Produits pharmaceutiques: comment gérer les ruptures d’inventaire

Depuis quelques années, les pharmaciens font face à un nombre sans cesse croissant de ruptures d’inventaire de différents médicaments. Depuis le début de l’année 2010, ce problème s’est accentué de façon significative, mettant en péril la continuité du traitement de milliers de patients.Pourquoi ces ruptures d’inventaire se produisent-elles? Quel est le rôle des pharmaciens dans la gestion des conséquences pour leurs patients?Différentes tendances de l’industrie pharmaceutique peuvent avoir joué un rôle dans les problèmes d’approvisionnement de certains médicaments lors des dernières années.Bien que chacune de ces tendances prises individuellement ne puisse causer de problème en soi, leur combinaison a certainement pu mener à des ruptures d’inventaire.Causes des ruptures d’inventaireMatières premières de l’Inde et de la ChineDepuis de nombreuses années, la tendance à l’approvisionnement en matières premières provenant de l’Inde et de la Chine s’est accentuée, menant à la disparition presque complète de l’industrie de chimie pharmaceutique au Canada et aux États-Unis.Certains pays européens comme l’Espagne et l’Italie sont encore actifs dans ce secteur, mais ils perdent continuellement du terrain. Bien que la plupart des sociétés de ces pays fournissent des produits de qualité, plusieurs cas problématiques se sont produits récemment, causant des délais importants dans l’approvisionnement.En effet, comme la plupart des dossiers d’enregistrement des produits pharmaceutiques au Canada ont été soumis avec une seule source de matières premières, un problème d’approvisionnement en ingrédients actifs force à revalider les processus de fabrication et à faire la soumission d’un supplément de présentation de drogue nouvelle.La consolidation des activités de production pharmaceutiqueDepuis plus de 10 ans, plusieurs usines pharmaceutiques canadiennes et américaines ont fermé et les activités de production ont été consolidées. Pour certaines compagnies pharmaceutiques, la production de médicaments n’est plus considérée comme une activité « core » et est offerte en sous-traitance à des façonniers pharmaceutiques.Le transfert de la production d’un site à un autre comporte de nombreux risques puisque l’équipement utilisé n’est pas toujours pareil. Même en planifiant à l’avance et en produisant d’importantes quantités du produit avant de procéder à ce genre de changement, ces problèmes entraînent fréquemment d’importants délais.La consolidation du secteur pharmaceutique génériqueLinson, Rhodiapharm, Kenral, Technilab, Altimed, Sabex, Genpharm, Novopharm sont des noms qui ont disparu et, bientôt, Ratiopharm ne sera qu’un souvenir. La consolidation du secteur générique se poursuit et les nouveaux propriétaires des firmes autrefois locales sont des multinationales du médicament générique. On note donc une réduction marquée du nombre de sociétés fournissant des produits pharmaceutiques.De plus, il n’y a plus que trois sociétés génériques qui proposent un portfolio élargi de produits, soit Apotex, Teva et Pharmascience. Déjà, ces sociétés ont commencé à discontinuer différents produits à bas volume ou dont le prix est minime. Pour certains médicaments, un seul fournisseur est encore actif. Si celui-ci éprouve des difficultés techniques, une rupture d’inventaire est impossible à éviter.La réglementation des prix des médicamentsLe gel du prix des médicaments qui a eu lieu de 1994 à 2006 a causé le retrait de nombreux produits jugés non rentables par les fabricants. Avec la réduction appréhendée des prix des médicaments génériques en Ontario, plusieurs produits génériques déjà non rentables risquent d’être discontinués, privant les patients de traitement médicamenteux.Bien sûr, les régimes publics d’assurance-médicaments sauveront des millions en coûts. Cependant, la disponibilité de plusieurs produits sera mise en péril. Contrairement à d’autres pays comme la France, où un fabricant ne peut discontinuer un produit pharmaceutique sans l’autorisation de l’administration publique de la santé, rien au Canada n’oblige les fabricants à poursuivre la commercialisation d’un médicament même s’il représente une option de traitement importante.TraitementsPlusieurs mesures pourraient être mises en œuvre afin d’assurer la « sécurité médicamenteuse » des patients canadiens et, plus particulièrement, ceux du Québec. Tous les acteurs de la chaîne du médicament sont interpellés et doivent travailler afin de s’assurer d’un approvisionnement adéquat de ceux-ci.Mesures coercitivesCertains grossistes imposent déjà des pénalités importantes aux fabricants pharmaceutiques en rupture de stock. Dans le cadre des regroupements d’achats d’hôpitaux, un fabricant qui ne peut fournir un produit pour lequel il a gagné un appel d’offre doit payer la différence de prix pour que le groupe puisse s’approvisionner ailleurs.On peut donc imaginer des mesures par lesquelles le régime public (ou même les assureurs privés) pourrait exiger une compensation du fabricant si un produit venait à manquer et que des coûts supplémentaires devaient être encourus pour le traitement des patients. Ces mesures coercitives pourraient forcer les fabricants pharmaceutiques à planifier plus attentivement la production de leurs produits. Cependant, un abus de ce type de mesure pourrait entraîner le retrait d’un nombre plus important de produits du marché.Mesures incitativesAfin d’assurer un approvisionnement stable, les régimes publics pourraient garantir aux fabricants un certain volume de produits jugés critiques. D’autre part, les grossistes pourraient réduire l’apparition de ruptures d’inventaire apparentes en améliorant leur collaboration avec les autres grossistes.En effet, plusieurs ruptures d’inventaire ne sont perçues que par certaines chaînes et bannières de pharmacie puisque leur grossiste habituel est en rupture alors que d’autres grossistes, souvent exclusifs à certaines chaînes et bannières, ont toujours certains produits en stock.Il y a donc lieu de mieux coordonner la distribution des produits afin d’éviter un approvisionnement asymétrique des pharmacies pouvant résulter en un dirigisme involontaire, mais possiblement risqué pour les patients, notamment pour ceux habitant en région.Autres sources possibles d’approvisionnementIl existe différentes façons d’obtenir un produit pharmaceutique lorsqu’il n’est pas disponible au Canada. En effet, Santé Canada a mis en place un programme d’accès spécial permettant l’approvisionnement en produits non approuvés au pays.Cependant, ce programme n’implique pas la distribution par l’entremise des pharmacies communautaires et vise habituellement le traitement de maladies orphelines. Il est donc peu probable que l’on puisse approvisionner rapidement des milliers de patients en utilisant ce programme.Santé Canada a récemment révisé sa Politique sur la fabrication et la préparation en pharmacie de produits pharmaceutiques au Canada (POL-0051). Celle-ci permet aux pharmaciens, sous certaines conditions, de préparer en pharmacie des produits lors d’une rupture d’inventaire ou d’un retrait du marché d’un produit pharmaceutique pour des raisons autres que la sécurité.Certaines pharmacies spécialisées en magistrales possèdent le savoir-faire et l’équipement et peuvent s’approvisionner en matières premières afin de répondre à la demande de produits en rupture d’inventaire.En ce moment, ce sont les organismes de réglementation de la pratique pharmaceutique (l’Ordre des pharmaciens du Québec, par exemple) qui encadrent et surveillent ces activités.Le rôle du pharmacienLe pharmacien est responsable du suivi thérapeutique de son patient et l’approvisionnement stable en médicaments en constitue la première étape. Il est donc crucial que le pharmacien puisse compter sur un inventaire adéquat de médicaments.Différentes mesures peuvent être mises en place afin de permettre, si ce n’est d’éviter toute rupture, au moins de s’assurer d'être conscient de cette possibilité et d'instaurer les mesures nécessaires pour le patient.InventaireUn suivi étroit de l’inventaire est crucial pour chaque pharmacie. Pour certains produits plus rares, il est souvent nécessaire de conserver plus d’un mois d’inventaire, même s’il existe un risque d’avoir à soutenir ce produit si le patient arrête le traitement ou change de pharmacie.Une analyse détaillée des produits critiques devrait être faite (source générique unique, pas d’autre option thérapeutique de la même classe, etc.) et un inventaire minimal devrait être défini.Autres sources possiblesLes pharmaciens qui doivent gérer une rupture d’inventaire pour un produit critique devraient communiquer rapidement avec le régime public d’assurance médicaments (si le patient est assuré par celui-ci) afin de savoir s’il couvre un produit de rechange.Parfois, contacter la RAMQ permet de l’informer de la gravité de la rupture de stock pour qu’elle mette en place des solutions de rechange, telles que la couverture temporaire du produit innovateur au prix réel d’acquisition. Par ailleurs, un appel rapide à l’une des pharmacies spécialisées en magistrales peut éviter une interruption de traitement.Intervention pharmaceutiqueLorsqu’il n’existe pas d’autre option et qu’un changement de thérapie doit être envisagé, il est important de contacter rapidement le médecin traitant. Une analyse pharmacologique du dossier devrait être faite et un autre traitement (même classe, classe différente, autre intervention) devrait être suggéré. Le patient devrait être contacté et, au besoin, une visite chez le médecin pourrait être nécessaire.ConclusionIl est probable que les tendances responsables des ruptures d’inventaire se poursuivront dans les prochaines années. Comme le risque de ruptures d’inventaire demeurera élevé, les pharmaciens devraient s’inquiéter de la continuité du traitement de leurs patients.Des mesures préventives doivent donc être mises en place et, lorsque nécessaire, des actions correctives doivent être déployées afin de minimiser l’impact de ces ruptures pour les patients.Dans un contexte mondial où le poids du marché canadien est en décroissance, les autorités réglementaires des différents paliers de gouvernement, soit Santé Canada, les régimes publics d’assurance médicaments et les autorités pharmaceutiques provinciales, devraient réfléchir sur le concept de « sécurité médicamenteuse ».

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