Priorité à la santé mentale

La revue Health Affairs consacre son édition d’août 2019 aux soins de santé offerts aux militaires américains. Le système de santé militaire est imposant, autant par son organisation que par le nombre de personnes qui bénéficient de soins.Deux systèmes se côtoient: le Military Health System (MHS), qui couvre 1,4 millions de membres des forces actives et 8,1 millions de réservistes, retraités et membres des familles, et le Veteran Health Administration (VHA), qui offre des services aux 9 millions de vétérans.Toutefois, le VHA est distinct du MHS puisqu’il se consacre uniquement aux soins de santé des vétérans. Le VHA est la composante santé du département du Veteran Affair américain. C’est le plus grand système intégré de santé aux États-Unis avec 170 centres médicaux et 1074 cliniques externes.L’accès aux soins a longtemps été un problème pour le VHA. D’ailleurs en 2014, il a été éclaboussé par un scandale sur les temps d’attente; six personnes étaient mortes à cause d'une attente trop longue pour obtenir des soins et des documents avaient été falsifiés pour cacher la vérité.Or, l'accès est particulièrement important pour les vétérans, puisqu’on estime que 30% d’entre eux souffriraient de problèmes de santé mentale.On évalue aussi que les deux tiers des patients diagnostiqués pour dépression n’avaient pas été pris en charge et que plusieurs patients avec des problèmes psychiatriques étaient réticents à se faire soigner.Dans le texte du Health Affairs, les auteurs Leung, Rubenstein et al. s’attardent aux avancées du VHA pour améliorer l'accès aux soins de première ligne et de santé mentale pour les vétérans américains.Ils s'intéressent à deux initiatives: les PACTs (Patient Aligned Care Teams) et les PC-MHI (Primary Care - Mental Health Integration).Depuis 2010, le VHA assigne un PACT à chaque vétéran, c'est à dire une équipe de soins qui regroupe médecins, infirmières, travailleurs sociaux, psychologues et pharmaciens. Chaque PACT a la responsabilité de suivre les patients et de les traiter.Le PC-MHI, quant à lui, date de 2007. Il est une composante des cliniques de première ligne qui se spécialise dans les soins en santé mentale. Des infirmières et des psychologues évaluent les besoins des patients, peuvent diagnostiquer des problèmes de santé mentale comme la dépression et l’anxiété, offrir des traitements et référer les cas plus sévères, comme la schizophrénie et la bipolarité, à des spécialistes en psychiatrie.Selon les chercheurs, les PC-MHI et les PACTs augmentent l’offre de services et permettent de mieux diagnostiquer les problèmes mineurs et modérés de santé mentale.En offrant une meilleure prise en charge des vétérans, on évalue qu’il y a plus de patients qui sont diagnostiqués avec des problèmes de santé mentale et qu’il y a plus de visites en cliniques de première ligne.De ce fait, on peut réduire les hospitalisations, désengorger les urgences et mieux diriger les patients avec des problèmes psychiatriques sévères vers les services spécialisés.Et au QuébecSelon l’OMS, l’intégration des soins de santé mentale à la première ligne est la façon la plus viable pour s’assurer que le plus grand nombre de personnes atteintes de troubles mentaux puissent avoir accès rapidement aux soins et services de santé mentale dont elles ont besoin.Et en lisant le rapport de 2012 du Commissaire à la santé et au bien être sur l’appréciation de la performance en santé mentale, on comprend que plusieurs acteurs de premier plan en santé mentale étaient au diapason avec le constat de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) lorsqu'ils ont mis sur pied le Plan d’action en santé mentale (PASM 2005-2010)Ce plan prévoyait de consolider la première ligne en santé mentale en créant des équipes multidisciplinaires pour traiter et faire le suivi de certains patients avec troubles mentaux. Puis, en mettant en place des guichets d'accès en santé mentale, on voulait orienter les patients vers les bons soins. Finalement, en instaurant une fonction de psychiatre répondant, on voulait soutenir les équipes de première ligne en santé mentale dans la prise en charge des patients atteints de troubles mentaux.Dans le rapport du Commissaire, le PASM 2005-2010 était jugé cohérent, mais d’après l’avis de plusieurs, de nombreux enjeux persistaient et étaient problématiques.L’implantation des équipes de santé mentale et des guichets d’accès restait inachevée. Manque de personnel, difficultés à recruter certains professionnels dans les équipes et difficultés de fonctionnement des guichets d’accès selon les régions. Il était difficile d’arrimer les prestataires de soins et services en santé mentale et l'accompagnement des jeunes atteints de troubles mentaux était insuffisant, créant ainsi rupture de services et inefficacité.Pour le Commissaire, l’implantation inachevée des équipes de santé mentale et des guichets en santé mentale avait des impacts sur les délais observés pour avoir accès à une évaluation et à un traitement en santé mentale, surtout pour les personnes ayant une dépression ou de l’anxiété, ce qui augmentait le recours aux urgences.Dans un récent article de La Presse du 3 avril 2019, les journalistes Caroline Touzin, Katia Gagnon et William Leclerc rapportent des histoires d’inefficacité et de dysfonctionnement du guichet d’accès en santé mentale. Et à lire l’article, on ne peut s’empêcher de penser aux conclusions du Commissaire de 2012. Selon l’Association des médecins psychiatres du Québec, une réforme des guichets s’imposent, puisqu’ils ne remplissent pas leur rôle.Des initiatives comme le PC-MHI ou les équipes de soins en santé mentale ont certainement du bon, mais la difficulté de monter des équipes, de les arrimer et de faire le suivi des clientèles vulnérables est un défi important.Les principaux intervenants du réseau peuvent, comme le propose le Plan d’action en santé mentale, continuer à travailler dans la direction édictée, chercher à bâtir des équipes de soins en santé mentale, les arrimer et améliorer le guichet d’accès en santé mentaleMais ils peuvent aussi innover, sortir des sentiers battus et proposer autre chose.Par exemple, il faudrait augmenter et protéger les budgets en santé mentale pour éviter un transfert vers la santé physique, autant pour la première ligne que la deuxième, et former des équipes de soins en santé mentale qui permettront de décharger les médecins de famille et les psychiatres.En effet, il serait opportun d’améliorer les budgets en deuxième ligne. Des programmes de type PACT pour les troubles anxiodépressifs sévères pourraient être développés. Dans plusieurs départements de psychiatrie, il y a quasi absence d’équipes alors qu’on doit s’occuper de cas complexes (troubles de personnalité graves, troubles anxiodépressifs sévères, troubles alimentaires débilitants, etc). Toutefois, des équipes de type PACT existent pour les troubles psychotiques, mais en nombre insuffisant. Bref, la deuxième ligne est dysfonctionnelle.Par ailleurs, le ministère de la Santé devrait changer les ratios d’intervenants par psychiatre au sein des départements de psychiatrie. Imaginez une clinique privée qui aurait cinq dentistes pour une hygiéniste dentaire. Pour être efficient, il faudrait un ratio inverse. Ce problème de ratio s’explique en partie par le fait que les psychiatres sont rémunérés par la RAMQ, tandis que les autres professionnels sont payés par le budget hospitalier. Or, la santé physique a souvent eu gain de cause sur la santé mentale pour l’attribution des budgets sous prétexte que les ratios ministériels psychiatre/intervenants étaient respectés. Résultats : absence d’équipes fonctionnelles pour aider le psychiatre, inefficience du système, burn out, incapacité de remplir les postes existants en santé mentale en raison de conditions de travail invivables. Les psychiatres ne suffisent pas à la tâche et la première ligne n’a d’autre choix que d’envoyer les patients qui se détériorent aux urgences déjà surpeuplées.Une deuxième ligne en santé mentale bien orchestrée pourrait ainsi prêter main forte de façon plus efficiente aux autres cliniques de soins primaires.Pour les soins de première ligne, le gouvernement doit créer des points d’ancrage forts, avec des équipes bien nanties, financées par le public, mais résolument dirigées vers le traitement des troubles mineurs et modérés de santé mentale.La santé mentale est diluée dans un ensemble de soins, alors mettons-là de l’avant et travaillons à éliminer les éléments qui empêchent de prendre le dessus sur les problèmes de santé mentale.Le statu quo n’est pas possible, rassemblons-nous autour d’une table et trouvons des solutions pour les patients. Parions que tout le système de santé s'en portera mieux.

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Derrière ce blogue:

Benoit Gareau