Médecins et psychologues: Deux solitudes à rapprocher pour la santé mentale - Dr Jean-Bernard Trudeau

Au cours des 50 dernières années, le nombre des dépressions a doublé dans notre société. Les médecins de première ligne sont maintenant appelés à traiter énormément de problèmes de santé mentale, jusqu’à plus de 25 % de tous leurs cas, selon certaines études. Ces médecins se tournent vers la psychiatrie quand ils veulent adresser des patients vers une ressource spécialisée, mais ils ne songent pas assez aux psychologues, a déploré le Dr Jean-Bernard Trudeau lors du récent congrès de l’Ordre des psychologues. Lui-même médecin de famille, le Dr Trudeau a présidé le comité qui a abouti à la loi 21 prévoyant l’encadrement de la pratique de la psychothérapie. Il exerce à l’Institut universitaire en santé mentale Douglas. Il croit que les psychologues pourraient devenir aussi indispensables pour les omnipraticiens que le sont les infirmières de GMF. À Québec, en présence de la présidente de leur Ordre, Mme Rose-Marie Charest, il a livré un vibrant plaidoyer en faveur d’un rapprochement entre les médecins de famille et les psychologues, qu’il a qualifiés de deux solitudes. Profession Santé s’en est entretenu avec lui.Les médecins de première ligne sont confrontés à la montée des problèmes de santé mentale dans la société. Possèdent-ils les outils pour y faire face?Ils sont dépassés. C’est la raison pour laquelle il est urgent d’innover. Le moyen d’y parvenir, c’est par l’interdisciplinarité avec les psychologues. Il faut que tout le monde mette l’épaule à la roue. L’isolement des professionnels contribue à la détresse psychologique de ces mêmes professionnels. Plus on va créer des réseaux, plus les médecins seront entourés de guides, plus les psychologues seront entourés de médecins, mieux les patients se porteront. La formation en santé mentale des omnipraticiens est-elle suffisante?Initialement, ils étaient bien formés, mais cette formation n’a pas toujours été bien nourrie à travers le temps. À l’Institut, nous étudions toutes sortes de stratégies avec la FMOQ pour tenir cette formation allumée à travers le maintien des compétences. Avec une formation supplémentaire, les médecins de famille ne songeraient pas seulement à adresser des patients en psychiatrie, mais aussi à travailler avec les psychologues. Si, ensemble, ils frappent un mur, ils pourront aller vers le psychiatre.Des médecins de famille se plaignent de plus en plus de la difficulté d’adresser un patient éprouvant des problèmes de santé mentale.Je l’entends souvent. Ça me frappe tellement. Si on avait plus de services psychologiques, disent plusieurs d’entre eux. Pourtant, sur 8300 membres de la profession, il y a plus de 2000 psychologues qui travaillent dans le réseau public. Il faut que l’omnipraticien ait cette information qu’il existe des services appropriés.Vous avez déclaré devant les psychologues qu’on envoie en deuxième ligne des cas qui ne devraient pas être vus en psychiatrie.C’est officiel. Le résultat, c’est qu’on embouteille le système. Parce qu’on ne réussit pas à filtrer la pertinence de la consultation psychiatrique, on se retrouve avec une longue liste de patients. Si nous n’avons pas un mécanisme de priorisation, plein de gens attendent et ils n’attendent pas à la bonne place, alors qu’ils auraient pu être vus beaucoup plus rapidement ailleurs.Quel effet a cette longue attente sur la santé des patients?Ils deviennent plus anxieux et leurs problèmes s’accentuent. Quand ils arrivent à notre niveau, ils ont tellement attendu que c’est devenu justifié de les voir en psychiatrie. Nous sommes obligés de sortir l’artillerie lourde pour les aider, alors qu’elle aurait pu être beaucoup plus légère s’ils avaient été bien orientés en partant.Selon votre expérience, combien de cas adressés en psychiatrie pourraient être vus par une ressource comme un psychologue?Dans l’ensemble, la spécialité devrait accueillir 15 %, 18 %, au plus 20 % de la clientèle, pas 50 à 60 % comme c’est le cas actuellement. Il y a plein de choses qui pourraient être faites avant d’adresser un patient vers un psychiatre. C’est ce que visent les guichets d’accès en santé mentale. On veut rencontrer les patients à l’intérieur de sept jours et bien les orienter vers la bonne ressource, pas nécessairement vers le psychiatre. Si c’est le cas, l’information recueillie rendra le psychiatre encore plus efficace.Vous croyez beaucoup à la relation interdisciplinaire entre les médecins et les psychologues?Non seulement j’y crois, mais elle est incontournable. C’est la voie de l’avenir pour améliorer la qualité et la sécurité des soins et des services en santé mentale. Les médecins de famille sont souvent isolés par rapport à leur stratégie en santé mentale. Comme ils ne connaissent pas beaucoup les ressources, si on ne les oriente pas, ils vont continuer à diriger leurs patients vers la psychiatrie, alors que ce n’est pas toujours pertinent de le faire. Le joint-venture avec les psychologues, c’est la prochaine révolution après les infirmières en GMF.Pourquoi les médecins n’adressent-ils pas davantage vers les psychologues?Parce qu’ils ne sont pas assez bien informés ou que les liens ne sont pas suffisamment bien établis entre eux. Le premier réflexe des médecins, c’est d’adresser leurs patients vers la spécialité en se disant qu’ils seront pris en main par les psychiatres.Vous soutenez que les médecins de famille s’y connaissent en médication mais moins en matière de psychothérapie.Il y a des médecins de famille qui se débrouillent bien sur le plan de la médication, mais il n’y a pas seulement cette voie en santé mentale. D’autres avenues thérapeutiques, comme des psychothérapies, sont possibles. Dès qu’on travaille avec des psychologues, on a moins besoin de prescrire des médicaments.La psychothérapie, soutenez-vous, c’est l’affaire des psychologues, pas des médecins.La grande majorité des médecins offrira une relation d’aide plutôt qu’une psychothérapie de soutien. Ce n’est pas de la psychothérapie telle qu’on la définit. Ça prend des gens très formés, qui maintiennent leurs compétences de façon active, pour faire de la psychothérapie. Des approches thérapeutiques et psychothérapeutiques peuvent faire une grande différence, mais les médecins ne les connaissent pas toujours bien. Dans certaines situations, les médicaments ne seront pas nécessaires et les résultats seront non seulement aussi bons mais meilleurs et plus durables.Mme Rose Marie-Charest: Tous les psychologues ne sont pas des psychologues cliniciens. Ceux qui le sont doivent faire 2300 heures de stage et d’internat après une scolarité de doctorat. Les psychologues en clinique sont habilités à évaluer et à intervenir en psychothérapie.Des psychologues logent souvent dans la même bâtisse que des cliniques médicales. Les murs qui séparent les médecins et les psychologues sont-ils si épais?Il y a une solitude dont il faut sortir, tant les médecins que les psychologues, pour les amener à travailler ensemble pour le bien du patient. Quand la formule des GMF est apparue, le travail interdisciplinaire avec les infirmières n’était pas acquis. Aujourd’hui, les médecins qui ont travaillé avec les infirmières ne s’en passeraient plus.Vous insistez sur l’importance d’agir rapidement.Il faut absolument arriver à ce modèle avec les psychologues, sans quoi on se dirige vers une catastrophe. Les médecins doivent goûter à cette collaboration avec les psychologues et après, ils ne pourront plus s’en passer. Nous sommes dans un tournant. On commence à sentir les gains de la loi 90, mais il ne faudrait pas attendre 10 ans pour faire décoller la loi 21.Médecins de famille et psychologues devront donc travailler plus étroitement dans le futur.J’ai déjà soulevé, et Claude Castonguay l’a fait aussi, qu’on devrait ajouter des services psychologiques dans le panier de services. Sinon, on s’en va vers un énorme problème au niveau de la santé mentale et de la fragilité de la population.Encadrement de la psychothérapieLe Dr Jean-Bernard Trudeau honoré par l’Ordre des psychologues du QuébecLe Dr Jean-Bernard Trudeau, un omnipraticien qui occupe le poste de directeur des services professionnels, chef médical du programme de rétablissement et codirecteur des activités cliniques, du transfert des connaissances et de l’enseignement à l’Institut universitaire en santé mentale Douglas de Montréal, vient d’être honoré pour sa contribution à l’encadrement de la psychothérapie au Québec. L’Ordre des psychologues lui a remis son Prix de la santé et du bien-être psychologique à l’occasion de son congrès annuel tenu à Québec. Il est le premier médecin à recevoir cette distinction en 10 ans. Par le passé, le général Roméo Dallaire en avait été l’un des lauréats.En remettant ce prix au Dr Trudeau, l’Ordre des psychologues a voulu reconnaître tout le travail qu’il a accompli en qualité de président du comité d’experts sur la modernisation de la pratique professionnelle en santé mentale et en relations humaines. Ce groupe de travail avait recommandé, entre autres, un meilleur encadrement de la psychothérapie au Québec. Son rapport avait grandement inspiré le projet de loi 21 qui a été adopté à l’unanimité par l’Assemblée nationale en juin 2009. Les travaux de mise en œuvre se poursuivent actuellement à l’Office des professions du Québec. Quand la loi 21 sera en vigueur, en 2011, le titre de psychothérapeute et l’activité de psychothérapie seront réservés aux psychologues, aux médecins ainsi qu’aux membres de certains ordres professionnels, une avancée majeure dont se réjouit au plus haut point la présidente de l’Ordre des psychologues, Mme Rose-Marie Charest.

Médecins et psychologues: Deux solitudes à rapprocher pour la santé mentale - Dr Jean-Bernard Trudeau

Pour accéder au contenu, connectez-vous ou créez un compte gratuit.

Catégories connexes