Pratique hors-norme: Michael Khazaka, pharmacien 3.0

Pas de médicaments, pas de personnel technique, pas de comptoir. À première vue, difficile de croire que Michael Khazaka est à la tête d'une pharmacie. Et pourtant. Ce jeune pharmacien de spécialité vient de créer un établissement d’un nouveau genre, à mi-chemin entre la pharmacie et la clinique, dédié uniquement aux soins pharmaceutiques. Son nom: Michael Khazaka Pharmacien Inc. «Mon père pensait que j’allais devenir un pharmacien traditionnel, mais j’ai pris une toute autre direction», sourit-il. C’est d’ailleurs le fait de devenir père qui l’a incité à changer de voie.Titulaire d’une maîtrise en pharmacothérapie avancée obtenue en 2019, Michael Khazaka fait ses premières armes dans un centre hospitalier pendant trois ans. Il est fasciné par la variété des soins pharmaceutiques et la prise en charge de patients avec de lourds dossiers ou des thérapies complexes. «Ce sont des profils qui possèdent de nombreuses inconnues, mais lorsque je réussissais à associer les bons médicaments aux problèmes de santé du patient, et à simplifier son traitement autant pour lui que pour son médecin, je ressentais une profonde satisfaction», se souvient-il. «Combler un manque dans le système actuel»Son congé paternité et un déménagement l’obligent pourtant à lever le pied et à prendre du recul. Galvanisé par l’entente entre l’Association québécoise des pharmaciens propriétaires et le ministère de la Santé entérinant la rémunération de certains actes cliniques en pharmacie (en 2020, ndlr), il décide d’investiguer le créneau de l'optimisation des soins et projette rapidement de créer un établissement entièrement dédié aux suivi des dossiers et aux ajustements des ordonnances. «Je voulais combler un manque dans le système de soins actuel, explique Michael Khazaka. D’une part, pour pouvoir décharger les pharmaciens d’une partie de leur travail, rendu compliqué voire impossible avec les pénuries que l’on connaît. De l’autre, pour permettre aux patients de reprendre le contrôle sur leur santé, de comprendre leurs soins et les outils de soins que sont leurs médicaments.»À lire aussi: Optimiser les médicaments et réduire la polypharmacie grâce aux bilans de médication Sauf que… Ouvrir un établissement n’est pas donné à tout le monde, surtout quand on n’avait pas choisi de devenir pharmacien propriétaire. «C’est vrai qu’en tant que pharmacien d'établissement, je n’ai jamais eu à développer un esprit entrepreneurial, reconnaît Michael Khazaka. Je ne savais pas ce que ça prenait d’ouvrir une pharmacie, mais j'ai la chance d'être très bien entouré.» Les planètes s’alignent, et sa pharmacie clinique ouvre ses portes – ou plutôt sa ligne téléphonique – en décembre 2023. Le concept est simple: pas de distribution de médicaments, mais la révision de dossiers pharmacologiques complexes et la réalisation des actes pharmaceutiques découlant des lois 41 et 31. Pour son modèle d'affaires, Michael Khazaka a choisi de s’établir en tant que pharmacien pour pouvoir facturer et bénéficier des couvertures santé publique et privées. «Je ne charge rien au patient ni aux professionnels», se félicite-t-il.Le problème quand on propose un service qui n’existe pas, c’est qu’à première vue, personne ne l’attend… Comment trouver sa patientèle rapidement et faire sa place dans un système de soins déjà établi? Observer les médicaments avant les douleursCôté patients, le jeune pharmacien s’est d’abord appuyé sur son réseau, et les demandes se sont vite multipliées. Pour ce qui est des autres professionnels de santé, il explique avoir «envoyé des notes d’information aux pharmaciens et aux médecins pour leur exposer [son] raisonnement et [son] plan, et faire qu’ils ne se sentent pas concurrencés», précise Michael Khazaka. «Finalement, mon rôle est équivalent à celui d’un spécialiste auquel ils vont pouvoir demander un avis, et qui va faciliter leur travail.»Pour comprendre ce que Michael Khazaka veut dire, il faut s’attarder sur le fonctionnement et les missions de sa nouvelle pharmacie. Première étape: l’ouverture du dossier, «un peu comme le ferait un médecin de famille», explique le pharmacien. Ensuite, un questionnaire systématique pour cerner les raisons du traitement suivi par le patient – ses patients actuels prennent en moyenne dix médicaments différents –, mais aussi les médicaments en vente libre et les éventuels produits naturels qu’il pourrait utiliser. Après s’être assuré que le traitement correspondait ou non au patient, et avoir obtenu son consentement éclairé, Michael Khazaka peut prolonger l’ordonnance ou préconiser si besoin une modification de la médication, en déprescrivant, en proposant un autre médicament, en ajoutant un médicament avec l’accord du médecin traitant ou en renvoyant le patient vers un laboratoire ou un spécialiste. À lire aussi: La curiosité est-elle toujours un vilain défaut?Pour l’instant, ses consultations se font par téléphone et durent 45 minutes, et les suivis d’optimisation du traitement s’échelonnent sur deux semaines à trois mois maximum selon les cas, qui peuvent aller de l’hypertension au diabète en passant par l’hypothyroïdie, l’insuffisance cardiaque, les troubles anxieux ou la MPOC. «Mes patients actuels ont plus de 50 ans, et prennent plus de dix médicaments. Je ne prends pas en charge les cas spécifiques rares, comme les cas pédiatriques complexes ou les maladies neurologiques dégénératives par exemple», tempère tout de même le pharmacien, qui n’hésite pas à solliciter l’expertise de sa femme, pharmacienne d’établissement en oncologie.Une nécessaire collaboration entre pharmaciensPourquoi une telle évaluation n'est-elle pas déjà faite en pharmacie ou au cabinet médical? «Les temps de consultation y sont souvent limités, et les professionnels de santé vont prioriser la raison du rendez-vous de suivi, la plainte du patient ou la nouvelle prescription, indique Michael Khazaka. Mais il n’y a pas de moment dédié au profil complet du patient. Même quand on parle de prise en charge pour l’hypertension ou le diabète en pharmacie, c’est en silo, on va adresser un seul problème à la fois.»Une observation qui se vérifie, selon lui, lorsqu’on écoute les patients. «Ils sont nombreux à me dire que personne n’avait jamais pris le temps de mettre tout cela en relief, et qu’ils n’en reviennent pas qu’un changement aussi simple puisse avoir autant d’impact sur eux. Ils sont plus en santé et plus en contrôle de leur traitement, c’est fantastique», s’enthousiasme-t-il. À lire aussi: Rôle des pharmaciens: quand on se compare, on s’inspireLa pratique 3.0 du jeune pharmacien permet aussi de voir la pharmacie d’un œil nouveau. «Ça ne prend pas grand-chose pour changer la perspective des gens, confie-t-il. Ils ne remettent pas en question le fait que je sois un pharmacien, car je ne porte pas de jugement sur leur traitement. Ils me voient comme un partenaire, et comprennent que le pharmacien est aussi un professionnel de la santé capable d’aider les patients à un niveau qu’ils n’auraient pas imaginé. C’est vraiment valorisant.» Mais pour évoluer et faire grandir son entreprise, Michael Khazaka doit pouvoir compter sur ses pairs. La collaboration entre pharmaciens est la moelle épinière de sa nouvelle activité, or elle est parfois difficile à faire accepter. «Quand les pharmaciens rencontrent un profil lourd, ils peuvent me le référer pour que je regarde le dossier en détail et que je leur fasse un retour. Cette collaboration entre pharmaciens est à mon sens la meilleure manière de procéder, mais elle n’existe présentement pas vraiment en communautaire.»«Nous avons la capacité d’apporter des soins de qualité aux patients et de prendre en charge des cas complexes. Ce qui nous permettra de contribuer à décharger le système de santé – on sait par exemple que certaines interactions médicamenteuses qui se retrouvent aux urgences pourraient être évitées.»S’il reste évasif sur l’année à venir, il prévoit une augmentation significative de sa patientèle, et souhaiterait pouvoir déménager dans un espace plus grand, enfin faire valoir sa spécialisation pour recruter des pharmaciens et du personnel technique. «Je pars d’absolument rien, donc je fais une étape à la fois», conclut-il. Sagement et sûrement.

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