Quand l’«expérimentation» mène à la radiation

Pas moins de 24 mois de radiation. C’est la sanction imposée récemment au pharmacien montréalais Gia-Thanh Lai par le Conseil de discipline de l’Ordre des pharmaciens du Québec (OPQ) - conclusion d’un dossier hors norme marqué par 31 chefs d’infraction. En attendant l’exécution de cette lourde sanction, le professionnel avait déjà été radié d’urgence, le Conseil estimant nécessaire de l’écarter immédiatement des comptoirs afin d’assurer la protection du public.Entre octobre 2023 et décembre 2024, le pharmacien s’est procuré illégalement une quantité importante de médicaments, notamment des substances contrôlées, en multipliant les stratagèmes pour contourner les règles encadrant la dispensation. Il a notamment fait modifier ou créé de toutes pièces des étiquettes, invoqué de faux motifs cliniques et induit en erreur des collègues ainsi que des professionnels de la plateforme Dialogue afin d’obtenir les produits convoités. Dans un cas, il se serait présenté comme un patient nécessitant une médication précise, tout en utilisant son expertise pour orienter l’évaluation et faciliter l’obtention du médicament. Pour le syndic, il ne s’agit pas d’écarts ponctuels, mais d’un mode opératoire structuré. Les gestes reprochés s’inscrivent dans «une conduite répétée, planifiée et consciente», déployée sur une période prolongée. Il souligne aussi que Gia-Thanh Lai a tiré parti de la confiance inhérente à son statut professionnel pour abaisser la vigilance de son entourage. «Il a utilisé son titre de pharmacien comme levier», insiste le syndic, rappelant que cette crédibilité, conférée par la profession, a précisément été détournée.Devant le Conseil, Gia-Thanh Lai n’a pas nié les faits. Il les a même expliqués. Il décrit une relation au médicament qui dépasse, selon lui, le cadre habituel de la pratique professionnelle. Il se présente comme «une machine à expérimentation». Il se dit animé par le désir de comprendre «le processus» et les effets des substances qu’il se procurait. Il ajoute avoir voulu observer, sur lui-même, l’impact de certains médicaments sur son état mental et physique, convaincu de pouvoir en contrôler les effets. «Je voulais voir comment ça agissait», affirme-t-il, parlant d’une démarche qu’il qualifie de personnelle et introspective. Gia-Thanh Lai, qui était à l’emploi de diverses pharmacies à Montréal, soutient qu’il ne cherchait ni à revendre les médicaments ni à nuire à autrui. «Je pensais être capable de gérer», dit-il encore en admettant aujourd’hui avoir sous-estimé les risques. Il reconnaît désormais que «cette façon de faire n’avait rien à voir avec une pratique professionnelle sécuritaire».Une ligne professionnelle franchieCette lecture des faits ne convainc toutefois pas le syndic. Pour lui, la question n’est ni l’intention invoquée ni la curiosité personnelle du pharmacien, mais l’usage qu’il a fait de son statut professionnel. Le syndic soutient que Gia-Thanh Lai a instrumentalisé son titre et son expertise pour accéder à des médicaments auxquels il n’aurait jamais dû avoir accès. Il insiste sur le fait que son confrère n’agissait pas en profane, mais en pharmacien pleinement conscient des règles qu’il contournait. «Il ne s’agit pas d’un pharmacien qui aurait commis une erreur ponctuelle, mais d’un professionnel qui a consciemment utilisé son statut pour obtenir des médicaments auxquels il savait ne pas avoir droit», soutient le syndic. «Ce n’est pas un simple écart de jugement», ajoute-t-il, mais une série de gestes posés en sachant qu’ils contrevenaient aux obligations fondamentales de la profession. Selon lui, l’argument de l’expérimentation ne fait qu’accentuer la gravité du dossier, puisqu’il révèle une confusion profonde entre sphère privée et responsabilités professionnelles.À lire aussi: Une ex-médecin fraude la RAMQ en prétextant un projet de rechercheLe Conseil est sur la même longueur d’onde, tout en allant plus loin. Il estime que les explications avancées par Gia-Thanh Lai, loin d’atténuer sa responsabilité, mettent en lumière une posture incompatible avec l’exercice de la pharmacie. D’après ses pairs, se définir comme une «machine à expérimentation» traduit une confusion fondamentale entre curiosité personnelle et jugement professionnel. Or, rappelle le Conseil, le pharmacien n’est jamais un usager ordinaire du médicament; il demeure, en tout temps, un gardien du circuit du médicament et des règles qui l’encadrent. Il souligne que cette auto-description révèle une banalisation des risques et une perte de repères quant aux limites de l’intervention professionnelle. Gia-Thanh Lai «a fait passer ses intérêts personnels avant ses obligations déontologiques», concluent ses pairs, ajoutant que cette façon de concevoir son rôle «n’est pas compatible avec une pratique sécuritaire de la pharmacie».Une sanction à la hauteur des manquementsDans ce contexte, une sanction sévère s’imposait. La multiplication des gestes reprochés à Gia-Thanh Lai, leur caractère planifié et l’absence de limites claires dans la conduite du pharmacien militent en faveur d’une réponse ferme, a jugé le Conseil. «La durée de la radiation doit refléter la gravité objective des manquements», mentionne-t-il, en soulignant que le dossier ne relève ni de l’erreur isolée ni du moment d’égarement. Le Conseil insiste aussi sur la nécessité d’un message dissuasif clair pour l’ensemble de la profession. Une telle conduite, précise-t-il, «porte atteinte à l’intégrité du système de distribution du médicament» et justifie une mise à l’écart prolongée afin de prévenir toute récidive et de réaffirmer les standards attendus des pharmaciens.Au terme de cette décision, le Conseil entérine ainsi une radiation de 24 mois, assortie d’une radiation d’urgence déjà purgée, mettant un terme temporaire à la pratique de Gia-Thanh Lai. La sanction, conclut-il, autant à assurer la protection du public qu’à rappeler les balises incontournables de l’exercice pharmaceutique. En franchissant ces limites, même au nom d’une démarche présentée comme personnelle, le pharmacien s’est placé en rupture avec les exigences de son code de déontologie.

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