Philippe Couillard: «Il n’y avait pas l’expertise interne nécessaire au Ministère pour réaliser le DSQ»

Bien qu’il ne soit plus ministre de la Santé et des Services sociaux depuis 2008, le Dr Philippe Couillard continue néanmoins d’avoir un agenda bien chargé.Partageant son temps entre sa résidence aux abords du lac Saint-Jean, Montréal et l’étranger, le neurochirurgien de formation est aujourd’hui conseiller stratégique au Groupe SECOR, professeur invité en gestion de la santé à l’Université McGill et membre de plusieurs conseils d’administration.Même s’il s’ennuie parfois de son rôle à la tête du plus imposant ministère du Québec, Philippe Couillard est cependant loin de s’ennuyer de la partisanerie acerbe qui fait bien souvent partie du quotidien des politiciens.L’actualité pharmaceutique l’a rencontré pour parler de l’évolution de la pharmacie québécoise avant qu’il ne prononce une conférence sur les grands enjeux auxquels fait face le réseau de la santé, dans le cadre du congrès de clôture du cinquantenaire de l’Association des pharmaciens des établissements de santé du Québec (APES). Que considérez-vous comme votre principal accomplissement en ce qui concerne la pharmacie ou le domaine biopharmaceutique ?La Politique du médicament, qui a été adoptée en 2007. C’est une politique unique. Très peu d’États dans le monde se sont dotés d’une stratégie pour un domaine aussi vaste et complexe.Comme vous le savez, notre politique avait quatre axes, dont celui de maintenir au Québec une industrie pharmaceutique qui apporte une valeur ajoutée à notre économie.Rien n’est parfait, mais j’estime que cette Politique était un excellent point de départ pour avoir une stratégie intégrée sur les médicaments au Québec.Que pensez-vous de la politique actuelle qui vise à baisser le prix des médicaments génériques ? La politique mise en place par l’Ontario, dont le Québec bénéficie grâce à sa propre politique du prix le plus bas au Canada, fait selon moi beaucoup de sens.Ce que tout le monde constate au Canada, ce n’est pas que le prix des médicaments brevetés soit trop élevé, mais que celui des médicaments génériques le soit. Auriez-vous aimé mettre de l’avant une telle politique pour baisser le prix des médicaments génériques ?Nous avions baissé de façon considérable le prix des médicaments génériques, mais je n’avais pas la marge de manœuvre nécessaire pour aller aussi loin d’un seul coup.Il faut aussi se rappeler que c’était au moment où nous avions mis en place une politique pour clarifier la question des ristournes reçues par les pharmaciens propriétaires.Dans le cas des ristournes, avez-vous le sentiment d’avoir réglé ce que vous considériez comme un problème ?Je qualifierais le résultat d’heureux compromis. Je n’étais pas contre l’idée que les pharmaciens et les producteurs de médicaments puissent utiliser les lois du marché afin de se différencier. Je crois que nous avons cependant réussi à rendre cette pratique plus transparente.Ce qui m’a empêché d’aller aussi loin que l’Ontario, qui a aboli les rabais volumes, c’était de maintenir un modèle d’affaires viable pour permettre aux pharmacies, en particulier dans les petites communautés, de maintenir leurs services.Mais nous verrons dans dix ans laquelle de ces deux approches, celle du Québec ou celle de l’Ontario, aura été la bonne.Que pensez-vous des propositions de l’Ordre des pharmaciens du Québec qui visent à élargir le rôle de ses membres ?Certaines de ces propositions relèvent de l’évidence, comme celle de leur permettre de prolonger les ordonnances.Je serais par contre plus prudent en ce qui concerne la recommandation de traiter certaines conditions mineures et celle de prescrire des examens de laboratoire. Il faut les encadrer avec beaucoup de prudence.Comment voyez-vous la réaction des médecins face à ces propositions ?Il ne faut pas nécessairement voir toutes les réserves du Collège des médecins du Québec comme du corporatisme. Certaines relèvent du corporatisme et elles doivent être balayées rapidement, mais les autres sont vraiment en lien avec la qualité des soins et la sécurité des patients.Ceci étant dit, ce n’est pas parce que des réserves sont légitimes qu’elles doivent servir de prétexte à un blocage. Elles doivent plutôt servir à enrichir la discussion et nous permettre de mieux soigner les gens.Sentez-vous que le ton des médecins à l’égard de l’interdisciplinarité a changé entre le moment où vous étiez ministre et aujourd’hui ?Oui, tout à fait. Je pense que l’époque où les médecins étaient réfractaires est révolue. Je me rappelle notamment de discussions très tendues sur la question de l’intention thérapeutique. Avec la nouvelle administration du Collège et la jeune génération de médecins, l’ouverture à l’égard de la contribution des autres professionnels est beaucoup plus grande.Les nouveaux actes réclamés par les pharmaciens représentent-ils en quelque sorte l’échec de l’ordonnance collective en milieu communautaire ?Non. Les ordonnances collectives sont utiles, mais cela ne veut pas dire qu’elles sont le seul outil que nous avons à notre disposition.Reste qu’elles sont davantage employées dans les régions que dans les milieux urbains…En santé, tout va toujours plus vite dans les régions moins populeuses, tout simplement parce que c’est plus complexe dans les grandes villes comme Québec ou Montréal. Et rappelons-nous que les ordonnances collectives ne touchent pas seulement les médicaments. Même en ville, les ordonnances collectives sont nombreuses dans les établissements de santé.Que pensez-vous de la demande des pharmaciens d’établissements entourant la spécialisation ?N’étant plus au fait de toutes les discussions entre les pharmaciens et le Ministère, c’est un dossier sur lequel je préfère ne pas trop me prononcer. Je dirais simplement que la scolarité prolongée des pharmaciens d’établissements doit être reconnue sur le plan salarial, mais que l’on ne doit pas s’engager dans une concurrence avec le secteur privé. L’État serait perdant.En 2006, vous avez lancé le Dossier de santé du Québec (DSQ). Votre objectif était que le réseau soit entièrement informatisé à la fin de 2010. Qu’est-ce qui n’a pas fonctionné ?Je ne dirais pas que « ça n’a pas fonctionné ». Le développement de certaines composantes s’est au contraire bien déroulé. Et, dernièrement, j'étais content de constater que le train est de retour sur les rails.Rétrospectivement, il m'apparaît important de souligner deux éléments pour expliquer ce qui s’est passé : dans un premier temps, l’architecture imposée par Inforoute Santé Canada était une source de problèmes. Or, nous avions besoin des fonds d’Inforoute pour nous lancer dans ce projet.C’était probablement une erreur de développer les modules séparément et ensuite de tenter de les intégrer les uns aux autres. Nous aurions dû travailler en premier sur le volet d’intégration.Mais plus largement, il y avait toute la question de la gouvernance, qu’a critiquée avec justesse le Vérificateur général du QuébecCela m’amène également à faire une comparaison avec la situation actuelle concernant le ministère des Transports du Québec. Objectivement, il n’y avait pas l’expertise interne nécessaire au Ministère pour faire face à un projet de cette ampleur.Iriez-vous jusqu’à qualifier votre échéance de 2010 d’erreur ? Non, je n’irais pas jusque là. Lorsque nous avons avancé cette date, c’est que nous avions cru qu’elle était réaliste. Je dirais cependant que nous avons sous-estimé le déficit de compétences et de connaissances au sein du Ministère pour un projet comme celui du DSQ. D’ailleurs, ce n’est pas un cas unique. Tous les grands chantiers accusent des retards.

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