Ne jouez pas au héros

Je ne sais pas comment ça se passe pour vous, mais c'est plutôt dur, ici. Il y a quelques semaines, 22 membres du personnel étaient atteints de la COVID-19. Nous manquions d'infirmières même avant la pandémie, mais là, celles qui avaient porté le fardeau au début de la pandémie ont été décimées. Les bonnes infirmières sont parties pour d'autres établissements, sont à la maison en congé parental, ou prennent leur retraite. J'entends aussi parler d'infirmières qui ont complètement quitté le domaine de la santé pour travailler dans la construction ou le camionnage, et qui peut les blâmer? Cette épidémie a touché l'ensemble de l'hôpital. L’équipe d'entretien ménager a été réduite de 40%, tout le monde a donc dû nettoyer davantage, ce qui a épuisé les quelques personnes restantes. La pharmacie a été mise ko, alors qui vérifie les médicaments? Quelqu'un «hors site», ce qui signifie plus de travail pour les infirmières pour envoyer des fax et faire des vérifications, du temps grugé à commander manuellement les médicaments pour les médecins, des protestations du DME, et plus d'appels téléphoniques pour moi, etc. Les secrétaires sont absentes ou toute nouvelles, ce qui signifie que le téléphone sonne mais que personne ne répond, que la paperasse n'est pas remplie, que les consultations ne sont pas faites, que les patients reçoivent le mauvais message... Et voilà que la sixième vague frappe les médecins. Mercredi, j'ai reçu ce coup de fil: «Pouvez-vous venir travailler aujourd'hui? Et demain?» J’avais déjà travaillé le Vendredi saint. «Et nous avons besoin du dimanche jour et nuit.» Nos quarts de travail durent de 10 à 15 heures et s’étendent parfois jusqu’à 24 heures. Ce n'est pas quelque chose que l'on peut considérer comme un caprice. Tous ceux que je connais sont choqués par la quantité de travail supplémentaire qui nous a été imposée. Et tout n’est pas dû à la COVID-19. Il y a aussi un médecin qui se retrouve en incapacité de travail pour une autre raison, et un autre qui pleure la perte d'un membre de sa famille proche – tout cela greffé à une pandémie sans fin. Nous avons échappé aux premières vagues, mais notre petit établissement, limité en personnel et en ressources, est désormais sur le point d’être submergé. Qu'est-ce qu'un médecin est «censé» faire? Participer! Ne jamais dire non! Travailler sans relâche à titre de médecin-infirmière-technicien de laboratoire-pharmacien-employé de ménage-secrétaire! On dormira quand on sera mort! Mais nous sommes tous déjà épuisés et surchargés de travail. C'est comme si on avait essayé de se cacher des zombies pendant deux ans, qu’on avait couru pendant les trois derniers mois, et juste quand on pensait avoir enfin réussi à trouver un endroit pour respirer, «chomp, chomp, chomp». La semaine dernière, j'ai pris une garde supplémentaire pour qu'ils n'aient pas à fermer l'hôpital, mais cette semaine, je leur ai dit la vérité: je quitte la ville, maintenant. Je reviens mardi pour travailler 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 dans le service des patients hospitalisés. Je ne peux pas prendre plus de travail. Nous avons été à deux doigts de devoir fermer notre hôpital. D'une manière ou d'une autre, les autres médecins se sont ralliés et ont réussi à bricoler quelque chose. Mais on m'a dit que si nous devions fermer le service des urgences, un médecin hospitalier devrait dormir sur place au cas où l'un des patients hospitalisés aurait un accident ou si quelqu'un se rendait à l'hôpital en voiture in extremis. Cela pourrait être moi dans 72 heures, pendant les 168 prochaines heures, avant que je ne reprenne mon poste aux urgences. Ce ne sera probablement pas le cas. Cela impliquerait que je ne fasse aucun quart aux urgences cette semaine-là. Mais si ça arrive, c'est à moi de tenir la maison. Et je suis censée dire que ça n'a pas d'importance, que c'est un privilège d'être médecin et que je suis bien payée pour ça? Attention. Dans mon groupe de médecins urgentistes, majoritairement américains, on décrit comment les compagnies ont pris le contrôle de la médecine. Celles-ci ont réduit les heures de travail lorsque le volume des urgences a chuté au début de la pandémie et refusent désormais d'embaucher le personnel adéquat maintenant que le volume est reparti à la hausse. Les médecins doivent s'occuper de plus en plus de patients potentiellement instables et non surveillés parce que cela permet aux entreprises d'obtenir de meilleurs résultats. Les médecins seront quant à eux tenus médicalement et financièrement responsables des décès et des handicaps qui en résultent. «Le prestige est particulièrement dangereux pour les ambitieux. Si vous voulez que les ambitieux perdent du temps avec des missions, appâtez-les avec le prestige», écrivait Paul Graham. Oui, nous aimons tous encore les défis intellectuels, les récompenses émotionnelles et financières que procure l’exercice de la médecine, mais nous avons le droit d'avoir une vie. Ne soyez pas un héros ou une héroïne. Ou alors faites-le pendant un certain temps, mais pas pour toujours. Vivez.

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