Pourquoi j’ai quitté la médecine de famille

Le samedi matin du concours de danse de ma fille, en avril 2024, a été chargé. Toute la famille s’était levée à 5 heures du matin pour se préparer. La matinée a été mouvementée: il fallait habiller et nourrir les enfants et le chien, s’assurer de ne pas oublier les provisions pour la journée, préparer des collations, puis traverser la ville à toute allure jusqu’à Hull, où se tenait la compétition.Ma femme s’est chargée d’emmener ma fille et sa sœur en coulisses pour les habiller et les préparer pour l’entraînement. J’ai observé mon fils de deux ans qui courait à en perdre haleine dans les couloirs du gymnase en hurlant de plaisir. Je l’ai regardé avec un sentiment de calme et de patience que je n’avais pas éprouvé depuis très longtemps. Du mieux que je puisse m’en souvenir, je me sentais… présent. La veille, j’avais quitté mon cabinet de médecine familiale pour devenir médecin hospitalier. En moins de 24 heures (et à ma grande surprise), j’ai remarqué une nette différence dans mon état d’esprit.Quitter la médecine familiale n’a pas été une décision facile à prendre. C’est une carrière gratifiante et stimulante qui vous permet d’avoir une influence positive sur la vie de vos patients. Vous apprenez à les connaître mieux que quiconque dans le système médical en les suivant de leur naissance à leurs vieux jours. Leur parcours dans le système médical peut vous marquer à jamais. Je suis devenu médecin de famille parce que j’aimais la médecine familiale et je suis reconnaissant d’avoir pu l’exercer, et d’avoir pu prendre soin de mes patients. C’est aussi l’une des raisons pour lesquelles j’ai fondé l’Ontario Union of Family Physicians en juillet 2023, pour aider à proposer des changements visant à améliorer les conditions de travail des médecins de famille. J’espérais poursuivre ce travail.À lire aussi: Ma vie de médecin de famille à Sault-Sainte-MarieMais au cours des dernières années, le paysage de la médecine familiale s’est considérablement détérioré. Le temps consacré à l’administratif et la paperasse en médecine familiale a grimpé à près de 20 heures par semaine. Un déluge constant de travail est transféré ou déversé sur les médecins de famille par les spécialistes, les compagnies d’assurance et les pharmacies. Sans parler de la remarquable duplication de longs rapports hospitaliers, parfois non pertinents, que l’on doit examiner chaque jour.En substance, vous encadrez chaque étape que franchissent tous vos patients dans le système médical, que vous les ayez vus récemment ou non. Vous vous assurez que les tests et les suivis sont bien effectués et que rien ne passe entre les mailles du filet. Si je n’avais pas surveillé mes patients dans leur parcours au sein du système, d’innombrables tests et suivis auraient été oubliés et n’auraient jamais été réalisés.Que cela vous plaise ou non, on fait peser sur les médecins de famille la responsabilité implicite de veiller à ce que les choses se fassent lorsque personne d'autre ne le fait. C’est mentalement épuisant. Certains jours, je rentrais du travail tellement surexcité que je ne pouvais rien faire d’autre que m’asseoir sur le canapé et tout garder pour moi, dans le silence, pour le reste de la nuit (même si les jeunes enfants rendent cette réalité difficile à réaliser).À une époque où les patients peuvent simplement envoyer un courriel à leur médecin de famille, vous ne déconnectez jamais du travail. Malgré mes efforts pour me convaincre que je ne penserais ni ne me préoccuperais du travail pendant mes vacances, je ne pouvais m’empêcher d’avoir des pensées intrusives à l’esprit. Je m’éloignais du moment présent dont j’essayais pourtant de profiter. Souvent, j’utilisais les premiers et derniers jours de mes vacances comme une tentative désespérée de rattraper le «temps perdu».Les fins de semaine où je n’avais rien d’autre à faire que regarder la télévision avec les enfants ou les surveiller pendant qu’ils jouaient dans la cour, je ne pouvais pas m’empêcher d’avoir les mêmes pensées intrusives, me disant que je ferais mieux d’essayer de rattraper mon retard dans ma pile toujours plus haute de paperasse. Je m’en voulais beaucoup de penser ainsi.Ajoutez à cela le stress lié à la gestion d’un cabinet de médecine familiale. Les dépenses augmentent constamment, avec une hausse spectaculaire au cours des trois ou quatre dernières années, sans augmentation réelle des revenus issus de l’Assurance-santé de l’Ontario (OHIP). Gérer une entreprise peut être stressant, mais cela en vaut la peine. Malheureusement, rien n’est plus éloigné de la réalité de la gestion d’un cabinet de médecine familiale. Les revenus issus de l’OHIP rapportent de moins en moins moins par rapport à l’inflation et aux dépenses.D’après les observations de l’Ontario Medical Association (OMA), qui a suivi la variation des taux de l’OHIP par rapport à l’inflation, les taux actuels ne représentent que 37% de ce que l’OHIP versait autrefois aux médecins pour gérer leur cabinet. Pour les nouveaux médecins de famille qui commencent à exercer, la perspective de stabilité de la profession est vraiment déprimante. Ils entrent dans la profession avec d’énormes dettes et la quasi-assurance qu’ils gagneront de moins en moins d’argent chaque année, malgré une charge de travail toujours plus importante. Sans pension, sans avantages sociaux, sans congés de maladie payés ni vacances pour couronner le tout, la réalité pour les nouveaux diplômés est que, sans changements importants pour aider la profession, la médecine de famille n’est plus une option de carrière viable.De nombreux médecins de famille ont des petits boulots pour financer leur pratique. Certes, l’ensemble du système médical est en proie à de mauvaises conditions de travail, à un sous-financement et à une charge de travail croissante, mais la situation est particulièrement aggravée en médecine familiale. Mais pas besoin de me croire sur parole: regardez simplement autour de vous pour constater ce qui se passe dans votre communauté et dans votre province. Malgré les statistiques de l’OMA, qui montrent que nous avons plus de médecins formés en médecine familiale par habitant que jamais auparavant, nous connaissons l’une des pires pénuries de tous les temps.Changement de carrièreChanger de carrière pour partir travailler à l’hôpital comme médecin hospitalier était un gros risque et exigeait un acte de foi (je n’avais pas travaillé dans un établissement de soins depuis la fin de ma résidence). Mais malheureusement, comme médecin de famille, j’étais de plus en plus malheureux sur les plans professionnel et personnel. Devenir médecin hospitalier a été la meilleure décision que j’aie jamais prise. Je suis uniquement responsable des patients de mon service et non des 1500 patients du système médical. Je dois rendre visite à chaque patient et voir examiner sa condition, effectuer des examens et demander des tests ou des recherches plus poussées. Je fais un suivi auprès de la famille lorsque cela est nécessaire et approprié pour les tenir informés.À la fin de la journée, sauf si je suis de garde, je rentre chez moi et je mets de côté le travail jusqu’au lendemain matin. Je n’ai pas de planning de rendez-vous à suivre scrupuleusement et je peux prendre autant de temps que nécessaire pour chaque patient. S’il y a un imprévu, je peux m’en occuper et retourner à mon travail sans m'inquiéter ou me stresser d’avoir pris du retard et que mes patients soient agacés. C'est aussi exigeant et extrêmement gratifiant.À lire aussi: Leur bonheur est dans la pratique soloJe n'éprouve plus le stress lié à la gestion d'une entreprise et je ne vois plus jusqu'à 40% de mes factures d'OHIP partir dans les dépenses professionnelles. Je n'ai plus besoin de faire entrer et sortir mes patients de la clinique au pas de course pour respecter mon emploi du temps et rester disponible dans la mesure du possible tout en essayant de leur accorder le temps nécessaire pour répondre à leurs questions. Je n’ai plus à retourner derrière mon ordinateur pour m’attaquer à la pile interminable de paperasse après avoir terminé le travail et soupé en famille. Plus besoin de m’inquiéter et de stresser pendant mes vacances à cause de tout le travail qui s’accumule en mon absence. Je ne me préoccupe plus de la paperasse pendant que je regarde les enfants faire du vélo ou mon fils courir joyeusement sans but dans ce couloir.Je suis plus présent et en paix avec moi-même. Je suis une meilleure personne, un meilleur mari et un parent plus patient grâce à ma décision de quitter la médecine familiale, et c’est peut-être le constat le plus triste et effrayant de tout mon parcours.Le Dr Ramsey Hijazi est médecin à Ottawa, fondateur de l’Ontario Union of Family Physicians. Cet article a été publié à l’origine sur le blogue du Dr Sohail Gandhi.

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