Prendre la parole contre la crise qui secoue les travailleurs de la santé

La crise à laquelle sont confrontés les travailleurs de la santé canadiens a été mise en évidence de manière frappante lors du troisième et dernier volet de la série de sommets sur la santé de l'Association médicale canadienne (AMC): Des choix audacieux. Cette séance virtuelle, qui s'est tenue le 22 février, était axée sur les travailleurs de la santé. «À aucun moment durant ma formation, je n'aurais anticipé l'état actuel du système de santé, a illustré la Dre Marcia Anderson, médecin qui défend la cause de la santé autochtone et qui exerce au Manitoba depuis 15 ans. Une pandémie? Nous pouvions en quelque sorte l'anticiper. Nous avons eu le SRAS lorsque j'étais résidente... mais la situation actuelle du personnel de santé est très difficile.» La Dre Sarah Hanafi, médecin résidente à Montréal et participante du panel, a constaté une rupture entre ce qui est enseigné et ensuite l’application de ces principes sur le terrain. Elle a souligné que ses apprentissages reposent sur des données probantes, mais que la médecine à laquelle les patients ont accès actuellement n’est pas représentative de ces données. À titre d’exemple, les patients canadiens devraient avoir un meilleur accès à la psychothérapie que ce qui est offert. «C'est très difficile de concilier nos connaissances, notre passion pour les soins et notre sentiment d'impuissance, et ensuite de devoir s'excuser au nom du système», a-t-elle souligné. La Dre Anderson a acquiescé. «Vous parlez d’une blessure morale... et j'ai entendu ce terme décrit dans une conférence comme celui d’une trahison institutionnelle». Selon la Dre Anderson, il est essentiel de rétablir la confiance entre les travailleurs de la santé et les décideurs politiques. «On a l'impression de travailler contre nos partenaires gouvernementaux, plutôt que de travailler ensemble à un objectif commun. J'ai certainement ressenti cela à certains moments, et je sais que je ne suis pas la seule.» La Dre Hanafi a poursuivi: «Lorsque nous suivons une formation, nous mettons beaucoup l'accent sur la défense des intérêts des patients, l'équité et la justice. Mais une fois que nous entrons dans [le système], on nous montre que la vérité n’est pas valorisée par le pouvoir.» Selon le Dr Kevin Smith, président et chef de la direction du University Health Network de Toronto, la crise actuelle qui touche les travailleurs de la santé est multifactorielle, mais il la résume à «monde très difficile où nous sommes de plus en plus confrontés à une demande qui dépasse l'offre». Le Dr Smith s’est dit très préoccupé par ce qu’il voit, en particulier les tensions sociales. «C'est peut-être à cause de Twitter et des médias sociaux, mais une époque de civilité — où nous pourrions réellement débattre d'idées de manière respectueuse sur l’avenir de notre système de santé — semble plus insaisissable que jamais». Le Dr Smith a aussi souligné qu'il s'inquiète de notre capacité à résoudre nos problèmes, à moins que nous ne nous engagions à nouveau à faire preuve de civilité, de respect et de dignité dans les discussions. «Les gouvernements parlent toujours des coûts, mais il ne s'agit pas nécessairement d'injecter plus d'argent dans quelque chose, a pour sa part déclaré Sara Fung, une infirmière et baladodiffuseuse de Toronto. Il s'agit d'utiliser les ressources de manière judicieuse. Des soins de qualité ne sont pas nécessairement synonymes d'augmentation des coûts.» L’infirmière pense que les Canadiens ne sont pas toujours conscients des difficultés auxquelles sont confrontés les travailleurs de la santé. «Nous (les infirmières) avons dû faire face à une législation qui plafonne les salaires, et parfois le public pense que c'est seulement une question d'argent. Mais il s'agit avant tout du respect que nous méritons.» «Si vous demandez à n'importe quelle infirmière ce qu'elle cherche vraiment, ce serait d’avoir des ratios sécuritaires pour les patients», a ajouté Sara Fung, qui se demande si le système de santé a «touché le fond». Des solutions ? Le président de l’AMC, le Dr Alika Lafontaine, a demandé aux panélistes quelles solutions à la crise des travailleurs de la santé pouvaient être appliquées à court terme. «Parlons d'abord de la rétention avant (le recrutement), a répondu le Dr Smith. Nous avons une main-d'œuvre qualifiée. Comment les retenir? Je pense qu'il est indiscutable que nous devons écouter ce qui rend leur qualité de vie au travail médiocre, en particulier les infirmières.» Le Dr Smith a ajouté qu’il faut examiner dans quelle mesure l'optimisation du champ d'exercice peut être bénéfique pour la qualité de la vie professionnelle, ainsi que pour la qualité des soins et de la prise en charge. «Lorsque nous regardons d'autres systèmes dans le monde, nous savons que nous ne pouvons pas avoir recours seulement à la formation de davantage de travailleurs ou à l’immigration pour remédier aux pénuries. Il ne fait aucun doute que nous devrons nous pencher sur différents modèles de soins, sur l’utilisation de la technologie et sur de meilleurs soins à domicile.» La Dre Hanafi ajoute que l'amélioration des outils numériques à la disposition des cliniciens doit être une priorité absolue. «À l'heure actuelle, pour une seule consultation, je dois ouvrir cinq à six applications cliniques différentes», a-t-elle illustré. Selon le Dr Anderson, l'une des solutions pour relever les défis auxquels sont confrontés les travailleurs de la santé est d'examiner en priorité les modèles de financement et de passer de la rémunération à l'acte à une rémunération axée sur les soins prodigués en équipe. Les membres du panel ont également parlé de la nécessité de faire en sorte que le système de santé soit aussi optimal pour les Canadiens marginalisés. Elle a cité un document de l'Organisation mondiale de la santé qui stipule que «l'un des principes clés est qu'il faut d'abord centrer (les soins) sur ceux qui sont le plus en retard».

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