PL106: les étudiants en médecine pris entre l’arbre et l’écorce

La situation se tend sur les campus des quatre facultés de médecine du Québec. Depuis lundi dernier, les médecins spécialistes ont cessé leurs activités d’enseignement pour enjoindre le gouvernement à abandonner le projet de loi 106. Résultat: de nombreux cours ont été annulés, d’autres ont été réaménagés avec les moyens du bord, tandis que les stages cliniques de l’externat ont pratiquement tous été suspendus (hormis en médecine de famille), faisant craindre un retard de la graduation ainsi que des impacts sur le jumelage du CaRMS. Malgré tout, les étudiants en médecine et leurs associations représentatives soutiennent les revendications de la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FSMQ) vis-à-vis du projet de loi 106. Ils sont également conscients que les moyens de pression à disposition de la FMSQ sont assez limités. «On est pris entre l’arbre et l’écorce», résume la vice-présidente de la Fédération des étudiants en médecine du Québec (FMEQ), Félicia Harvey, qui reconnaît que la conjoncture actuelle est «délicate».Elle indique que la FMEQ est «en conversation» avec le gouvernement comme avec la FMSQ. «On les presse de négocier de bonne foi le plus rapidement possible, car ce moyen de pression a beaucoup de conséquences pour des milliers d’étudiants. L’enseignement doit reprendre sans plus tarder», affirme l’étudiante en 4e année à l’Université de Montréal (UdeM).Sur la même longueur d’onde que Félicia Harvey, le président de l'Association générale étudiante de médecine de l'Université de Sherbrooke (AGÉMUS), Jean-Simon Desrochers, estime à tout le moins que «cette grève démontre que l’enseignement est un élément crucial de la pratique médicale». Il rappelle que ce rôle-là, qui est assumé par de nombreux médecins, «n’est pas inclus dans le projet de loi 106» et que le ministre de la Santé l’avait méprisé en commission parlementaire. En réponse à un médecin de famille qui expliquait que ses heures d'enseignement n'étaient pas comptabilisées par la RAMQ, Christian Dubé avait alors déclaré: «J’ai beaucoup de respect pour ceux qui font de la recherche, qui font de l’enseignement, qui font d’autres choses. Mais le Québécois, de quoi a-t-il besoin? Lui, c’est la prise en charge, c’est de ça qu’il a besoin.»En attendant qu’un compromis soit trouvé à Québec, l’inquiétude est de mise chez les étudiants. «Nous les comprenons», indique la FMSQ dans une déclaration transmise à Profession Santé. Face à «un ministre (de la Santé) et un gouvernement qui refusent la négociation de bonne foi, nous n’avions plus le choix et avons lancé ces moyens de pression», justifie néanmoins la Fédération qui dit mener «cette bataille autant pour les médecins d’aujourd’hui que ceux de demain.»Sur le même sujet: Martine Biron accuse les médecins spécialistes de prendre les étudiants «en otage»Dans le flou pour les demandes de résidenceLes étudiants en dernière année d’externat sont sans doute les plus inquiets. Ils craignent de devoir reprendre les stages qui ont été annulés la semaine dernière, ce qui pourrait avoir pour effet de retarder la graduation de toute une cohorte. «Le programme est très dense en quatrième année et on n’a qu’une semaine entre la fin de l’externat et le début de la résidence. On n’a pas de jeu», explique Félicia Harvey en ajoutant qu’à l’UdeM, un stage doit être complété à 80% pour être validé. «Aujourd’hui, les stages de deux et quatre semaines sont déjà invalides. Ceux de six semaines le seront à compter de mardi.»Président de l’Association des étudiantes et étudiants en médecine de l'Université de Montréal (AÉÉMUM), Nicolas Dostie souligne quant à lui que la situation pourrait avoir un impact sur les demandes d'admission en résidence. Il indique par exemple que pour le programme en médecine interne à l’UdeM, les candidats doivent avoir complété leur stage obligatoire de quatre semaines dans cette spécialité, ainsi qu’un stage à option de la même durée. «Ceux dont le stage à option vient d’être annulé ne vont pas pouvoir le rattraper et remplir cette condition. Ils vont être handicapés lors du jumelage du CaRMS», redoute l’étudiant en 3e année. Nicolas Dostie précise que l’AÉÉMUM a engagé des discussions à ce sujet avec le CaRMS et l’UdeM. «On espère que des dérogations seront possibles, mais on n'a eu aucune garantie. C’est le flou complet pour l’instant.»Son homologue à l’AGÉMUS signale pour sa part que la FMSQ recommande à ses membres de continuer à rédiger des lettres de référence pour le CaRMS, mais de ne plus remplir les évaluations de stage. «Ça pourrait mettre en péril des dossiers de candidatures. Il faut régler ça au plus vite», insiste Jean-Simon Desrochers. À lire aussi: Les médecins de famille menacent à leur tour d'arrêter d'enseigner aux étudiantsAccommodations temporairesAu niveau du préexternat, de nombreux cours professés par les médecins spécialistes ont été annulés. Pour compenser, certaines facultés ont décidé de rassembler les étudiants dans de plus grands groupes. D’autres les ont invités à étudier en petits comités, sans enseignant, en leur donnant accès au matériel pédagogique ou en leur fournissant des enregistrements des cours de l’an dernier.L’AGÉMUS a mis en place un système de pair-aidance pour pallier la situation. «Des externes sont venus aider les plus jeunes. Mais on s’entend que des étudiants de 4e année qui enseignent à des 2e année, c’est un peu bancal», observe Jean-Simon Desrochers.Ces mesures d’adaptation temporaires constituent des pis-aller, se soucie néanmoins Nicolas Dostie. «À plus long terme, ça pose la question de la qualité de notre formation. Sera-t-on des moins bons médecins lorsque nous aurons gradué?» s’interroge-t-il.

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