Pharmaciens en oncologie: un rôle à définir en milieu communautaire

Voilà maintenant quelques années que le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) a statué que la gestion de la chimiothérapie orale devrait se faire en milieu communautaire, alors que les traitements intraveineux doivent être donnés en clinique. Bien que des recommandations aient été déposées par la Direction générale de la cancérologie en décembre dernier1, le rôle du pharmacien en oncologie reste toujours à définir dans ce nouveau cadre, ce qui complique pour le moment ses interventions. Jean-Philippe Adam, pharmacien en oncologie au Centre hospitalier de l’Université de MontréalL’évolution rapide des traitements en oncologie dans les dernières années brouille les cartes. Alors qu’auparavant on savait clairement dans quelle situation le patient était pris en charge par l’hôpital et quand il devait plutôt se référer à son pharmacien communautaire, il ne semble plus aussi facile de s’y retrouver aujourd’hui.« Il y a de plus en plus de protocoles et on ne sait plus trop comment faire. Est-ce qu’on [le milieu hospitalier] gère l’intraveineux et le communautaire, le traitement par la bouche ? Une combinaison des deux ? Personne ne le sait vraiment », constate le pharmacien en oncologie Jean-Philippe Adam, du Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM).Directrice des Affaires externes et corporatives à la pharmacie Larivière-Massicotte, qui se spécialise dans les services pharmaceutiques en oncologie, CatherineSt-Pierre croit, pour sa part, que le milieu communautaire n’est ni prêt ni outillé pour assumer ces nouvelles responsabilités. « Le modèle communautaire l’a attrapé un peu à la volée », illustre la pharmacienne.Protocoles non respectésCe qui en découle est désolant, raconte M. Adam. « Quand j’ai commencé il y a environ cinq ans, j’ai eu des appels de pharmaciens qui, au lieu de donner le nombre de pilules pour un cycle de chimiothérapie, ont donné la bouteille au patient en lui disant de s’organiser tout seul », relate-t-il. Christine Larivière, pharmaciennecopropriétaire de la pharmacieLarivière-Massicotte (Photo : Pharmacie Larivière-Massicotte)Christine Larivière, copropriétaire de la pharmacie Larivière-Massicotte, explique cette situation à la fois par un manque de connaissances liées au traitement et par des motifs économiques. « Si le patient est le seul à prendre cette molécule et qu’après un mois il change la dose, le pharmacien restera pris avec la moitié du pot. Ce sont des pilules très dispendieuses. Certains pharmaciens préfèrent donc vendre l’entièreté de la bouteille », explique-t-elle.Toutefois, le patient, laissé à lui-même, peut avoir de la difficulté à respecter la marche à suivre et des conséquences fâcheuses peuvent en résulter. Certains doivent même se résigner à arrêter le traitement, « un véritable constat d’échec pour eux », soutient Mme Larivière.Ajustements nécessairesCe qu’observe Jean-Philippe Adam, c’est qu’il existe un manque de connaissances en oncologie chez les pharmaciens communautaires et qu’il est important d’y remédier rapidement pour ne pas que des situations comme celle-ci se reproduisent. Selon lui, on doit établir « un canal de formation pour tout le monde, afin qu’on travaille tous sur la même base. »Par la suite, l’acquisition de nouvelles connaissances relèvera des devoirs et des responsabilités du pharmacien, sans quoi il ne sera pas en mesure de bien accompagner le patient dans son traitement, poursuit-il.Le pharmacien en oncologie au CHUM admet qu’il n’est pas toujours facile de le faire. Il précise que le temps, les ressources humaines et financières peuvent, en effet, influer sur la fréquence à laquelle cette mise à jour est faite.Le pari de la spécialisationAu Québec, on note une tendance vers la spécialisation de la pratique du pharmacien. Certains opteront pour le dépistage du VIH, alors que d’autres miseront sur l’offre des services pour les diabétiques. Le créneau, ce sont les besoins de l’environnement immédiat qui le définissent. Il est donc difficile de faire des prédictions quant au nombre de pharmacies spécialisées qui émergeront dans les prochaines années. Peu de pharmacies se spécialisent cependant en oncologie.« Je ne peux pas dire quand, qui et dans quoi les pharmacies vont se spécialiser. Il faut comprendre que quand on est propriétaire, c’est un risque financier d’aller vers une clientèle donnée plutôt que de se concentrer sur une clientèle plus large. Mais il en aura de plus en plus dans les prochaines années, j’en suis certain », témoigne Jean-Philippe Adam.Pour sa part, Catherine St-Pierre indique qu’il existe un tabou autour de la spécialisation chez les pharmaciens. Une réserve que la pharmacienne ne comprend pas puisque la situation est tout autre en médecine. « Si un médecin de famille trouve qu’un patient a l’air d’avoir un asthme épouvantable, il l’enverra voir un pneumologue. Personne ne va se poser de questions », précise-t-elle.Voilà maintenant deux ans que Christine Larivière et Hélène Massicotte, toutes deux pharmaciennes de formation, ont décidé de reprendre le flambeau de Diane Bluteau, qui avait mis au point une expertise dans les traitements complexes, tels que la chimiothérapie orale, en achetant sa pharmacie.Un pari risqué, diront certains. Les deux femmes s’entendent plutôt pour dire qu’il existait un besoin et qu’elles ont saisi l’occasion lorsque celle-ci s’est présentée. C’est de cette façon que la pharmacie Larivière-Massicotte est devenue le seul modèle uniquement spécialisé en oncologie au Québec.Leur environnement de travail, il ne ressemble en rien à une pharmacie traditionnelle. Très peu de produits sont gardés sur place et les patients sont peu nombreux à fréquenter les locaux. C’est téléphone à la main que les pharmaciens desservent l’entièreté de la province.« Quand nous avons acheté la pharmacie, Hélène [Massicotte] et moi, nous nous demandions comment nous pouvions établir une relation humaine sans avoir la personne en avant de soi. Nous avons vite compris que ce n’était pas toujours nécessaire qu’elle soit devant nous », se rappelle Christine Larivière.« Un outil de plus » Catherine St-Pierre, directrice Affaires externes et corporatives à la pharmacie Larivière-Massicotte (Photo : Pharmacie Larivière-Massicotte)Leur objectif n’est pas de faire concurrence aux autres pharmacies déjà bien établies, mais plutôt de compléter leur offre de services. « Si un pharmacien propriétaire exécute un gros volume d’ordonnances pour un produit en particulier parce qu’un oncologue vient de s’établir tout proche, l’idée n’est pas de nous envoyer ses patients. Mais s’il n’a pas la chance d’acquérir une expertise parce que cette situation ne se produit qu’à l’occasion, nous pouvons occuper cette espace-là », explique Mme Larivière. « Notre place est celle d’un partenaire, nous formons une strate entre l’hôpital et le communautaire », ajoute-t-elle.Le défi, pour l’instant, est de démontrer la pertinence de cette nouvelle strate afin qu’elle ne soit pas perçue comme superflue. Aux yeux de la femme d’affaires, « ça a du sens. On se situe à la limite du pharmacien communautaire, pour qui cela devient trop compliqué, et du pharmacien en milieu hospitalier, qui ne peut pas s’occuper de ce qui se passe dans la communauté ».Pour le pharmacien communautaire, qui ne s’est pas familiarisé avec le traitement, « notre rôle est vraiment de lui enlever une épine du pied et d’être là pour répondre à ses questions s’il réussit à nous joindre », confie Catherine St-Pierre.Sur mesureLa nature de l’accompagnement offert par la pharmacie spécialisée varie en fonction des besoins des partenaires communautaires et des patients. « Autour du patient, il y a bien des gens. Nous, on prend les espaces qu’il y a à combler », précise Mme St-Pierre.Quant aux protocoles de soins en oncologie, ils sont adaptés à la réalité de chaque patient. « C’est un accompagnement particulier, dit-elle d’entrée de jeu. On a affaire à des maladies chroniques en dents de scie. Les patients ont des hauts et des bas et il faut être capable de bien les accompagner. Ce n’est pas si facile. Dans les bas, il faut pouvoir leur redonner espoir. C’est avec l’expérience qu’on devient à l’aise. »Et pour imager son propos, elle utilise une métaphore évocatrice, celle d’une recette. « La première fois, on la suit à la lettre et après l’avoir faite cinq ou six fois, on commence à ajouter quelques ingrédients, c’est ainsi, qu’elle va plaire au groupe », résume-t-elle.Miser sur les forces de chacunCe qui est primordial pour assurer ce continuum, c’est le travail d’équipe, soutiennent les professionnels rencontrés aux fins du présent article. « La force, c’est qu’on communique toujours avec l’équipe soignante dans les hôpitaux et avec le partenaire en milieu communautaire. On fait circuler le plan de match », souligne Catherine St-Pierre.Cette entraide, Mme Lévesque, qui a agi à titre de proche aidante pour son conjoint alors atteint du cancer de la prostate et qui ne souhaite pas divulguer son identité, a été en mesure de le constater. « Chacun avait sa tâche et on n’a jamais senti que quelqu’un prenait la place de l’autre. Il y avait une bonne collaboration entre les différents intervenants », rapporte-t-elle. Aucun modèle universel… pour l’instantÀ la lueur des propos de Jean-Philippe Adam et de Christine Larivière, il serait difficile, voire presque impossible, d’établir un modèle universel de soins pharmaceutiques en oncologie, notamment car chaque établissement de santé et chaque pharmacie communautaire ont leurs particularités.« Il existe un guide pour uniformiser les pratiques, mais certains départements de pharmacie n’ont pas le budget nécessaire. On essaie d’établir de plus en plus un lien entre l’hôpital et la pharmacie communautaire, mais ce n’est pas tout le monde qui gère la chimiothérapie orale de la même façon », soutient M. Adam.« Il y a toujours quelque chose qui survient après le chaos, ajoute pour sa part Mme Larivière. Je crois que si, dans notre profession, on s’organise bien, on se fait confiance et on s’entend sur la façon de bien travailler en équipe, on va tous y gagner. »Pour ce faire, les pharmacies doivent cesser de se voir comme des concurrents et plutôt acquérir des réflexes de collaboration, soutiennent les deux pharmaciens.Pour M. Adam, le modèle idéal repose sur une discussion entre un pharmacien communautaire, spécialisé ou non, et un pharmacien d’hôpital, qui sont en mesure d’effectuer un suivi du dossier en ayant un canal de communication avec le médecin ou l’infirmière pivot. Des efforts ont été faits, mais « ce n’est pas encore parfait », soutient-il.Le ministère de la Santé et des Services sociaux est aussi de cet avis. En effet, le suivi efficace des patients en oncologie nécessite une approche multidisciplinaire dans laquelle le pharmacien occupe une place importante.« Le pharmacien communautaire doit s’impliquer et ne pas hésiter à partager ses observations cliniques avec ses collègues. Une collaboration dynamique entre pharmaciens d’établissement et pharmaciens communautaires est attendue », indique le Ministère par courriel.1. Comité de l’évolution de la pratique des soins pharmaceutiques. Recommandations sur le rôle du pharmacien en oncologie dans les établissements de santé. 2016. http://publications.msss.gouv.qc.ca/msss/fichiers/2016/16-902-06W.pdf

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