Pénurie de main-d'œuvre: les pharmaciens inquiets

C’est le sujet de l’heure pour tous les entrepreneurs, et l’un des trois principaux défis de la pharmacie communautaire, considèrent les membres de l’Association québécoise des pharmaciens propriétaires (AQPP). La pénurie de main-d'œuvre qui sévit au Québec pourrait même, selon eux, avoir des impacts sur les services offerts aux patients, certains ayant par exemple été contraints de réduire les heures d’ouverture par manque de personnel, notamment en région. Les enjeux sont tangibles dans les pharmacies, mais «la situation est peut-être un peu moins pire pour nous» que pour d’autres secteurs d’activité, a cependant relativisé le président de l’Ordre des pharmaciens du Québec (OPQ), Bertrand Bolduc, lors d’un panel sur le sujet organisé dans le cadre du congrès annuel de l’AQPP. S’agissant des assistants techniques en pharmacie, «on ne réglera pas le problème d’ici demain», convient-il en escomptant une amélioration d’ici deux ou trois ans grâce au nouveau programme de Techniques en pharmacie qui permettra de former annuellement plus de 160 techniciens. «On va se les arracher», prévient le président de l’OPQ. En amont des officines, «les chaines d’approvisionnement sont affectées», constate de son côté le président et chef de la direction du Conseil du patronat du Québec (CPQ), Karl Blackburn, qui anticipe des difficultés en termes de livraison, que ce soit pour les produits de plancher comme pour les médicaments. À plus haut niveau, il redoute surtout le vieillissement de la population. «C’est sans doute bon pour les pharmaciens, mais les départs à la retraite vont aggraver la pénurie de main-d'œuvre d’ici 2030.» D’autant plus que le taux d’emploi des 60-69 ans au Québec demeure plus faible qu’ailleurs au pays. Le CPQ propose ainsi des aménagements fiscaux pour encourager les travailleurs expérimentés à rester sur le marché en emploi. «La pharmacie est un métier difficile et usant. Plusieurs quittent avant 60 ans, car ils sont brûlés», signale Bertrand Bolduc qui ne croit pas que des incitatifs fiscaux convaincraient les pharmaciens de retarder leur retraite. «Ils n’ont tout simplement plus envie», ajoute-t-il en précisant que l’OPQ délivre de 400 à 500 nouveaux permis d’exercice chaque année pour environ 300 départs à la retraite. Une autre des solutions mises de l’avant par le CPQ consiste à relever les seuils d’immigration, alors que le nombre de nouveaux arrivants ne cesse de diminuer depuis trois ans. «Le ministère de l’Emploi évaluait en 2017 que nous aurions besoin de 64 000 travailleurs étrangers par année d’ici 2026. Or l’an dernier, nous n’en avons accueilli que 31 000», souligne Karl Blackburn. Faire mieux avec moins Les ordres professionnels étant souvent critiqués pour leur frilosité à cet égard, Bertrand Bolduc a rappelé que 30 pharmaciens étrangers posent annuellement leurs valises au Québec pour suivre le cursus d’équivalence supervisé par l’OPQ. «L’enjeu, c’est qu’ils ont tendance à privilégier Montréal et Québec plutôt que s’établir en régions où les besoins sont plus grands», observe M. Bolduc. Compte tenu de l’ampleur de la pénurie actuellement au Québec, où 279 000 emplois sont restés vacants en septembre dernier, la directrice adjointe de l’Institut du Québec, Emna Braham, ne s’attend pas à un retour à l’équilibre avant 2030. «D’ici là, il va falloir faire mieux avec moins de ressources», indique-t-elle en prévoyant que l’automatisation va jouer un rôle important, notamment pour les tâches désagréables boudées par les employés. «Il va aussi falloir revoir l’organisation du travail en considérant les nouvelles attentes des salariés», ajoute M. Braham. «C’est sûr qu’il faut créer de beaux milieux de travail, stimulants et valorisants, afin d’attirer et de garder les gens», convient Bertrand Bolduc, qui n’est pas contre l’idée d’automatiser certaines activités et d’en déléguer d’autres. «Mais notre modèle de rémunération n’est pas organisé pour ça, souligne-t-il. Si le gouvernement veut qu’on en fasse plus et qu’on ait plus de valeur ajoutée, il faut modifier notre rémunération en conséquence.»

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