L’opposition à l’aide médicale à mourir: un relent de paternalisme médical

En raison d’une certaine «offensive» d’un groupe opposé à Mourir dans la dignité, à la mi-février, je vous soumets cette réflexion qui nous amène aussi sur le terrain de la surmédicalisation.J’ai eu, comme plusieurs personnes, l’opportunité de prendre connaissance du rapport du comité Mourir dans la dignité. Remarquable de pondération et de profondeur de réflexion, ce rapport est admirable à plusieurs points de vue. Étoffé et nuancé, il marque, à mon avis, d’une pierre blanche la réflexion sociétale sur ce sujet. S’en est suivi dernièrement un argumentaire juridique qui a balisé le chemin et qui permet de répondre aux interrogations légitimes d’une partie de la société, sinon de l'ensemble de celle-ci.Or, dans les dernières semaines, des médecins ont exprimé leur désaccord et certains de leurs arguments m’ont interpellé, d’où la présente réflexion.Avec tout le respect que je dois au Dr Patrick Vinay, je ne suis pas d’accord avec lui. Dans une lettre d'opinion adressée au Devoir et publiée le 18 janvier dernier, il écrivait : « La fascination de faire partie des gens jeunes, beaux et autonomes ôte pour certains toute dignité aux malades dépendants. Il faut achever leur vie rapidement, plutôt que de soigner efficacement… »Souffrance moraleCette ellipse m’apparaît fort discutable : il ne s'agit pas ici d’achever une vie rapidement pour rester jeune, beau et autonome, mais plutôt d’aider à mourir dignement les personnes qui en sont arrivées, après mûre réflexion, à décider que la vie telle qu’elles la conçoivent ne vaut plus la peine d’être vécue avec sa déchéance et ses dépendances envers les autres. Le Dr Vinay fera grand cas des « puissants médicaments pour restaurer le confort » : il ne s'agit pas ici de souffrance physique bien sûr, mais de souffrance morale pour l’essentiel de ces personnes. Et en ce qui me concerne, l'aide médicale à mourir n'est pas un terme fallacieux, mais une réalité qui doit être envisagée dans nos sociétés avancées.Le Dr Patrick Vinay (pour éviter toute ambiguïté, je précise que nous nous connaissons bien) est un homme de grande valeur qui a consacré sa vie à la clinique, à la recherche, puis après un détour par l’administration universitaire, a poursuivi son cheminement dans les soins palliatifs, ce qu’il fait avec passion et grandeur d’âme. Les arguments qu’il apporte contre le droit de mourir ou l’euthanasie médicalement assistée sont certes tout à fait légitimes, mais en tout respect, ils ne doivent pas être considérés comme universels et s’appliquer à tous.On ne peut nier que dans ces matières, il y a une optique religieuse qui peut souvent occulter d’autres questions et d’autres regards. Encore une fois, cela est complètement légitime pour ceux dont c'est la croyance, mais cela ne justifie pas de l’appliquer à tous : de plus en plus de gens, dont je suis, sont athées et d’autres religions n’ont pas la même attitude devant la mort que les trois grandes religions monothéistes.D’autres cultures n’ont pas le concept de la vie physique à tout prix comme fondement et vont par exemple plutôt favoriser la vie psychique. Il y a sur cette terre une multitude de points de vue et en ces matières, il m’apparait que le prosélytisme n’a pas sa place.Paternalisme médicalIl serait ici tout à fait futile de reprendre tous les arguments qui ont été développés par le comité Mourir dans la dignité. Je veux seulement m’en tenir à un questionnement humain et à un angle spécifique, celui du paternalisme médical : prétendre dans nos sociétés annihiler toute souffrance humaine et surtout psychologique à l’approche de la mort en multipliant les soins palliatifs relève à mon avis d’une bienveillante illusion, mais une illusion tout de même. Bien sûr qu’il faut donner accès le plus possible à des soins palliatifs, là n'est pas la question. Bien sûr qu’il y a des gens qui souffrent physiquement dans leur corps en fin de vie et qui veulent être soulagés tout en gardant leur esprit relativement clair pour profiter des derniers jours parmi leurs semblables : là n'est pas la question non plus.Cela ne règle en rien la question des personnes qui souffrent profondément dans leur psyché et ce malgré l’apport de molécules ou de thérapies diverses. Perte de l’autonomie de base, perte de contrôle de sa propre vie, crainte et horreur de la dépendance envers les autres (famille, soignants, société), perte inéluctable des capacités cognitives, etc. Il y a de multiples raisons pour lesquelles un être humain autonome, indépendant, pensant, comprend avec une acuité douloureuse qu’il arrive au bout de son cheminement et que cette pensée lui devient intolérable.Cela aussi est totalement légitime et représente peut-être le dernier geste d’affirmation de l’autonomie personnelle. L’être humain n'est-il pas le seul à savoir que son existence est finie, qu’elle a un début et une fin ? Il ne faut pas perdre de vue non plus que la prolongation de la vie chez un grand nombre de personnes malades relève de la médecine moderne : il n’est que justice que la médecine s’occupe aussi des personnes qu’elle a souvent conduites à ces états de dépendance.Il faut qu’il y ait des balises pour s’assurer qu'une personne n'est pas dans un état dépressif transitoire et que sa décision découle d’une réflexion personnelle et multifactorielle. Mais ce cheminement chez ce type d’individu est là aussi parfaitement légitime.Principes de bioéthiqueLes quatre grands principes de bioéthique sont la bienfaisance, la non-malfaisance, le respect de l’autonomie de l’individu et la justice. Qu’y a-t-il de bienfaisant à adresser un patient en soins de fin de vie (souvent appelés palliatifs) avec une espérance de vie entre 0 et 30 jours, tout en poursuivant une lourde médication de chimiothérapie (et oui, j'ai eu connaissance de tels cas) associée à de multiples autres médicaments tout aussi inutiles que futiles ? Qu’y a-t-il de respectable vis‑à‑vis de l’autonomie de l’individu à refuser une aide médicale qui permettra au malade de mettre fin à ses jours dans la dignité, dans le calme, dans la sérénité? Ce faisant, n’est-ce pas autant une réponse adéquate et digne au principe de bienfaisance? N’est-ce pas respecter l’autonomie de l’individu que de l’aider dans le moment assurément le plus difficile de sa vie – bien sûr encore une fois après avoir pris toutes les précautions nécessaires?Ce qui m’interpelle, c'est le relent de paternalisme médical qui veut substituer à l’autonomie de l’individu, aux décisions qui concernent sa propre vie et sa propre mort, des mécanismes cliniques qui vont le priver de l’acte ultime d’autonomie. Point n'est besoin d’évoquer les histoires d’horreur qui ont été expliquées devant le comité : personne qui tente de se suicider de façon atroce, longues agonies, etc.N’est-ce pas du paternalisme médical (et teinté parfois de relent religieux) de vouloir imposer à tout un chacun sa propre morale? Je m’inscris en faux contre cette conception : tout ne doit pas se ramener dans notre société à la médecine et encore moins au pouvoir médical.Pourquoi ne pas changer la surmédicalisation de la fin de vie par un « surhumanisme » d’accompagnement ? (Revoir les dernières scènes d’un film précurseur, Les Invasions Barbares)À lire aussiMourir dans la dignitié (2/2) -- Fin de vie et vie sans fin

L’opposition à l’aide médicale à mourir: un relent de paternalisme médical

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Georges L'Espérance