Pensant aider ses collègues, il provoque la mort d’un patient en fin de vie

À vouloir bien faire ou faire mieux, on finit parfois par faire mal. Maurice Benoît l’a appris à ses dépens. Hanté par son erreur, le pharmacien en a tiré la conclusion qu’il devait prendre sa retraite plus tôt que prévu. Six mois après son retrait du tableau de l’Ordre, il vient d’être sanctionné par ses pairs et doit s'acquitter d’une amende de 4500$ pour avoir entraîné la mort d’un patient en se trompant dans l’exécution de son ordonnance de sortie d’hôpital. Propriétaire depuis 1983 d’une pharmacie de moyen débit à Saint-Guillaume, dans le comté de Drummond, Maurice Benoît vend son officine au printemps 2022. Pour assurer la transition, il continue d’y travailler à temps partiel, un à deux jours par semaine et selon les besoins sporadiques du nouveau propriétaire, Miguel Bazile. Accompagné d’une assistante technique expérimentée, Maurice Benoît est le seul pharmacien en service, le jeudi 9 juin 2022, lorsqu’il prend l’appel du médecin traitant d’un octogénaire. Celui-ci veut lui donner les instructions appropriées en vue de l’exécution des nouvelles ordonnances médicales qu’il a transmises pour ce patient en fin de vie qui sortait le jour même de l’hôpital et allait désormais être suivi par l’équipe du soutien à domicile (SAD). Le médecin lui avait entre autres prescrit un analgésique narcotique (Dilaudid 0,5 mg per os, ou en sous-cutané au besoin, toutes les deux heures en cas de douleur et/ou de dyspnée), une benzodiazépine (Versed 2,5 mg sous-cutané toutes les quatre heures pour traiter l’agitation, l’anxiété et/ou la dyspnée) et un anticholinergique (scopolamine 0,4 mg sous-cutanée toutes les deux heures en cas de râles). Le protocole en cas de détresse respiratoire prévoyait du Dilaudid 2 mg sous-cutané, du Versed 5 mg sous-cutané et de la scopolamine 0,4 mg sous-cutanée. À lire aussi: Des erreurs sur des produits contenant de la clonidine envoient des enfants à l’hôpital Comme il s’agissait du troisième patient de la pharmacie ayant obtenu son congé de l’hôpital ce jour-là et qu’il est plutôt rare de préparer le traitement pharmacologique d’une personne en fin de vie, Maurice Benoît décide de s’occuper de l’exécution des ordonnances en question. Pourtant, il reconnaîtra par la suite qu’il était peu familier avec ce genre de prescriptions, estimant qu’il en avait exécuté entre deux et quatre similaires au cours de sa carrière. Pensant faciliter le travail de l’ATP et de l’équipe du SAD, le pharmacien consigne lui-même les informations des ordonnances dans le dossier pharmacologique du patient, en inscrivant des millilitres au lieu des milligrammes, comme prescrit. Toutefois, il omet de procéder à l’ajustement des doses en fonction de la concentration des fioles de médicaments utilisées. Le mardi suivant, le fils du patient vient récupérer la médication préparée pour son père. Maurice Benoît lui donne alors des explications appropriées afin de s’assurer du bon usage des médicaments. Ces traitements sont administrés en cours de journée au patient qui décédera dans la nuit. Cinq jours plus tard, la cheffe de l’équipe du SAD communique avec Miguel Bazile et l’informe de l’erreur d’inscription intervenue lors de la préparation de la médication. Le propriétaire répercute l’information à Maurice Benoît, qui est sous le choc. Il s’en veut terriblement de ne pas avoir détecté son erreur, tant lors de l’entrée et de la vérification des ordonnances que lorsqu’il a donné des conseils au fils du patient. Regrets et désolation Le pharmacien appelle alors la conjointe du défunt afin de présenter ses excuses à la famille. Au cours de leur conversation, son fils lui demande de le voir en personne. Durant leur rencontre, Maurice Benoît exprime ses regrets et sa désolation. Bien qu’il a perçu une certaine compréhension de la part du fils, il demeure hanté par la situation. Derrière le comptoir, il est plus stressé, redouble de prudence et finit par mettre fin à sa carrière de pharmacien de manière anticipée. Après l’enquête ouverte à la demande du coroner saisi du décès du patient, les conclusions du syndic de l’Ordre des pharmaciens du Québec sont sans équivoque. Il souligne «la gravité objective de l’infraction déontologique» commise par Maurice Benoît, qui a plaidé coupable, et ajoute que «cette gravité est d’autant plus évidente lorsque, comme en l’espèce, la préparation implique des médicaments analgésiques narcotiques, puisqu’il s’agit de substances contrôlées qui requièrent, de ce fait, une vigilance accrue de la part du pharmacien». À lire aussi: Quand la surcharge de travail mène à une erreur dans l’exécution d’une ordonnance De son côté, l’intéressé, qui n’avait aucun antécédent disciplinaire, reconnaît la gravité des conséquences de son erreur de transcription en soulignant qu’elle a privé la famille de précieux derniers moments avec le patient. Selon lui, «il s’agit d’un écart de conduite isolé survenu dans un contexte particulier», mentionne la décision du Conseil de discipline de l’Ordre des pharmaciens du Québec, publiée le 6 octobre. En voulant faciliter le travail de l’ATP et de l’équipe du SAD, Maurice Benoît convient qu’il s’est privé de la double-vérification du processus d’exécution habituel. Pour le Conseil, cet aveu «met en évidence la nécessité qu’au moins deux personnes procèdent à l’exécution des ordonnances, soit l’assistante technique, qui s’occupe de noter les données au dossier du patient et d’exécuter certaines tâches pour la préparation de la médication, et le pharmacien, qui s’assure de la conformité des informations consignées au dossier et de la thérapie médicamenteuse».

Pensant aider ses collègues, il provoque la mort d’un patient en fin de vie

Pour accéder au contenu, connectez-vous ou créez un compte gratuit.

Catégories connexes