«On a perdu la notion d’humanisme en médecine» - le Dr Yves Lamontagne

L’ancien président du Collège des médecins, le Dr Yves Lamontagne, vient de publier son 36e livre, Le guide de survie du patient dans l’enfer du système de santé. ©Martine DoyonÀ 75 ans, l’ancien président du Collège des médecins du Québec, le Dr Yves Lamontagne, publie un nouveau livre, son 36e, Le guide de survie du patient dans l’enfer du système de santé. Dans cet ouvrage destiné au grand public, le psychiatre décrit avec le mordant qu’on lui connaît les deux mauvaises expériences qu’il a lui-même vécues en tant que patient face aux médecins, et donne une série de conseils aux usagers de la santé pour frapper aux bonnes portes et obtenir de meilleurs soins. Entrevue.Vous avez goûté à la médecine de certains. Dans quelles circonstances? Je m’étais fait des hernies discales et je suis allé consulter un orthopédiste avec lequel j’avais travaillé lors de mon internat. Avant même de me dire bonjour, il m’a demandé si j’avais donné ma carte à une secrétaire pour m’ouvrir un dossier. À l’issue de l’examen, il m’a dit que c’était une bonne idée de consulter un physiatre et de revenir le voir quand je ne marcherais plus du tout…Pour la première fois, je sentais que je n’étais ni un collègue ni un patient, mais un dossier et une carte d’assurance maladie.À la deuxième occasion, j’étais été le premier patient à utiliser un nouvel appareil d’électrocardiographie dans un hôpital universitaire montréalais. Le cardiologue ne m’a pas demandé mon nom, ne m’a pas dit bonjour et ne m’a jamais adressé la parole. Il a passé tout son temps à discuter avec le représentant du fabriquant de l’appareil. Quand j’en ai eu assez, j’ai moi-même arrêté l’examen.Quelles leçons avez-vous tirées de ces deux expériences?Ce qui me titille le plus, c’est que nous avons maintenant des médecins très sophistiqués concernant le «know how», mais on a perdu la notion d’humanisme. La médecine est une science, mais on a oublié l’art et le professionnalisme.Jugez-vous que le système de santé québécois est réellement devenu un enfer, comme le dit le titre de votre livre?D’une certaine façon, oui, parce que les problèmes sont nombreux: difficulté d’accès aux médecins de famille, déshumanisation et dépersonnalisation des soins, bureaucratie lourde, augmentation du prix des médicaments et coûts énormes de la santé. Les politiciens promettent à chaque élection de régler les problèmes, mais même si on a mis beaucoup d’argent dans le système depuis 30 ans, ça ne change pas.Quel est pour vous le principal problème parmi ceux que vous évoquez: l'accessibilité ou la déshumanisation?La déshumanisation, mais j’ajouterais la désorganisation des services. Le système est mal organisé. Deux exemples: le Dossier Santé Québec est un échec monumental et les médecins ne s’organisent pas suffisamment entre eux pour offrir des soins à la population. Je cite des cas dans mon livre.Un phénomène de «docteur bashing» est apparu au Québec ces dernières années. Croyez-vous que les médecins portent une part de responsabilité?Aucun doute. Je n’avais jamais vu cela dans le passé, mais ça s’explique. Ces dernières années, les médecins sont sortis surtout pour défendre leurs honoraires. Ça joue dans l’opinion publique. Quand tu l’as de ton côté, tu peux faire chanter le gouvernement. Mais quand elle est contre toi, le gouvernement le sait et peut en profiter pour te serrer la vis. Une médecin anglophone qui enseigne à l’Université de Toronto, Danielle Martin, est devenue très populaire au Canada anglais avec son livre «Better Now: Six Big Ideas to Improve Health Care for All Canadians». Elle y dit notamment qu’il faut changer la culture médicale et payer différemment les médecins.Vous êtes critique vis-à-vis de la rémunération à l’acte. Les médecins devraient-ils payés à salaire?Je suis ambivalent sur cette question. Il y a du pour et du contre avec le salariat. Je crois tout de même que cela pourrait arriver d’ici 10 ans. Pourquoi? À cause de la féminisation de la profession. Les femmes sont moins voraces que les hommes concernant les honoraires. Par ailleurs, on dit que les médecins sont travailleurs autonomes. Nous le sommes de moins en moins. Il nous manque seulement quatre à six semaines de vacances par année et un fonds de pension; donnez ces deux choses aux médecins et beaucoup vont signer pour le salariat.Le fait que le gouvernement en soit rendu à adopter une loi pour forcer des médecins à inscrire des patients ne montre-t-il pas qu’il y a un problème d’engagement de la part de certains?C’est triste, en effet, de faire des lois pour ce motif. Le gros bon sens pourrait suffire, mais aujourd’hui, il faut des lois pour tout. Je trouve que c’est complètement con. On devrait être capable de se rendre compte que l’on doit mettre l’épaule à la roue. En même temps, certains devraient constater que des médecins ont des idées pour améliorer le système de santé et qu’ils aspirent à les mettre en pratique.La population du Québec vieillit, elle va exiger des soins de santé et, en même temps, une partie des médecins se font tirer l’oreille pour faire de l’inscription et de la prise en charge. Comment résout-on cette équation?À un moment, quand les quotas seront atteints et que le marché sera saturé, les médecins seront obligés de travailler, sans quoi ils ne gagneront pas leur pitance. Ce sera un bon incitatif. Faudra-t-il plus de médecins pour faire face au vieillissement? Je ne sais pas. Mais un autre aspect qui va jouer: les infirmières praticiennes spécialisées (IPS). Ça peut aider à diminuer la surcharge. Le travail interdisciplinaire sera aussi important pour donner des soins à une clientèle vieillissante. Autrefois, le docteur était le meilleur joueur de l’équipe: maintenant, il doit faire partie de la meilleure équipe de joueurs.Vous êtes depuis longtemps un partisan du privé en santé. C’est une voie qui vous semble toujours intéressante?Soyons réalistes, il n’y a pas un État dans le monde qui va réussir à assumer tous les coûts de santé de sa population. Il faudra y parvenir d'une autre façon. J’aime beaucoup les partenariats public-privé (PPP) en autant qu'ils soient bien gérés.Toujours dans votre livre, vous dites que les facultés de médecine du Québec forment des robots…Je ne suis pas le seul à le dire. On admet des petits «nerds», mais certains n’ont pas de cœur. Je cite le cardiologue Martin Juneau qui reproche aux facultés d’accepter des étudiants qui ne devraient jamais entrer en médecine. Mais les choses commencent à changer. L’Université de Montréal a adopté de nouveaux critères d’admission, ils ne sont plus basés uniquement sur les notes, mais aussi sur l’humanisme. Je pense que c’est un plus.Que pensez-vous des réformes engagées par le ministre Gaétan Barrette pour améliorer l’accessibilité et modifier l’organisation des services?Face à lui aussi, je suis ambivalent. Il «varge» dans certains dossiers et il a raison de la faire. Il a décidé de réduire le nombre de conseils d’administration, je trouve cela correct. Il fait la même chose pour les laboratoires en les centralisant. Ça aussi, je trouve cela positif. Mais parfois, je trouve qu’il s’éloigne parce qu’il agit sur un grand nombre de dossiers et il ne peut pas tout faire ou tout changer.

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