la chance d’avoir des laboratoires de stimulation avec des situations cliniques nouvelles, pour que les étudiants puissent mettre en pratique ces nouvelles compétences. Mais c’est un défi, car ils vont aller en stage auprès de pharmaciens qui n’auront pas été formés à ces sujets lors de leur cursus. [L’Université Laval a récemment mis en place un bureau de la formation continue pour permettre aux pharmaciens en exercice d’aller chercher de nouvelles compétences en santé mentale notamment, ndlr].À lire aussi: Ce cours n'avait rien à voir avec la pharmacie, mais j’y ai tout apprisJD: En santé mentale, on peut aussi faire face à des diagnostics erronés – par exemple, une dépression qui s'avère être une maladie affective bipolaire. La prise en charge n’est pas la même. Si le pharmacien ne peut pas poser un diagnostic, il peut entrer en contact avec un médecin pour changer la prise en charge et aider son patient. Il ne faut pas oublier que le pharmacien est souvent le premier accès des gens au système de santé, nous avons donc une réelle opportunité d'intervenir, et on veut sensibiliser les étudiants à ce rôle-là.Faut-il savoir être à la page et se remettre en question? MFD: C’est essentiel. Je suis fascinée par la capacité des étudiants à aller chercher l’information. C’est d’ailleurs ce qu’on enseigne aujourd’hui, plutôt que de tout savoir d'un sujet. Par contre, le savoir-être et le jugement clinique restent des impératifs, tout comme le fait de savoir considérer plusieurs situations en même temps. Chaque patient est unique, et il faut savoir s’adapter. Ça passe par le fait de développer des attitudes communicationnelles et une certaine souplesse.JD: Chaque année, on apprend et on s’améliore. Si certaines notions ont été moins bien consolidées en évaluation l’année précédente, on se demande comment faire pour mieux les intégrer cette année.MFD: Mais l'innovation ne se situe pas uniquement dans la manière d’enseigner, il faut aussi penser à la manière d’évaluer et d’encadrer les étudiants. Nous avons développé un cours de résolution de cas où les apprenants sont constitués en équipe, et peuvent échanger avec des experts. Ils ont donc voix au chapitre, peuvent partager leur raisonnement hors d’un contexte d’évaluation. Quels conseils donneriez-vous à de nouveaux enseignants ayant fait leur première rentrée cette année?*JD: Je me souviens de la première rentrée que j'ai faite en vrai il y a trois ans, j'étais assez nerveuse! J'avais l'impression de faire ma rentrée moi aussi! Le premier conseil que je pourrais donner, c’est, si possible, de travailler en parallèle avec un autre professeur senior dont l’expertise est complémentaire à la vôtre – Marie-France est experte en pharmacie clinique, et moi en pharmacologie fondamentale. On se complète très bien dans l'élaboration des cours et on se rejoint dans nos visions de l’éducation et des évaluations.MFD: Un des conseils que j’ai donnés à l’un de mes jeunes étudiants devenu professeur est aussi de devenir très ami avec la gestion des études, et de trouver les bonnes personnes pour l’éclairer sur les aspects techniques nécessaires afin de faire rouler une grosse cohorte. Il ne faut pas hésiter à demander à d’autres professeurs de partager leur matériel pour ne pas avoir à partir de zéro. Quand on enseigne, l'enfer est dans les détails: on doit mettre en ligne un site de cours, contacter des collaborateurs, donner des locaux… On doit bien s’entourer, pareil pour concevoir un examen intelligent, qui fait appel au jugement.JD: Je dirais aussi, trouver la bonne balance entre recherche, enseignement et clinique, les trois volets de nos tâches professorales. Quand on commence, on a tellement à faire qu’on ne s’y retrouve plus! Ça peut faire peur, mais il faut s’écouter, savoir dire non, et être capable de s’investir dans ce qui nous allume le plus. MFD: C’est vrai que c’est un défi pour un jeune prof qui voudrait tout changer dans un cours dont il ou elle hérite. Il faut savoir choisir ses combats, car on ne peut pas tout réformer en même temps. Il faut prendre le temps de façonner un cours à son image.*La Faculté de pharmacie de l'Université Laval indique à Profession Santé ne pas avoir ouvert de postes de professeurs pour l'année universitaire 2025-2026.

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