Outaouais: le réseau de la santé au bord de l’apoplexie

Après le président du Conseil des médecins, dentistes et pharmaciens (CMDP) du Centre intégré de santé et de services sociaux de l’Outaouais (CISSSO), le Dr Peter Bonneville, et sa cheffe du département d’urgence, la Dre Cristal Dionne, c’est au tour du chef de la Direction régionale de médecine générale (DRMG), le Dr Marcel Guilbault, de tirer vigoureusement la sonnette d’alarme sur la situation actuelle du réseau de la santé à Gatineau et sa région. Dans un courriel adressé dimanche dernier à ses pairs, le médecin de famille les informe de «bris de services imminents» qui «mettent en danger la population, les professionnels et les médecins qui pratiquent en Outaouais».Les mots qu’il emploie sont sans équivoque: «Avec l’effritement de notre main d’œuvre en santé qui continue, tout le système de santé, déjà en piètre état en Outaouais, va s’effondrer dans les prochaines semaines si le gouvernement ne nous vient pas en aide rapidement. C’est une question de quelques semaines, et le point de rupture sera atteint. C’est catastrophique!»Le Dr Guilbault convient qu’il n’a pas écrit ce message de gaieté de cœur et que ses mots sont forts, «mais ils décrivent notre réalité au quotidien. On est 400 000 en Outaouais et on n’a pas un niveau de services comparable au reste de la population québécoise. Notre situation n’est pas normale ni acceptable dans un Québec de 2024. On a droit à beaucoup mieux que ce que l’on vit maintenant et depuis tant d’années» estime l’omnipraticien en déplorant le sous-financement chronique des services locaux de santé qui remonte au début des années 2000.Dans son courriel, le chef de la DRMG dresse un portrait sombre. Le service d’imagerie de l’Outaouais ne compte que 60 technologues sur 120 postes, la pénurie étant criante au niveau du scan, avec seulement 30% postes comblés. Ainsi, aux urgences des hôpitaux de Maniwaki et de Buckingham, la tomographie n’est plus en fonction de 20h à 8h le matin depuis le début de l’année. Dans les hôpitaux de Hull et de Gatineau, ce sont les technologues en IRM qui font particulièrement défaut (28% des postes comblés) alors qu’au scan, la moitié des postes sont vacants.À l’Hôpital de Hull, qui est reconnu comme centre de traumatologie secondaire, le départ annoncé de trois technologues supplémentaires recrutés en Ontario fait craindre des bris de service au niveau du scan et de l’IRM le soir et la nuit. «Ça met littéralement la vie de nos concitoyens en danger», affirme le Dr Guilbault qui rappelle que, selon la loi, un hôpital ne peut pas être un centre de traumatologie s’il n’a pas de scan fonctionnel 24 heures par jour, sept jours sept. «Dans le cas d’un AVC, on ne pourra même plus vérifier si la thrombolyse est nécessaire. C’est vraiment la catastrophe», insiste le médecin de famille.En mal aussi d’infirmièresS’agissant du personnel infirmier, la situation n’est pas plus reluisante. L’urgence de Hull fonctionne avec moins du tiers des effectifs requis, tandis qu’à celle de Gatineau, 57% des postes sont non pourvus. Résultat, le délai moyen de prise en charge après triage y est supérieur à la moyenne des urgences du Québec (3h55 contre 2h48, selon le tableau bord du ministère de la Santé), de même que la durée moyenne de séjour sur civière (21h38 contre 16h56).Récemment, la Dre Cynthia Lauriault rapporte qu’elle a eu un code bleu dans une résidence pour aînés que la médecin de famille supervise. «Le patient est parti en ambulance. Il est resté plus de 30 heures sur une chaise avant d’être vu… et le lendemain, il était déjà retourné chez lui. Ce sont ses enfants décontenancés qui m’ont écrit pour m’en aviser, parce qu’on était tous certains que ce patient avec comorbidités complexes allait se mériter au minimum un court séjour ou une observation», témoigne la clinicienne qui pratique à Hull et Gatineau. Elle se souvient du temps où, quand elle envoyait ses patients à l’urgence, «ils étaient vus. Maintenant, on dirait qu’ils gagnent à la loterie s’ils réussissent à être évalués dans le même 24h».Au niveau des salles d’opération, le tableau est sensiblement le même. Le bloc opératoire de Gatineau roule tant bien que mal avec le quart des effectifs infirmiers requis, celui de Hull étant un peu mieux loti avec 43% des postes comblés. Ainsi, sur les 11 salles d’opération des deux hôpitaux, six sont actuellement fonctionnelles, ce chiffre risquant de passer à trois ou quatre cet été. «Ce qui signifie que seuls les chirurgies urgentes, les césariennes et les cancers seront opérés dans les prochains mois», prévient le Dr Guilbault dans son courriel. Quant aux chirurgies électives (remplacements de genoux, hanches, hernie, ORL, urologie, etc.), elles ne seront pas réalisées «avant des mois, et pour certaines des années», avertit le chef de la DRMG. Il évoque également des bris de service en plastie et un «accès non optimal en oncologie» en raison de la non-disponibilité des tests diagnostiques. «C’est une tragédie, le réseau est congestionné à tous les niveaux», souligne-t-il.Concurrence de l’OntarioOutre le sous-financement chronique du réseau de la santé en Outaouais, la région pâtit de la concurrence de l’Ontario, qui n’hésite pas à piger dans les effectifs du CISSSO en proposant à ses professionnels de la santé des salaires et des conditions de travail bien plus avantageuses. Le premier ministre Doug Ford a par exemple reconnu les diplômes des technologues québécois à l’automne 2023 et leur a offert des salaires supérieurs de 30 000$ par année. Depuis, huit technologues en oncologie sont partis travailler de l’autre bord de la rivière des Outaouais.«Je manque de doigts et d’orteils pour compter tous les collègues que j’ai vu quitter depuis les dernières années.» - Dre Cynthia LauriaultLe salaire est un critère important, mais ce n’est pas le seul, signale le Dr Guilbault. «À l’Hôpital de Gatineau, les technologues préposés au scan et à l’IRM couvrent l’urgence, les soins intensifs, les étages. Ils courent tout le temps. Alors qu’à l’Hôpital Montfort d’Ottawa, ils ont une vie bien meilleure, car ils sont affectés à un seul endroit.» Idem pour les infirmières. Elles gagnent bien mieux leur vie en Ontario et, surtout, elles ne jouent pas aux bouche-trous en changeant régulièrement de service, elles ne font pas de temps supplémentaire et elles peuvent décider de la date de leurs congés. Face à cette concurrence inéquitable, le chef de la DRMG estime qu’une hausse des salaires est inévitable pour retenir en Outaouais les professionnels de la santé.Sollicité par ProfessionSanté.ca, le cabinet du ministre de la Santé, Christian Dubé, reconnaît que la situation est «préoccupante et nous la suivons de très près». Par courriel, il indique que «des mesures sont déployées à court, moyen et long termes pour assurer le service». Des technologues vont ainsi venir d’autres régions du Québec pour s’assurer de maintenir le service. De plus, «des bourses d’installation de 20 000$ vont être offertes à des technologues qui voudraient aller s’installer en Outaouais, d’autres de 40 000$ seront offertes aux nouveaux diplômés du Cégep de l’Outaouais qui s’engagent à travailler pour l’établissement».S’agissant des infirmières, «comme il y a des négociations en cours, nous limiterons nos commentaires pour le moment», a indiqué l’attachée de presse du ministre.De son côté, le Dr Guilbault garde espoir que des solutions pérennes seront trouvées par le gouvernement. «Je ne peux pas croire qu’ils ne vont pas nous aider. Nos concitoyens ont droit aux mêmes services qu’ailleurs dans la province», martèle le médecin qui signale qu’une pétition est en préparation pour maintenir la pression sur Québec. En attendant, le chef de la DRMG invite les médecins de famille à «s’assurer de la pertinence de demander des tests diagnostiques et des consultations en spécialité», à «utiliser les accès aux cliniques de radiologie», à «demander des services à Hawkesbury et à Ottawa, mais les accès aux patients du Québec sont souvent limités» et, enfin, «pour les patients qui ont des assurances, demander les tests dans les cliniques privées».

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