Pensons-y 67 fois

Cette semaine, je suis allé épauler un collègue à sa pharmacie située dans une grande ville. Son officine était la seule ouverte tard le soir dans sa région, à tel point que des patients habitant à des dizaines de kilomètres venaient nous consulter cinq minutes avant la fermeture. Mon petit mur de 2,13m de haut, gracieuseté de la Loi sur la pharmacie, ne m’offrait guère la protection sonore me permettant de me concentrer.En fait, mon officine était devenue une véritable mini-urgence. Une mini-urgence sans triage.Une mini-urgence manquant de personnel.Imaginez une urgence où l’espace de consultation et le professionnel sont en plein milieu de la salle d’attente et à la vue de tous. C’était un peu ça.Tout cela m’a mené à penser au projet de loi 67. Vous savez, ce projet qui veut octroyer de nouveaux pouvoirs (je dirais plutôt de nouvelles tâches) aux pharmaciens. Bientôt, nous pourrons traiter toutes sortes de conditions en pleine autonomie. Merveilleux, non?En fait, j’ai l’impression que, malgré toutes les bonnes intentions derrière ce projet, ses conséquences risquent de nous éloigner de la raison d’être même de la profession de pharmacien, à savoir la prise en charge du traitement médicamenteux. Corrigez-moi si je me trompe, mais un pharmacien est un professionnel qui devrait consacrer l’entièreté de son temps à juger de la thérapie médicamenteuse et à l’ajuster.Parfois, je me demande si les décideurs qui nous annoncent ce genre de projets prennent le temps d’aller mettre les pieds sur le terrain. C’est que, assis dans leurs tours d’ivoire, ils ne semblent pas percevoir les besoins réels des pharmaciens. Ce que les pharmaciens demandent, c’est une officine mieux organisée et conﬁgurée de telle sorte qu’ils puissent se concentrer à mieux prendre en charge leurs patients. Ce que les pharmaciens demandent, c’est d’avoir en main l’historique médical et l’indication du traitement aﬁn d’en faire un meilleur suivi. Les pharmacies ne demandent pas à être le réservoir à débordement des autres professions.Enlever la limite des prolongations, initier et ajuster un traitement pour une condition chronique, puis en faire le suivi en toute autonomie, c’est parfait. Là où le bât blesse, c’est la partie de traitement des «conditions courantes» (cystite, otite, etc).Je m’excuse, mais une pharmacie n’est pas une urgence à rabais. Nous ne sommes ni des sous médecins, ni des sous-IPS, ni des prescripteurs de rechange quand il ne reste plus de place au sans rendez-vous. Notre profession vaut plus que d’être la dépanneuse de service d’un système de santé qui se cherche.Bref, mon temps et mon expertise sont mieux utilisés lorsque je me concentre à ajuster des traitements pharmacologiques.Imaginez le chaos que risque d’engendrer cette nouvelle loi. Des parents qui demandent du «sirop aux bananes» immédiatement, des patients pressés qui nous crient par-dessus le comptoir afin d'obtenir un test rapide pour la cystite ou pour la pharyngite. Et le plus beau dans tout ça? Nous le ferons à peu de frais, voire gratuitement, contrairement aux IPS qui chargent 175$ la consultation pour un rhume ou une grippe.Mon point de vue est simple et direct. Revenons à la source, et honorons les responsabilités exclusives à notre profession. Ajuster ou initier un traitement médicamenteux lorsque le diagnostic est connu? C’est oui. Transformer l’officine en urgence d’hôpital et ramasser tous les maux que le système de santé nous lance car les autres professions sont débordées ? C’est non.Ah, et j’oubliais évidemment que ce seront les officines ordinaires qui prendront le coup de cette loi. Les pharmacies dites de spécialité, elles, ne seront pas touchées et continueront joyeusement d’engranger des revenus pharaoniques aux dépens de leur collègues, sans que personne ne légifère pour les encadrer.Mais bon, ce sujet sera pour une autre fois.

Opinions pharmaceutiques

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Wassim Mekideche

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