Nouvelles associations en médecine et en pharmacie: «nous sommes le porte-voix des changements à faire»

Le Regroupement des omnipraticiens pour une médecine engagée (ROME) et l’Association professionnelle des pharmaciens salariés du Québec (APPSQ) sont de très jeunes associations. Mais pas des lieux de parole réservés aux jeunes, précisent le Dr Simon-Pierre Landry et Christophe Augé, leur président respectif. Elles attirent un noyau de réformateurs soucieux de moderniser les façons de faire, notamment dans les syndicats. Refusant par ailleurs de voir leur profession se refermer sur elle-même, ils veulent renouer des liens avec la société. Christophe Augé, pharmacien, et le Dr Simon-Pierre Landry, médecin de familleLe ROME et l’APPSQ ne sont pas en conflit avec des syndicats comme la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ) et l’Association des pharmaciens propriétaires du Québec (AQPP). Ils veulent plutôt utiliser la liberté de parole que leur confère leur statut d’association volontaire pour proposer un discours socialement crédible. Tous deux reconnaissent que se concentrer uniquement sur l’argent serait une erreur. Il s’agit aussi de négocier de meilleures conditions de pratique, de promouvoir la profession, tout en assumant la responsabilité sociale.Problème d’imageLe Dr Simon-Pierre Landry et Christophe Augé reconnaissent que, par les temps qui courent, leur profession souffre d’un problème d’image publique. « Nous voulons renouveler l’image de la médecine, avoir d’autres figures à montrer à la population, car nous ne sommes pas représentés comme nous voudrions l’être », dit le Dr Simon-Pierre Landry, médecin de famille à l’urgence de l’Hôpital de Sainte-Agathe, porte-parole du ROME. « Nous sommes le porte-voix des changements à faire, en amenant un discours nouveau qui ne peut pas venir d’en haut. »« De notre côté, nous avons voulu créer une association de salariés qui se démarque sur le plan du conflit d’intérêts. Nous ne portons pas, comme l’AQPP, le fardeau de la négociation. Nous voulons pousser le déploiement de notre profession, dont la reconnaissance de nos actes cliniques », indique Christophe Augé, président de l’APPSQ.Des valeurs« Cette autre image, nous pouvons dès à présent contribuer à la bâtir, mais c’est surtout un débat d’idées que nous voulons lancer », poursuit le Dr Landry. Les médecins du ROME se disent engagés, au sens de « mobilisés, se prononçant et agissant pour un changement qui va dans le sens de nos valeurs communes ». Celles-ci se concentrent autour de quatre grands thèmes, qu’il résume ainsi :La démocratie participative. Il faut l’instaurer tant au gouvernement qu’à la FMOQ (en opposition à une réforme de la santé autocratique, non consultative, et au mode de gouvernance de la FMOQ, qui n’est pas démocratique);La justice sociale. On ne la voit ni au gouvernement ni dans les syndicats. Promotion d’un système de soins qui traite les patients indépendamment de leurs moyens financiers. « Nous sommes contre les frais accessoires, une forme de facturation illégale au regard de la Loi canadienne sur la santé », dit le Dr Landry, qui fut candidat pour le Nouveau Parti démocratique dans Laurentides-Labelle aux élections fédérales de 2015;La hiérarchie horizontale. Elle permet l’interdisciplinarité entre les professions pour une plus grande accessibilité;Le féminisme (égalité femmes/hommes). « Nous nous opposons à toute mesure ou loi discriminatoire envers les femmes médecins. » Le ROME veut une meilleure représentativité des femmes, quasi absentes des hautes instances de la FMOQ. L’organisme n’a pas de président, mais deux porte-parole officiels (un homme, une femme). La conciliation travail-famille est pour lui un enjeu majeur.À lire aussi: Contrat du pharmacien de GMF: bien des inquiétudesVie démocratiqueLe ROME suggère une réforme démocratique pour amener la FMOQ à mieux représenter la médecine d’aujourd’hui. « Il ne fait aucun sens à mes yeux que le taux de participation à l’élection de mon délégué régional soit de 8 %, indique le Dr Landry. Nous souhaitons un vote universel électronique pour élire la présidence, le conseil exécutif de la Fédération, et pour entériner les ententes majeures signées avec le gouvernement, comme c’est le cas chez les syndicats de médecins ailleurs au Canada. » Il y a de gros problèmes de gouvernance à la FMOQ, affirme-t-il. « Il est temps que les omnipraticiens exigent de changer les règlements fédératifs. » Le Dr Simon-Pierre LandryUn vote universel électronique est plus démocratique, ajoute-t-il, par exemple pour une jeune maman qui habite à Rivière-Rouge et qui doit se déplacer le soir à Terrebonne pour voter en assemblée pour son délégué régional. Le ROME croit possible de réformer la démocratie et les modes de gouvernance de la FMOQ. « Il faut trouver des façons de stimuler l’engagement des médecins. À la Fédération, tout est au chef, mais nous, on part de la base. »Le ROME revendique 650 membres (sur 8 000 omnipraticiens), dont environ un cinquième de résidents. Le mouvement est né début 2015, « à la suite d’une crise majeure associée au projet de loi 20, qui constituait une attaque frontale contre les femmes, un projet de loi misogyne, sur fond de dénigrement de la médecine de famille », soutient le Dr Landry. Il faisait en sorte que les jeunes femmes médecins mères (ou les préretraités) soient payées à 70 % du tarif pour un même acte, comparativement à leurs collègues, le plus souvent masculins et exerçant à temps plein.Relancée en juillet 2015 après quelques années de dormance, l’APPSQ compte de son côté 350 membres sur un potentiel de 5 000. « Il va falloir que les pharmaciens salariés se réveillent, dit Christophe Augé. Les interventions politiques ont des impacts directs sur notre pratique et ça, c’est difficile de leur faire comprendre. Nous ne voulons pas devenir des agents négociateurs, mais participer à l’épanouissement de notre profession. »Impératifs économiquesDans le système de santé, par ailleurs, c’est l’organisation même des soins qui cloche, poursuit Christophe Augé. Lui-même et le Dr Landry relèvent à ce sujet les dérives qu’accentue la réforme Barrette: politisation et centralisation extrêmes du réseau, destruction des contrepouvoirs; le tout, pour mieux justifier des compressions budgétaires, puisque tout est subordonné aux impératifs économiques. « Ajoutons-y un déni de démocratie ou plutôt une attaque directe à la démocratie. »Tous deux font une lecture commune des carences dans l’accessibilité aux soins. Les patients ne veulent pas forcément être inscrits à la liste d’un médecin de famille, déclarent-ils, mais pouvoir consulter un professionnel de la santé quand ils en ont besoin, et pas forcément le médecin. « Or, le gouvernement et la FMOQ ont encore entériné l’image qu’il revient au médecin de régler le problème d’accessibilité, avec un taux d’inscriptions de 85 %. Quand ça va mal aller, qu’on n’atteindra pas les cibles, le ministre Barrette va blâmer les médecins, c’est facile à prévoir. » Sans compter que les médecins se mettent ainsi toujours plus de pression, selon le Dr Landry.Chômage en pharmacieÊtre jeune ne constitue pas par ailleurs un critère pour devenir membre du ROME ou de l’APPSQ. « Nous avons cependant dans nos rangs de très jeunes diplômés, ceux-là mêmes qui vont avoir le plus de problèmes à l’emploi. En un an, le ministre Barrette a inventé le chômage en pharmacie communautaire, faut le faire ! », s’exclame Christophe Augé.Plusieurs pharmaciens ont perdu leur emploi, d’autres ont vu diminuer leur nombre d’heures de travail. Étant donné l’état de la pharmacie communautaire, poursuit-il, nous constatons une hausse des demandes d’admission à la maîtrise en pharmacothérapie avancée qui mène à la pratique en établissement de santé : 90 candidats à Montréal, contre une soixantaine d’habitude. À Québec : 60 demandes, contre une trentaine habituellement, pour 27 places. La pharmacie d’établissement devient en quelque sorte un refuge. De quoi inquiéter l’Association des pharmaciens des établissements de santé du Québec, selon Christophe Augé, dans la mesure où cela risque d’affaiblir son principal levier de négociation, la pénurie chronique de pharmaciens d’établissement.Les étudiants en pharmacie manifestent une certaine inquiétude, constate Christophe Augé, responsable de formation pour le programme de Qualification en pharmacie, à la Faculté de pharmacie de l’Université de Montréal. « Mais il y a aussi de bonnes nouvelles, car notre profession va évoluer vers le mieux, vers l’utilisation (enfin) de nos compétences. Les étudiants sont aussi très ouverts à l’interdisciplinarité, ils sont formés dans cette optique. »Traversée du désertQu’en est-il de la médecine familiale ? « Une traversée du désert se profile pour elle, mais il y aura un retour du balancier. Les étudiants veulent fuir vers la spécialité. À leur place, je garderais en tête qu’il existe du sous-emploi en spécialité », dit le Dr Landry. Par le simple jeu de l’offre et de la demande, soutient-il, le généralisme polyvalent va être en grande demande dans les prochaines années, considérant l’état du budget de la santé et le vieillissement de la population.La réforme Barrette contribue à affaiblir l’attractivité de la médecine de famille, selon lui. Et le Dr Landry se dit d’autant plus perplexe que la médecine familiale allait mieux depuis 10 ans, « avec l’excellent travail de revalorisation des universités et du Collège des médecins de famille, et malgré le sous-investissement dans les cliniques et l’écart salarial important entre omnipraticiens et spécialistes ».Par ailleurs, si les médecins se plaignent d’être épuisés, est-ce aussi parce qu’ils n’en laissent pas aux autres ? « Nous, au ROME, nous voulons plutôt en donner aux autres par la délégation d’actes. Les corporatismes n’ont plus de raison d’être », répond le Dr Landry.À terme, les infirmières praticiennes spécialisées (IPS) ne risquent-elles pas de remplacer en partie le médecin de famille ? « Ceux qui affirment qu’il est remplaçable comprennent très mal son rôle. Je supervise des stages pour des IPS dans une urgence de taille moyenne. Or, devant une situation de diagnostic indifférencié, comme une douleur abdominale, ou devant une famille confrontée à une grave décision sur un enjeu éthique et clinique complexe, c’est encore la présence du médecin de famille qui est souhaitée, tant par les IPS que par les patients. »Le ROME n’anticipe pas de conflit entre les ordres professionnels des médecins et des infirmières, car les deux professions, dit-il, n’ont ni la même formation ni la même définition de tâche. « Les IPS et nous, nous sommes symbiotiques, nous ne nous faisons pas compétition. Les IPS de terrain que j’ai eu la chance de côtoyer connaissent leur rôle et l’assument avec intelligence, tout en respectant leurs limites. »Grandes ambitions, petits moyensLe ROME et l’APPSQ nourrissent de grandes ambitions, mais ont-ils les moyens de les réaliser ? Pour de petites associations comme la nôtre, les possibilités sont limitées, reconnaît Christophe Augé. « Nous faisons connaître notre réalité par des interventions de petite envergure, mais régulières. Par exemple, en corrigeant des articles erronés, en intervenant auprès des dirigeants lorsque c’est possible, en faisant circuler des textes sur Facebook. Mais aussi en travaillant de concert avec l’AQPP ou l’Ordre des pharmaciens du Québec pour que les orientations choisies soient celles que l’on souhaite. »Et qu’en est-il des liens avec les syndicats ? L’AQPP s’est montrée coopérative dès le début, consciente que la rémunération doit être revue, que les allocations professionnelles sont et doivent être temporaires, et que l’image du pharmacien doit être redorée, répond Christophe Augé. « L’AQPP a organisé des états généraux de la pharmacie et nous a inclus dans le projet. Elle est consciente que les pharmaciens salariés sont absents du décor et que cela nuit à l’image globale, la seule image publique étant celle qui concerne l’aspect monétaire. » Or, dit-il, les pharmaciens sont formés à l’acte clinique, à la consultation pharmaceutique, et c’est ce qu’ils veulent faire.Christophe Augé ajoute qu’il est plus facile de collaborer avec l’AQPP, « qui a déjà fait une poussée vers le renouveau », et avec l’Ordre des pharmaciens que de convaincre de nouveaux membres d’adhérer à son association. « C’est le problème du militantisme, les pharmaciens salariés sont endormis. Des pharmaciens isolés nous disent : qu’est-ce que tu veux que je fasse tout seul ! On leur répond : joins ta voix à la nôtre sans attendre ! »Et du côté du ROME ? Le Dr Landry note que la démobilisation et le repli sur soi observés chez les médecins en matière d’affaires syndicales existent tout autant chez les infirmières et autres groupes de travailleurs syndiqués. « C’est un trait de la société moderne, à l’instar du faible taux de participation aux élections. » Le problème, dit-il, c’est que l’establishment politique ou syndical profite de cette réalité pour se maintenir au pouvoir. « Il n’a aucun intérêt à mobiliser la base, ce qui “challengerait” trop les idées reçues. Nous ne voulons pas remplacer la FMOQ comme agent négociateur, mais offrir aux omnipraticiens un tremplin pour qu’ils exigent des changements internes dans la Fédération. »Hiérarchie horizontaleLe ROME n’aura-t-il été qu’un sursaut d’indignation devant le projet de loi 20 ? « Non, il porte les aspirations des médecins de la base. Via Facebook, 650 omnipraticiens ont fait une cotisation volontaire de 200 $, et 300 personnes se sont déplacées lors de la Fête des mères de l’an dernier à un congrès sur la réorganisation des soins organisé par le ROME », dit le Dr Landry. « Cela montre que des milliers d’omnipraticiens sympathisants croient à la vision du regroupement. Le ROME est un agent de changement et il sera là tant que les changements n’auront pas eu lieu à la FMOQ et au Ministère. »En attendant, l’interdisciplinarité est un point essentiel de ralliement pour les deux organismes. D’ailleurs, l’interdisciplinarité peut contribuer à stabiliser la médecine de famille, estime le Dr Landry. « En fait, c’est le seul moyen d’arriver à rendre la médecine familiale attrayante en bureau. Là, on parle d’efficacité et d’efficience, que les bonnes choses soient faites par les bonnes personnes. Les jeunes médecins veulent travailler dans un environnement efficace. Et plus on le rend efficace, plus ils vont voir de patients et plus ils vont être heureux. »Pour le Dr Landry, l’interdisciplinarité va aussi de pair avec la notion de hiérarchie horizontale, « qui s’oppose à une hiérarchie militaire verticale, où le médecin dicte aux autres professionnels leur travail ». Les jeunes médecins, dit-il, sont formés à voir les autres professionnels comme des égaux, destinés à des tâches différentes. « Le médecin de famille devient ainsi le leader d’une équipe médicale, puisqu’il doit trancher sur les questions de son ressort, comme déterminer les niveaux de soins. Cela exige une imputabilité professionnelle et une compréhension globale importante. »L’accessibilité repose notamment sur une amélioration de nos façons de faire, poursuit le Dr Landry. Et l’efficacité, insiste-t-il, passe en premier par l’interdisciplinarité.Encore les GMFLes pharmaciens salariés ont intérêt à avancer les yeux ouverts sur ce qui s’en vient dans les GMF, précise pour sa part Christophe Augé. « Leur arrivée en GMF constitue en soi une excellente nouvelle, mais j’ai des doutes quant à la manière dont l’intégration va s’opérer. J’espère simplement qu’ils ne seront pas juste là pour trier des fax. »La forme de leur contrat m’inquiète aussi, dit-il, parce qu’elle ouvre la porte à tous les abus (voir autre texte). « J’en ai parlé au MSSS, qui m’a répondu faire confiance au professionnalisme et à l’autorégulation. Ça ne m’a pas rassuré. Faire confiance aux professionnels, d’accord, mais il faut aussi leur rappeler en permanence qu’ils sont sous surveillance. Être professionnel n’est pas un absolu*. »Le ROME et l’APPSQ envisagent-ils des actions communes ? « Médecins et pharmaciens veulent travailler ensemble. Notre problème de coordonnation vient surtout de l’enjeu du financement des soins de santé, de la difficulté de financer des services dans un contexte où le gouvernement tente de réduire les dépenses, alors que la demande de services augmente », répond le Dr Landry.Enfin, le ROME peut-il jouer un réel rôle de contrepoids dans un réseau, monde syndical compris, où prévaut la pensée unique ? « Il le fait déjà. Nous avons une structure démocratique et une grande liberté de parole. Nous pouvons forcer des débats et orienter les décisions gouvernementales et syndicales. »* NDLR : la rencontre s’est déroulée alors que le ministre Barrette déposait le projet de loi 92 pour contrer les erreurs, fraudes et surfacturations de professionnels de la santé à la RAMQ.

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