Quand la peur, les textures ou le dégoût coupent l’appétit: comprendre l’ARFID

Longtemps considéré comme une forme extrême de sélectivité alimentaire, le trouble de l’évitement ou de la restriction de la prise alimentaire (ARFID, pour avoidant/restrictive food intake disorder) est désormais reconnu comme un trouble alimentaire à part entière dans les classifications psychiatriques.L’ARFID a été reconnu pour la première fois dans le DSM-5 (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders) en 2013, puis intégré à la 11e édition de Classification internationale des maladies (ICD-11, International Classification of Diseases), en 2019. Désormais considéré comme un trouble des conduites alimentaires cliniquement significatif, distinct de l’anorexie mentale et de la boulimie, il demeure encore mal connu des médecins.Contrairement à d’autres troubles, l’ARFID n’est pas motivé par des préoccupations liées au poids ou à l’image corporelle. Il découle plutôt de facteurs tels qu’un intérêt limité pour la nourriture, une hypersensibilité sensorielle ou la peur d’effets indésirables liés à l’alimentation, comme l’étouffement ou les vomissements - des facteurs qui peuvent coexister.«Les patients ressentent une détresse intense autour du fait de manger», explique la Dre Debra Katzman, clinicienne au département de médecine de l’adolescence de l’Hospital for Sick Children (SickKids), à Toronto.«Ce trouble peut entraîner une perte de poids, un retard pondéral, des carences nutritionnelles, une dépendance aux suppléments ou à l’alimentation entérale, ainsi qu’une altération du fonctionnement psychosocial.»Diagnostic de l’ARFIDPour poser un diagnostic d’ARFID, les difficultés alimentaires ne doivent pas être mieux expliquées par un problème médical, un autre trouble mental (y compris un autre trouble alimentaire), un manque de nourriture disponible ou des pratiques culturelles, précise la Dre Katzman.À consulter: L'anorexie associée à des altérations majeures du cerveauAutrefois considéré comme un trouble propre à l’enfance, «on comprend maintenant que l’ARFID peut toucher des personnes de tout âge: il débute souvent dans l’enfance, mais peut aussi apparaître ou persister à l’âge adulte».Différentes présentations cliniquesLa compréhension clinique de l’ARFID a évolué et englobe aujourd’hui plusieurs présentations distinctes mais qui peuvent se chevaucher:l’évitement sensoriel, en raison de textures, de goûts, d'odeurs ou d'apparences désagréables;l’évitement fondé sur la peur (de s’étouffer, de vomir ou de subir d’autres effets indésirables);le manque d’intérêt, lié à un faible appétit ou à un désintérêt pour la nourriture et le fait de manger.«De nouveaux outils d’évaluation et des entretiens structurés ont été élaborés et affinés pour diagnostiquer l’ARFID de manière plus fiable», précise la Dre Katzman. «Et les chercheurs ont travaillé à distinguer l’ARFID de la sélectivité alimentaire, d’autres troubles de l’alimentation et de conditions comme le trouble du spectre de l’autisme (TSA), qui peuvent partager des sensibilités sensorielles.»ComorbiditésL’ARFID s’accompagne souvent de comorbidités telles que les troubles anxieux - notamment lorsqu’il s’agit d’un évitement fondé sur la peur -, le TSA et le TDAH.«La reconnaissance de ces comorbidités a influencé les approches thérapeutiques, en soulignant la nécessité d’une prise en charge multidisciplinaire, faisant souvent appel à des psychologues, des nutritionnistes et des médecins», indique la Dre Katzman.Étant donné que l’ARFID entraîne des difficultés physiques, nutritionnelles et psychologiques, les cliniciens doivent savoir comment les repérer et les prendre en charge, poursuit-elle. Les pratiques exemplaires actuelles reposent sur des références permettant une approche interdisciplinaire, incluant des interventions psychologiques, des thérapies familiales et des thérapies cognitivo-comportementales (TCC).«Les interventions psychologiques sont adaptées à l’hétérogénéité de l’ARFID et à ses différentes présentations. À ce jour, il n’existe toutefois aucune recommandation thérapeutique fondée sur des données probantes.»Cheminements de référenceSi un médecin de famille ou un pédiatre soupçonne un ARFID, la première étape consiste à effectuer une évaluation médicale et à dépister d’autres troubles ainsi que des complications telles que la malnutrition, les déséquilibres électrolytiques, les carences vitaminiques, la déshydratation et l’anémie.Les patients peuvent être orientés vers des programmes hospitaliers, offerts un peu partout au pays, ou vers des cliniques privées spécialisées. Si l’état du patient est compromis sur le plan médical, une orientation vers un programme hospitalier est recommandée.À lire aussi: Une étude relie alimentation, microbiome et santé cardiovasculaire«Les pédiatres et les médecins de famille sont les mieux placés pour repérer les premiers signes d’un ARFID», souligne la Dre Katzman. «S’ils soupçonnent un tel diagnostic, ils peuvent orienter le patient vers un programme spécialisé en troubles alimentaires.»La recherche se poursuit sur les causes sous-jacentes du trouble, les stratégies thérapeutiques efficaces et leurs résultats. La TCC semble toutefois prometteuse chez les enfants, les adolescents et les adultes atteints, selon une revue de la littérature publiée en 2023.

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