«Négocions mieux le prix des médicaments d’origine. Ça nous évitera de hausser la TVQ!» - Le Dr Amir Khadir

Le Dr Amir Khadir fulminait, lorsque je l’ai rencontré au sortir du débat extraordinaire tenu à l’Assemblée nationale sur le déficit. Le député médecin et porte-parole de Québec solidaire aurait volontiers lancé quelques souliers (il chausse du 10) aux ennemis du peuple...À qui auriez-vous lancé votre chaussure ?À l’ex-député Russell Williams1. On lui doit la dernière touche à la structure de prix des médicaments dans laquelle s’embourbe l’État québécois. Les provinces paient de trois à six fois trop cher le prix des médicaments. C’est pas Québec solidaire qui le dit, mais la Commission Romanow (2002). Elle recommandait de recourir davantage aux génériques. C’est toujours au Québec qu’on les utilise le moins.Le seul secteur en progression, c’est le privé, avec le coût, exponentiel, des médicaments. Les pays où l’industrie pharmaceutique est la plus puissante, comme par hasard, sont ceux aussi qui ont les systèmes de santé les plus privatisés (États-Unis, 54 %, Suisse, 40 %, Canada, 31 %, 32 % au Québec).Faut-il nationaliser l’industrie pharmaceutique ?Non, mais favorisons, entre les fournisseurs, une saine concurrence qui ne ruine pas les caisses de l’État. Appliquons honnêtement les lois du marché, sans piper les dés au profit de l’industrie. Un gouvernement conservateur a eu le courage de le faire, en Nouvelle-Zélande, avec le modèle kiwi2.La Nouvelle-Zélande a ainsi réduit du tiers son budget de médicaments dès la première année. Le coût de ceux que couvre la RAMQ atteint 3,4 milliards $ (2008-2009). On pourrait épargner un milliard de dollars par an en négociant mieux.Êtes-vous un révolutionnaire ?Non. Je ne veux pas renverser le système, mais mettre fin à l’hégémonie du grand capital dans l’économie de marché, surtout en santé. Le capital privé a sa place, certes, mais équilibrée par le public, le coopératif, l’associatif.De la Mercedes à la HondaÊtes-vous plus rangé, Dr Khadir, depuis que vous êtes député ? « Oui, je mets des cravates, je coupe mes cheveux plus souvent et je repasse mes chemises ! » Quitter la médecine, un métier bien concret, pour la politique n’a pas été facile pour lui. « Comme député, je travaille pour l’avenir, j’assèche beaucoup de salive avec bien peu de résultats parfois », dit-il avec humour.Dans ses années de militance, le médecin roulait en Mercedes familiale, 6 cylindres, dévoreuse d’essence. « Puis j’ai pris conscience, comme d’autres, des enjeux planétaires. C’est quand je faisais campagne pour l’Union des forces progressistes que je suis devenu écolo. » Depuis, il roule en Honda hybride. Le médecin militant qui se faisait arrêter lors des manifs habitait jadis une luxueuse maison de Pierrefonds. Aujourd’hui, il réside au cœur du Plateau.On vous accuse d’être monolithique...La gauche dont je me réclame a au contraire une pensée raffinée, elle fait référence à l’histoire, à la complexité des phénomènes. La droite dogmatique, elle, ne connaît qu’une seule loi, le marché. Laissons-lui toute liberté, dit-elle, et tout va bien aller; on a vu ce que ça a donné avec la crise boursière de 2008.Quand il s’agit de sauver le profit privé en le renflouant avec l’argent de tous, on n’a plus de problèmes de dettes et de déficits; les milliards surgissent comme par magie. Pour sauver la santé ou l’éducation en revanche, là on est pris de court. Pourquoi, en matière économique, l’équilibre n’existerait-il jamais en faveur de la société ?Selon vous, donc, le marché ne peut s’appliquer à la santé ?Non, à cause de la nature intrinsèque du service public, la santé étant un besoin à remplir, pas une question d’offre et de demande. Réglons les problèmes du réseau public pour ce qu’ils sont; ne les utilisons pas comme arguments pour privatiser.Mais notre réseau en arrache quand même...Qui veut tuer son chien prétend qu’il a la rage. On a donné la rage au système public en l’asphyxiant là où ça compte le plus, l’accès aux soins. Trois facteurs (nombre de lits, d’infirmières et de médecins/mille habitants) sont, selon l’OCDE, ce qui détermine l’accessibilité. Or, c’est très précisément là qu’on a coupé.Nos dépenses par rapport au PIB pour les médecins et les infirmières restent relativement stables. Seuls augmentent les coûts des services privatisés. Ce système public dont on était fier, partie intégrante de notre identité, il fallait d’abord en éroder les fondements. On a asphyxié le financement de certains services publics pour entamer la confiance du public. Puis on les privatise à vil prix. Le capitalisme a perdu la tête, comme disait Stiglitz.Où voyez-vous une menace avec les PPP, celui de Rockland-MD/Sacré-Cœur par exemple ?J’y vois une brèche par laquelle le même malheur vécu ailleurs va s’abattre sur nous, car avec le privé, c’est moins bon et c’est plus cher. Des dizaines de méta-analyses ont prouvé que pour des populations égales, aux États-Unis, le réseau public sans but lucratif performe mieux, sauf à de rares exceptions, que le réseau privé. Il s’agit là de données probantes.Voyez l’Angleterre et son bilan des années Thatcher : privatiser coûte plus cher, pour de moins bons résultats (complications postopératoires, infections nosocomiales, British Medical Journal, mars 2007). Pour faire la même chose que le réseau public et générer un profit, le privé doit tourner les coins ronds. Comment pourrait-il en être autrement ? On privatise les profits et on socialise les risques et les pertes, le scénario n’est pas nouveau.Lanceriez-vous un soulier aux syndicats ?Je leur lancerais une pantoufle bien soyeuse, car il y a quand même une hiérarchie des responsabilités. On veut nous faire croire que les syndicats mènent le bal. Un instant ! Ce ne sont pas eux qui financent le parti de monsieur Charest.Cela dit, le modèle à suivre pour les syndicats ne peut plus être le modèle corporatiste des médecins. Oui, la rigidité syndicale est aussi une nuisance, chez les médecins comme chez les autres professionnels, et il manque aux syndicats une solide pensée politique. Je suis le premier aussi à dénoncer la collusion de certains membres de la FTQ dans le dossier de la construction.Que souhaitez-vous pour le Québec au juste ?Qu’il nourrisse de plus grandes ambitions. Pourquoi la Norvège par exemple a-t-elle réussi à mettre des milliards de côté pour les générations futures grâce à Statoil ? Notre sous-sol à nous regorge de minerais, mais ils nous échappent complètement. En santé comme ailleurs, exploitons nos richesses pour le plus grand bien de tous. Moi, je veux célébrer la richesse, mais une richesse plus équitablement distribuée, en santé comme dans les autres secteurs de notre vie collective.Le parcours d'Amir Khadir1961: Naissance en Iran1971: Arrivée au Québec1974: Découverte du Québec, avec l’ami André, l’école Saint-Luc, les voisins de souche et les immigrants1979: La révolution iranienne, les études en physique, l’engagement politique puis communautaire1980, 1995: Deux référendums, deux immersions en forme de choc dans la question nationale1988: Mariage, puis naissance de 3 filles sur 10 ans. «La vie, quoi!»1997: L’hôpital Le Gardeur, mes collègues, mes complices2000: Première incursion dans la politique électorale avec le Bloc québécois, candidat dans Outremont2001: Coalition des médecins pour la justice sociale et Médecins du monde (Irak, Afghanistan, Palestine et défense du système public)2002: Fondation de l’Union des forces progressistes, qui mène à celle de Québec solidaire2008: Élu député de Mercier à l’Assemblée nationale.Aujourd’hui président du regroupement Les compagnies de recherche pharmaceutique du Canada (Rx&D).Le modèle « kiwi » désigne l’achat et la distribution de médicaments par l’État néo-zélandais par adjudication publique. Seul le médicament que l’État propose de cette façon est remboursé.

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