Monsieur Dubé, pourquoi épargnez-vous les médecins âgés?

Cher Monsieur Dubé, Si je comprends bien votre loi, vous semblez vouloir épargner les vieux médecins.En effet, selon l'article 86:«Malgré toute disposition contraire de la Loi favorisant l’accès aux services de médecine de famille et de médecine spécialisée (chapitre A-2.2), les règles de ventilation d’une collectivité médicale sont réputées prévoir qu’un médecin composant cette collectivité médicale qui, le 1er janvier 2026, était âgé d’au moins 65 ans se voit verser un montant de supplément collectif au moins égal à la part du montant de supplément communiqué à cette collectivité en application de l’article 29.50 de cette loi, édicté par l’article 65 de la présente loi, qui est associée aux services fournis par ce médecin.Lorsque l’équation prévue au troisième alinéa de l’article 29.51 est appliquée à un service fourni par un médecin visé au premier alinéa, le nombre ”0,05” qui figure dans cette équation est remplacé par le nombre “0,1”.»Ai-je bien compris? Si oui, pourquoi faites-vous cela? Pourquoi favorisez-vous les vieux médecins?J'imagine que votre intention est simplement d'éviter que les médecins âgés puissent prendre leur retraite ou quitter le réseau, laissant un immense pan de la population sans médecin de famille. Je comprends bien votre préoccupation, puisque si les 1400 médecins de famille âgés (on estime que 13% des 22 855 médecins québécois ont plus de 65 ans[1], correspondant à quelques 1400 médecins de familles) prenaient leur retraite, on se retrouverait avec 700 000 patients sans médecin. En effet, en se basant sur une estimation fort conservatrice de 500 prises en charge par médecins âgées, s’ils quittaient tous, écorchés par votre loi, ce sont autant de patients qui devraient en trouver un autre. Et même en réduisant les projections par deux, on se retrouve avec 350 000 patients laissés pour compte. Ce n’est pas rien. On comprend donc le passe-droit que vous accordez aux médecins âgés.Mais, Monsieur Dubé, plusieurs autres médecins peuvent ne pas pouvoir suivre la cadence ou même vouloir partir.Comme les plus jeunes, mères ou pères de famille, monoparentals ou non, qui doivent concilier travail et responsabilités familiales et qui ne souhaitent pas ou ne peuvent pas travailler davantage - et qui seront inévitablement pénalisés et objets de pression de la part de leurs pairs?Comme ceux qui œuvrent aussi à l’urgence, à l’hospitalisation ou en soins de longue durée - n'est-ce pas là ce que l'on attend d'un médecin de famille? - et qui ne pourront pas faire autant de prise en charge que les autres et qui, eux aussi, seront pénalisés et feront l'objet de récriminations? Comme les médecins qui s’occupent de patients hautement vulnérables présentant souvent cinq-six problèmes concurrents (ce qui n’est pas rare), lesquels ne peuvent être réglés en quelques minutes? Ou ceux qui reçoivent des patients vivant des moments difficiles - stress, paniques, problèmes conjugaux, troubles d’adaptation, dépressions, idéations suicidaires, IVAC et souffrances morales de toutes sortes – ces problèmes-là non plus ne peuvent être réglés en quelques minutes. Ou ceux qui font des soins palliatifs ou des visites à domicile. Ou même ceux qui ne souhaitent pas traiter les patients comme des numéros, à la «va comme je te pousse». Allez…au suivant. Ceux-là aussi subiront les représailles des agents contrôleurs que vous désignerez, car leur «lenteur» entachera la performance de tout le groupe et fera en sorte que tous seront pénalisés. Ce ne sera pas facile pour eux.Et tant qu’à y être, pourquoi pas aussi les spécialistes, les super spécialistes même, qui détiennent une compétence unique, et qui peuvent aller travailler partout ailleurs, où bon leur semble, à leur convenance, ne vous en déplaise? Ils n’ont qu’à composer 1-800-Doug-Ford pour aller travailler au Toronto General Hospital s’ils le souhaitent.Je ne sais pas qui vous a conseillé pour rédiger cette loi, mais franchement… Désolé de vous le dire… Ce n'est pas très brillant ni très équitable.Je ne comprends pas pourquoi vous vous entêtez à défendre bec et ongles votre loi alors que tous, le Collège des médecins, le Collège des médecins de famille du Canada, le Collège royal, les Fédérations (bien sûr) - pour ne nommer que ceux-là - vous disent de reculer ou de suspendre. Même Lionel Carmant, votre ex-collègue et ex-ministre, ne vous suit plus. Je ne comprends pas pourquoi vous vous êtes entêté à la passer sans que l'on puisse en discuter, à l’imposer de force. Pourquoi cela?Je voulais donc vous dire que, si vous persistez à vouloir nous enfoncer votre loi dans la gorge, de gré ou de force, je ne veux pas bénéficier de traitement de faveur. Je ne veux pas être traité différemment que mes jeunes collègues. Je ne veux pas être payé davantage qu’eux alors qu’ils travailleront bien plus fort que moi. Ça n’a pas de bon sens.Honnêtement, à quoi avez-vous pensé? Je me le demande…Roger Ladouceur, un vieux médecin de 74 ans.[1] Portrait des membres du CMQ