Qui sont les patients qui fréquentent l’urgence à répétition?

Qui sont les Québécoises et Québécois qui se rendent sans cesse aux urgences et contribuent à leur engorgement? Ce sont souvent des personnes cumulant maladies chroniques, problèmes de santé mentale et/ou fragilités socio-économiques. Ce portrait dressé dernièrement par l’Institut national d’excellence en santé et services sociaux (INESSS) rappelle que « bien que constituant une faible proportion de l’ensemble des usagers des urgences, les UFU (utilisateurs fréquents des urgences) sont associés à un nombre important de visites ». En 2022-2023, les patients qui sont allés trois fois et plus à l’urgence au cours de l’année représentaient 16% des usagers (soit 336 000 personnes) pour 40% des visites. Pour parvenir à ce constat, l’équipe de recherche de l’INESSS, qui était mandatée par le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), a exploité les banques de données clinico-administratives du ministère et de la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ), notamment la banque de données communes des urgences (BDCU), sur la période du 1er avril 2022 au 31 mars 2023. Après corrections, l’échantillon couvre plus de 2,05 millions d’usagers et 3,58 millions de visites. Les chercheurs ont créé 12 groupes d’UFU en fonction de leur nombre annuel de passages à l’urgence (UFU ≥ 1, UFU ≥ 2… jusqu’à UFU ≥ 12) puis, pour chacun d’eux, ils ont analysé les profils démographiques et cliniques des participants ainsi que leur usage des services de première ligne. Les résultats montrent que seuls 5484 personnes (0,3%) ont effectué 12 visites ou plus à l’urgence, mais qu’elles représentaient 2,8% des passages. La taille des groupes UFU baisse linéairement lorsque le seuil de visite augmente, sans qu’il n’ait été identifié de seuil optimal. Les 25‑64 ans dominent parmi les UFU aux seuils élevés. «C’est toutefois l’inverse pour les plus jeunes (0-18 ans) et les plus âgés (65 ans et plus), dont la proportion diminue lorsque le seuil du nombre de visites annuelles augmente», souligne le rapport. De plus, les femmes sont légèrement majoritaires jusqu’à neuf visites; au-delà, les hommes prédominent. Sur le plan clinique, 67% des UFU ≥ 12 présentent au moins cinq maladies chroniques, alors que ce taux est de 15% chez les usagers moins fréquents. Leur principales affections: troubles mentaux (66%), affections rhumatologiques (58%) et endocrino-métaboliques (46%) et problèmes cardiovasculaires (46%). Toutefois, ces maladies chroniques «ne sont pas nécessairement la cause du recours aux services d’urgence», précisent les chercheurs.Durant l’année 2022-2023, 28% des usagers qui ont fréquenté les urgences ont eu au moins une intervention avec un professionnel du CLSC (prise de sang, vaccination, soins actifs, etc.). Cette proportion augmente avec le seuil de visites annuelles, pour atteindre 68% chez les UFU ≥ 12. En revanche, la proportion d’usagers inscrits auprès d’un médecin de famille est sensiblement la même (autour de 73%), quel que soit le nombre de visites annuelles aux urgences. La majorité de celles-ci sont classées «moins urgentes» ou «non urgentes» (P4‑P5) et sont donc potentiellement évitables. Diagnostics les plus fréquents à l’urgenceAu-delà des profils des patients, l’INESSS a étudié les caractéristiques de leurs visites. Il en ressort que les départs avant prise en charge médicale sont beaucoup plus fréquents chez les grands utilisateurs: 21% des passages chez les UFU ≥ 12 contre 11% dans l’ensemble de la clientèle. Les hospitalisations concernent environ 12% des visites, une proportion stable quel que soit le seuil. La durée médiane des séjours s’allonge toutefois légèrement avec la fréquence, passant de 5,2 heures chez les UFU ≥ 3 à 6,3 heures chez les UFU ≥ 12. «La proportion des visites moins urgentes ou non urgentes reste stable, quel que soit le seuil», observe cependant le rapport, ce qui illustre le caractère structurel de ce recours inapproprié à l’urgence.À lire aussi: Le Québec est la pire province en termes d'attente aux urgencesL’analyse des diagnostics posés lors des visites nuance encore le portrait. Chez les UFU ≥ 3, les diagnostics les plus fréquents concernent les maladies respiratoires (10%), les traumatismes (8%), les affections ostéo-articulaires (5%) et les troubles mentaux ou du comportement (4%). Mais deux catégories peu spécifiques arrivent en tête: «symptômes, signes et résultats anormaux d’examens» (17%) et «facteurs influant sur l’état de santé et motifs de recours aux services» (10%). Chez les UFU ≥ 12, la part des troubles mentaux grimpe à 9% des visites, et les troubles liés à l’usage de substances psychoactives passent de 1% à 4%, comparé aux UFU ≥ 3. Ce glissement montre que la fréquentation intensive reflète aussi des problématiques psychosociales persistantes.Variations selon les régionsEnfin, les comparaisons régionales révèlent de fortes disparités. Les UFU sont proportionnellement plus nombreux en Abitibi-Témiscamingue, sur la Côte-Nord ou en Gaspésie, où l’urgence joue un rôle de première ligne. Dans ces trois régions, de 23% à 32% des usagers se rendent au moins trois fois par an à l'urgence, contre de 14% à 18% dans les centres universitaires comme Montréal ou Québec. En ville, le repérage de ces patients est toutefois plus délicat. «Dans les régions qui ont un nombre plus important d’installations d’urgence, les UFU ont plus souvent tendance à visiter différentes urgences au cours d’une même année», note l’INESSS. Ainsi, un centre hospitalier montréalais ne peut identifier que 16% à 54% des UFU ≥ 3, contre 64% à 86% sur la Côte-Nord.Les auteurs ne proposent pas clairement de solutions pour remédier aux enjeux posés par ces UFA. Ils insistent simplement sur la nécessité d’une prise en charge plus coordonnée, notamment pour les troubles de santé mentale complexes, et d’un renforcement de l’accès à la première ligne pour réduire les visites non urgentes. Ils recommandent aussi d’améliorer le repérage interétablissements de ces patients et de «mettre en place des interventions ciblées, plus adaptées à leurs besoins».À lire aussi: Les préjugés aux urgencesRedonner à l’urgence son rôle véritableCe portrait fait écho à l’état préoccupant des urgences dressé depuis des années au Québec. Selon une étude récente de l’Institut économique de Montréal (IEDM), le Québec se classe bon dernier au Canada en termes d'attente aux urgences, avec un temps médian de 5 heures et 23 minutes, alors que celui-ci est de 2h45 à Terre-Neuve-et-Labrador (première position) et de 4h en Ontario. Dans le détail, le temps d'attente médian avant de voir un médecin dans les urgences du Québec s'élève à 1h51, ce qui est semblable à la plupart des provinces ayant fourni ces données.En février, Santé Québec rapportait que près de la moitié des passages aux urgences concernaient des motifs non urgents. Une réalité dont les ressorts sont connus: manque de médecins de famille, absence de rendez-vous rapides, CLSC sous-utilisés, professionnels peu disponibles les soirs et les fins de semaine, etc. Un cocktail qui pousse des patients à recourir aux urgences même pour des cas mineurs.«Un nombre important de visites seraient donc potentiellement évitables», rappelle l’INESSS. Reste à savoir si le MSSS et Santé Québec sauront transformer ce constat en levier: réinventer la première ligne, coordonner les soins complexes et, surtout, redonner à l’urgence son rôle véritable.

Qui sont les patients qui fréquentent l’urgence à répétition?

Pour accéder au contenu, connectez-vous ou créez un compte gratuit.

Catégories connexes