Recours collectif sur les frais accessoires: cuisant revers de la FMOQ, la FMSQ, l'AOQ et la RAMQ

La Fédération des médecins omnipraticiens, la Fédération des médecins spécialistes, la Régie de l’assurance maladie et l’Association des optométristes du Québec viennent d’essuyer un cuisant revers devant la Cour d’appel du Québec. Le 23 avril dernier, les trois juges ont rejeté leur demande d’appel qui visait à empêcher qu'un recours collectif portant sur les frais accessoires entrepris contre elles soit traité par la Cour supérieure plutôt que par le Tribunal administratif du Québec. Cette défaite pourrait avoir de très lourdes conséquences.La loi permettait à une époque de facturer aux patients des médicaments et des agents anesthésiques administrés lors de traitements, mais seulement à leur coût réel. Or, des cliniques et des médecins ont parfois exigé des frais dix fois plus élevés que le coût réel des produits. Pour contrer ces abus, le gouvernement a passé une loi en 2017 pour abolir les frais accessoires sur les services assurés. Cependant, des citoyens avaient déjà pris les devants et entrepris des recours juridiques. Deux actions collectives, lancées il y a plusieurs années, cheminent séparément devant les tribunaux présentement, mais les deux causes sont traitées de façon parallèle et complémentaire par la justice.La première action émane de Philippe Léveillé. L'homme était atteint de glaucome et a reçu plusieurs traitements à l’Institut du glaucome de Montréal. On lui a facturé des frais variant de 8,25 $ à 63,60 $ pour des gouttes d’Alcaïne et de Fluorescine sodium, alors que leurs coûts étaient respectivement de 0,0343 $ et de 0,335 $. Il a initié sa démarche en vue d’intenter un recours collectif en 2014.Le dossier Raunet-Gagnon, qui a fait l’objet de l’arrêt du 23 avril, est venu s’ajouter en 2016. Cette dernière action vise tous les frais accessoires illégaux facturés pour des services assurés, pouvant aller du stérilet vendu à un prix excessif aux boîtes d’échantillons de médicaments vendus par certains médecins.Le gouvernement est visé par ces deux recours car il n’a pas empêché ces surfacturations tout en les sachant illégales.D’importantes répercussionsL’arrêt de la Cour d’appel était fortement attendu car il pourrait avoir d’importantes répercussions sur l’issue de ces dossiers. Si les juges avaient déterminé que la Cour supérieure n’était pas compétente pour traiter cette poursuite et que cette affaire devait être entendue par le Tribunal administratif, cela aurait entraîné le rejet de la cause et la fin de cette saga puisque seule la Cour supérieure peut entendre des actions collectives. C’est la raison pour laquelle la FMSQ, la FMOQ, la RAMQ, représentée par le gouvernement du Québec, et l’AOQ, bataillaient ferme depuis des années afin que l’affaire soit plutôt déférée devant le Tribunal administratif. Ils ont échoué dans leurs démarches et devront en plus en acquitter les frais.La Cour supérieure est compétenteLa décision de la Cour d’appel confirme le jugement rendu le 14 juin 2019 par la Cour supérieure qui avait refusé les requêtes en exception déclinatoire déposées par les quatre parties au sujet de la demande d’autorisation d’une action collective déposée contre elles. Les trois juges ont déterminé que tous les défenseurs pouvaient être poursuivis devant la Cour supérieure pour tous les montants illégaux facturés aux patients. L’arrêt fera donc en sorte que le recours collectif dans la cause des plaignants Daniel Raunet et Colombe Gagnon pourra être entendu par la Cour supérieure, si cette dernière l’autorise comme elle l’a fait dans le cas de Philippe Léveillé, il y a deux ans.Les retombées de cette décision pourraient être énormes sur le plan financier pour les parties visées si elles étaient reconnues coupables. Un règlement en faveur de tous les patients ayant été victimes de surfacturation pourrait équivaloir au montant illégalement facturé en plus des intérêts courus depuis des années et d’une indemnité additionnelle. Au total, on parle de dizaines de millions de dollars.On ignore encore comment la facture serait répartie entre la FMSQ, la FMOQ, l’AOQ et le gouvernement du Québec en cas de condamnation, sauf dans le cas Léveillé où les dizaines de cliniques et de médecins ayant surfacturé illégalement sont clairement visés et identifiés. Leur nom figure dans l’arrêt Léveillé produit, lui aussi, le 23 avril dernier.Les responsabilités de chacunDans son arrêt, la Cour d’appel a estimé que le gouvernement, à travers la RAQM, n’avait pas sciemment fait appliquer la loi ou l’avait fait de façon négligente. Elle est ainsi visée par les poursuivants pour son inaction. En ce qui concerne les fédérations médicales, la Cour d’Appel juge qu’elles ont incité leurs membres à enfreindre la loi. Des cliniques et des médecins visés par le recours intenté par Léveillé ont aussi bafoué les plafonds qu’ils auraient dû respecter.«Il y a encore beaucoup de chemin à parcourir avec les causes, mais si on parvenait à prouver les allégations, alors ce serait grave. On parle d’infractions systématiques à la loi durant des années et avalisées par le gouvernement», commente Me Cory Verbauwhede, avocat qui pilote ce dossier depuis plusieurs années avec son collègue Bruno Grenier.Encore des années de recours Même si ces affaires sont en cours devant les tribunaux depuis respectivement sept et cinq ans, il risque de s’écouler encore entre deux et cinq années supplémentaires avant que la Cour supérieure ne rende son verdict dans les deux causes. En outre, il est à prévoir que peu importe la décision de la Cour supérieure, le jugement sera porté en appel, ce qui ajoutera un délai supplémentaire de plusieurs années avant un dénouement final. Me Verbauwhede ne croit pas que les causes portant sur les frais accessoires vont s’étaler sur 20 ans, mais il juge réaliste une durée totale de 10 à 15 ans. Extraits de l’arrêt de la Cour d’appel dans la cause Raunet-Gagnon «Insatisfaites des résultats des négociations avec le MSSS, les Fédérations ont incité leurs membres à percevoir des frais illégaux comme moyen détourné d'augmenter leur rémunération.» «Les Fédérations ont, par exemple, publié des grilles tarifaires afin d'inciter leurs membres à exiger de leurs patients des frais accessoires pour des services et des fournitures. Dans les faits, les grilles tarifaires étaient largement suivies par les professionnels et les cliniques.» «À titre d'exemple, la grille tarifaire de la FMSQ indique un prix de 125 $ à 200 $ pour la vente par un médecin d'un stérilet, bien que le coût d'achat d'un stérilet peut être aussi bas que 50 $.» «Compte tenu de la nature des fautes reprochées, on ne peut retenir la prétention des Fédérations voulant que l’article 22.0.1 de la Loi sur l’assurance maladie ait pour effet de les immuniser contre toute poursuite en dommages-intérêts relative aux fautes civiles qu’elles auraient commises dans la mise sur pied et le maintien du système systémique de surfacturation des frais accessoires aux services de santé assurés.» Extraits de l’arrêt de la Cour d’appel dans la cause Léveillé« Le juge rejette la prétention voulant que l’article 22.0.1. de la Loi sur l’assurance maladie exclue la compétence de la Cour supérieure sur le litige.» « L’action collective entreprise tire sa source du fait que plusieurs médecins, optométristes et cliniques privées profitaient de ces dispositions afin de facturer à leurs patients des montants qui n’avaient aucune commune mesure avec le coût réel des médicaments et agents anesthésiques fournis.»«La surfacturation était tellement tolérée par les responsables gouvernementaux qu’elle a même fait l’objet d’un rapport du Vérificateur général du Québec, lequel a provoqué l’intervention de la ministre fédérale de la Santé.» «Selon le mémoire de Léveillé, la responsabilité extracontractuelle de la RAMQ serait recherchée pour avoir toléré la facturation illégale systémique de frais accessoires par les cliniques et les professionnels de la santé.»

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