Réduire une liste d’attente en spécialité, c’est possible!

Lorsque le Dr Dat Nhut Nguyen a pris la direction de la clinique de gestion de la douleur de l’hôpital de Rouyn-Noranda, en 2016, la liste d’attente était d’environ six ans et comptait quelque 630 patients. Aujourd’hui, elle a été réduite à peau de chagrin et la clinique, qui dessert les régions de l’Abitibi-Témiscamingue et du Nord-du-Québec, est en mesure de prendre en charge 300 nouveaux patients par année. Cette prouesse a valu au Dr Nguyen d’être récompensé par la Fédération des médecins spécialistes du Québec d’un Prix d’excellence en soins en région intermédiaire ou éloignée. Une distinction qui honore «des médecins spécialistes d’exception ou des projets novateurs qui ont contribué à améliorer l’accès, l’efficacité, la qualité ou la sécurité des soins de santé en favorisant l’interdisciplinarité».En l’occurrence, l’anesthésiologiste spécialiste en médecine de la douleur et son équipe ont adopté une approche clinique singulière. Elle s’appuie sur le modèle de la «thérapie interactionnelle stratégique» et a été développée par le psychologue Jacques Charest. «J’ai eu la chance d’étudier avec lui lorsqu’il était professeur à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue. Il a été un des premiers au Québec à prôner cette approche centrée sur l’autotraitement pour la prise en charge de la douleur chronique et il l’a pratiquée avec succès. Alors on l’a instituée à la clinique», raconte le Dr Nguyen.Cette méthode consiste à apprendre aux patients à s’autotraiter, en les aidant à agir différemment. Elle part du principe que l’on ne guérit pas de la douleur chronique — celle qui dure ou réapparaît pendant plus de trois mois —, mais qu’il est possible de la gérer pour avoir une vie confortable, résume l’anesthésiologiste. «La plupart des médecins traitent la douleur chronique comme une douleur aiguë consécutive à une blessure ou une chirurgie. Leur patient est pourtant physiquement guéri, mais sa souffrance est toujours là. Cela s’explique par une neuroplasticité mal adaptée du cerveau. Le système nerveux est comme pris dans un cercle vicieux. La douleur y reste imprégnée sans avoir une origine physique», indique le Dr Nguyen.L’approche qu’il préconise s’articule ainsi autour de programmes d’exercices physiques ciblés, de méditation, de changement des habitudes de vie, de gestion du sommeil et du stress, etc. Ces programmes personnalisés sont définis par les physiothérapeutes de la clinique en partenariat avec les patients. «La particularité à Rouyn, c’est qu’il n’y a pas beaucoup de médecins», signale le spécialiste. Si aujourd’hui, l’équipe compte également une neurologue et un médecin de famille à temps partiel, «j’ai longtemps été le seul à la clinique, en plus de mes gardes en anesthésiologie. Sans interdisciplinarité, on n’aurait pas pu y arriver. Les physiothérapeutes sont des professionnels compétents et polyvalents. Ils ont été formés à l’approche et ce sont eux qui prennent en charge les patients, avec l’aide d’une technologue en physiothérapie.»Lire aussi: Vos bonnes ondes pourraient-elles soulager la douleur de vos patients?Lors des deux premières consultations, le physiothérapeute évalue le patient, lui explique la démarche et définit avec lui les objectifs à atteindre au fil des six à huit rendez-vous qu’il aura avec l’équipe. «On les prévient qu’il n’y en aura pas plus et qu’on ne va pas les suivre ad vitam aeternam. Pour eux, c’est une source de motivation, car ils ont toute une discipline à tenir pour éviter la récidive», indique le Dr Nguyen. Il convient que ce n’est pas évident pour les patients — «On leur demande beaucoup de travail» — tout en précisant que l’équipe n’en a jamais abandonné aucun. «Si besoin, on négocie des consultations en plus.»Déprescription et accompagnement en lignePersonnellement, il intervient en général à la troisième rencontre. «On discute médication et j’effectue un travail de déprescription. Souvent, je dois leur enlever les opioïdes qui ne servent à rien pour traiter la douleur, si ce n’est de les rendre dépendants. J’ajuste également les gabapentines qu’on leur a prescrites en essayant de trouver la dose minimale efficace pour limiter les effets indésirables», détaille le médecin qui revoit ensuite les patients une ou deux fois avant de leur donner congé.Les patients qui souffrent de lombalgies constituent la moitié de la clientèle de la clinique. Pour les accompagner pendant et après leur prise en charge, la clinique a créé un site Internet et une chaîne YouTube dédiés. Ils y retrouvent des conseils, des trucs et des outils pour calmer leur douleur, atténuer l’irritation, diminuer l’inflammation ainsi que des exercices pour leur dos. «Les médecins peuvent y référer leurs patients», informe le Dr Nguyen, plutôt satisfait de constater que des gens consultent ces ressources d’un peu partout au Québec et même en Ontario.L’approche adoptée par la clinique de la douleur de Rouyn-Noranda est de plus en plus recommandée, affirme le spécialiste en mentionnant que son équipe a donné des formations pour qu’elle soit déployée dans les cliniques des CHU de Québec et de Sherbrooke. Il y a apporté sa touche personnelle, apprise auprès de sa prédécesseure à la clinique, la Dre Michèle Bachand: «Je ne contredis jamais un patient. Je parle son langage, j’utilise ses métaphores. Et j’essaye de comprendre comment son système nerveux organise son monde afin d’y calquer mon discours. Ça favorise sa collaboration et l’aide à atteindre ses objectifs.»

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